Tendances Première

Thérapies de conversion : 98% des victimes gardent des séquelles psychologiques

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Par Bénédicte Beauloye

Les témoignages de victimes de thérapie de conversion ne sont pas nombreux, mais édifiants. Sous des formes insidieuses, ces 'parcours de guérison' détruisent. Un discours répétitif adressé à des enfants, des adolescents ou jeunes adultes, au moment de leur recherche d’une identité sexuelle. Un discours culpabilisant, ramenant leur attirance homosexuelle ou transgenre à de la perversion. Les qualifiant de malades. De possédés. De pécheurs. Les forçant à se conditionner.

Par des séances d’exorcisme ou des potions miraculeuses, par des traitements médicamenteux. On retrouve même ces tentatives de contrer leur orientation sexuelle dans des thérapies supervisées par des professionnels de la santé mentale. Certains patients, rongés par la culpabilité de décevoir leur famille, leur thérapeute, leur Dieu, ne voient plus que le suicide comme solution. Selon un rapport de l’ONU, 98% des victimes ont des séquelles psychologiques.

Tendances Première aborde cette question avec deux témoins, Dan et Jean-Philippe, et Axel Winkel, du Centre Permanent pour la Citoyenneté et la Participation :

"Il est difficile de donner une définition unique parce que ce sont des pratiques très volatiles. Ce sont des pratiques qui par une intervention physique ou par pression psychologique visent à modifier ou réprimer l’orientation sexuelle, l’identité ou l’expression de genre d’une personne."

Un lavage de cerveau par des méthodes hors-la-loi

" Je me méfiais de mes pensées, de mes aspirations, de mes désirs. J’étais en haine contre moi. Je me portais même parfois des coups. "

Au début des années 2000, Jean-Philippe est un tout jeune homme et il supporte très mal l’inadéquation de ses pulsions avec la religion chrétienne. Pendant plusieurs mois, il se rend à au cabinet d’un prêtre thérapeute qui lui promet de le guérir. Les séances deviennent toujours plus ambiguës. Sous le prétexte de simuler des rapports homosexuels pour le libérer de son phantasme, le thérapeute procède à des attouchements.

"Evidemment, ça n’a pas vraiment marché, que du contraire, d’autant que le thérapeute va toujours plus loin. Au début, j’étais toujours habillé, puis j’étais nu, puis sa main est passée sur mon sexe, le tout accompagné d’un discours très homophobe, très stéréotypé. Moi j’étais perdu, j’ai cru à ses théories pendant un temps, puis au bout de six mois j’en suis sorti. Il exigeait une rééducation pour que je me comporte davantage comme un homme. Dans mon conditionnement, dans mes centres d’intérêt, mes activités. Avec des interdictions de phantasme ou de masturbation. Je me méfiais de mes pensées, de mes aspirations, de mes désirs."

Quand ce sont les proches qui font pression au jour le jour

Je n’en veux pas à mes parents car ils sont eux-mêmes victimes d’un schéma qui perdure depuis des générations

Pour Dan, c’est son entourage familial qui le contraint à refouler son orientation sexuelle. Il se pliera aux attentes de ses proches, tentant de mener le schéma de vie attendu, dans un mal-être profond.

"Autour de moi, tout n’était que patriarcat et homophobie. Je n’en veux pas à mes parents car ils sont eux-mêmes victimes d’un schéma qui perdure depuis des générations. J’étais dans une situation très difficile psychologiquement, qui m’a entraîné dans de multiples dépressions nerveuses, un burn-out, des tentatives de suicide. Puis je suis arrivé dans une sphère charismatique Pentecôtiste, c’est là que les thérapies de conversions ont commencé. La menace était qu’en pratiquant mon homosexualité, je finirais en asile psychiatrique. L’Eglise ne criminalise plus l’homosexualité, elle la tolère, mais la considère toujours comme une maladie. On recherche toujours la guérison. On invite à la chasteté, à refouler son phantasme homosexuel. On n’a pas accès aux sacrements."

Dan sera poussé à concrétiser une relation hétérosexuelle. Il se marie et a un fils. C’est la paternité qui lui a donné le recul nécessaire pour sortir de l’emprise des thérapies de conversions, et d’entreprendre des relations amoureuses qui lui correspondent et d’enfin s’autoriser à devenir celui qu’il est.

"Ce que j’ai subi depuis mon enfance à cause de cette idéologie, et des thérapies de conversions, je ne veux absolument pas que mon fils ou d’autres enfants les subissent encore. Ça m’a fait prendre conscience de la réalité, et c’est là que je suis sorti de cette sphère."

Jeune femme tenant le drapeau LGBT dans le vent. Copyright :
Jeune femme tenant le drapeau LGBT dans le vent. Copyright : © Anastassiya Bezhekeneva via Getty Images

La criminalisation des thérapies de conversion est en chemin en Europe

Au niveau européen, le Parlement européen appelait en 2018 tous les États membres à interdire ces thérapies ainsi que la pathologisation de la transidentité. Malte l’appliquait déjà depuis 2016. Ont suivi l’Allemagne, certaines régions espagnoles, la France, et le Royaume-Uni qui devrait l’interdire prochainement.

En Angleterre, on estime que sur un échantillon de cent mille personnes de la communauté LGBTQI +, deux pourcents ont subi des thérapies de conversions et cinq pourcents se sont vus offrir une conversion. Les personnes transgenres sont deux fois plus susceptibles d’être approchées. En Belgique, qui est pionnière en matière de droits des personnes LGBTQI +, l’étude menée par Axel Winkel a permis de démontrer cette problématique par la récolte de témoignages. Un projet de loi est actuellement introduit au parlement pour condamner les thérapies de guérison.

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