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Grands entretiens

Jean-Luc Mélenchon : « Je souhaite être remplacé »

Jean-Luc Mélenchon à Paris le 2 septembre 2022.

Il se confie sur son avenir et développe sa vision des enjeux énergétiques, du capitalisme et de la politique de l’eau : Jean-Luc Mélenchon est l’invité des Grands entretiens de Reporterre.

Jean-Luc Mélenchon, leader de La France insoumise, a été candidat à l’élection présidentielle de 2022. Il n’a aujourd’hui plus de mandat électif et se dit « en retrait, mais pas en retraite ».


Écoutez l’entretien complet de Jean-Luc Mélenchon dans Les Grands entretiens de Reporterre :



Reporterre — Jean-Luc Mélenchon, vous êtes venu en métro ?

Jean-Luc Mélenchon — Oui, c’est le seul moyen d’arriver à l’heure dans Paris.

Est-ce que vous avez déjà pris des jets privés ?

J’ai tellement pris l’avion dans le passé que ça a sans doute dû arriver. J’ai traversé cinquante fois l’océan Atlantique pour aller en Amérique latine. Et puis, il ne faut jamais oublier l’âge que j’ai [71 ans]. Je suis né en 1951, au début des catastrophes. Les Anglo-saxons, quand ils ont commencé des expertises au carbone 14, ont défini le présent comme l’an 1950. C’est le moment à partir duquel la concentration du carbone 14 dans l’atmosphère s’est modifié du fait des bombes atomiques. Et donc il y a partout [de la radioactivité]. C’est d’ailleurs la présence de cette fine couche qui a déclenché l’idée de l’anthropocène. À l’époque, l’inconscience résidait dans la pensée que la nature était une ressource sans fin. Je plaide donc coupable pour des époques où on ignorait qu’on était criminel.

Prendrez-vous moins l’avion à l’avenir ?

J’ai l’intention de continuer à voyager dans le monde, alors je ne dis pas que je ne prendrai plus l’avion. Ce qui est certain, c’est que pour tous les trajets où je peux arriver en train, je prendrai le train.


Êtes-vous d’accord avec Julien Bayou pour l’interdiction des jets privés ?

On ne peut pas continuer à avoir une aviation parallèle qui fait ce qu’elle veut, quand elle veut, comme elle veut, qui pourrit tout et qui n’a aucune responsabilité. Alors j’aurais tendance à lui donner raison. C’est comme la remarque de Sandrine Rousseau sur les barbecues. Ce qu’elle a dit est intelligent. Pourquoi ? Parce que nous avons intérêt à interroger tous les comportements sociaux pour mettre à nu leurs contenus genrés. Et je la remercie, parce que je n’avais jamais réalisé cela.

La consommation de viande est genrée : est-ce que manger de moins en moins de viande, c’est une dimension plus féminine, un rééquilibrage dans les rapports genrés ?

Il faudrait bannir du vocabulaire des expressions de cette nature, parce qu’il n’y a pas de nature féminine, pas plus qu’il y a de nature masculine. C’est une construction sociale. Le premier texte qui met en cause la distinction entre les hommes et les femmes est antérieur à l’apparition de l’humanisme philosophique. Il est, en 1405, de Christine de Pisan. Que disait-elle ? « Si vous éduquiez vos filles comme vous éduquez vos garçons, elles feraient les mêmes choses. »

« Nous avons intérêt à interroger tous les comportements sociaux pour mettre à nu leurs contenus genrés. » © Mathieu Génon / Reporterre

La première conscience qui s’exprime publiquement dans la littérature française pour dire que l’être humain est l’auteur de sa propre histoire, et qui tout de suite, va au plus fondamental des différences, la différence biologique entre un homme et une femme, pour dire que ce n’est pas suffisant pour décrire une différence humaine, cela date du XVᵉ siècle. Il ne faut pas être pressé. On n’est jamais qu’au XXIᵉ siècle, mais ça a avancé et il faut continuer, chacun d’entre nous, intellectuel ou porte-parole public, à dire que l’être humain est une autoconstruction. Il faut qu’on tourne cette page, et ça va prendre du temps encore. Mais nous sommes la génération qui fait le saut. Le féminisme est un des vecteurs les plus forts et les plus puissants de la révolution citoyenne, parce qu’il est une exigence d’autocontrôle qui est le cœur de l’idée de révolution citoyenne.

L’actualité de la rentrée, c’est l’énergie, les difficultés d’approvisionnement de gaz et d’électricité. Que pensez-vous de la réponse européenne à cette crise de l’énergie, avec le plan Repower, en juillet, qui prévoit de diversifier les approvisionnements, d’économiser l’énergie et de développer fortement les énergies renouvelables ?

Pour ce qui est des vœux pieux, la Commission européenne a déjà battu quelques records. S’ils le font, on ne s’en plaindra pas, mais ils ne le feront pas. L’Union européenne n’a toujours pas aboli les traités qui disent que le libre-échange est une nécessité, que la concurrence libre et non faussée est la norme supérieure de la hiérarchie de toutes les normes dans l’Union européenne. Donc le cadre juridique rend impossible ce qui est dit là.

Les États européens ne vont pas réussir à réduire de 15 % leur consommation d’énergie et à développer les énergies renouvelables ?

Ils vont le faire parce qu’ils n’ont plus les moyens de faire autrement. Comme il n’y a pas de gaz et que personne n’a prévu la relève, comme le pétrole a été maintenu par les pays de l’Opep [Organisation des pays exportateurs de pétrole] à un niveau de production inférieur à ce qui était nécessaire pour retrouver l’équilibre entre la production et la demande, les prix vont faire qu’il y aura des rationnements partout.

Je ne voudrais pas qu’une seule personne pense que nous avons des raisons écologiques de nous satisfaire d’un rationnement qui sera socialement déterminé. Parce que les plus pauvres auront froid, les plus pauvres auront faim, les plus pauvres resteront sur place ; et peut-être que cela améliorera l’équilibre général des comptes écologiques, mais seulement à la marge.

Vous savez aussi bien que moi qu’à l’instant même où on finissait de signer l’accord de la COP21, qui postulait qu’une augmentation de la température supérieure à un degré et demi serait inacceptable pour maintenir le climat dans son état d’équilibre, tous ceux qui avaient signé cet accord étaient pour la plupart des menteurs. Pourquoi ? Quand on a compilé les dossiers des uns et des autres, on était non plus à un degré et demi de progression du réchauffement climatique, mais à trois et demi. Alors, disons les choses comme elles sont. Un, le changement climatique est commencé. Deux, il est irréversible.

La question que je vous pose, puisque vous pensez que les choix européens qui ont été annoncés en juillet ne sont pas bons, c’est : qu’est-ce que vous adopteriez ou recommanderiez pour faire face à la situation actuelle ?

L’Europe a accepté d’introduire dans le mix vert le nucléaire et le gaz — deux des principaux problèmes que nous avons sur les bras. Ça me permet de faire une transition pour dire que désormais, le nucléaire est une des causes majeures de risque pour les économies des pays équipés de nucléaire. Et aussi pour ceux qui ne le sont pas : nos amis suisses ne sont pas très contents de nos centrales frontalières. Quand j’ai alerté sur les centrales nucléaires, compte tenu des circonstances particulières de ce conflit [en Ukraine], et qu’il fallait mettre des casques bleus devant toutes les centrales nucléaires ukrainiennes, je n’ai pas eu trace d’une réponse !

Qu’est-ce que recommanderiez comme politique énergétique dans la situation de cet automne ?

Je proposerai qu’on en finisse aussi avec le nucléaire. Je redis aux Françaises et aux Français : vous avez des réacteurs nucléaires en amont de la capitale, sur la Seine. Qu’est-ce qui vous permet de croire que vous n’aurez jamais aucun problème ? Toute la vallée du Rhône est remplie d’installations nucléaires. 29 réacteurs [32 aujourd’hui] sont à l’arrêt. Quand est-ce que vous allez comprendre que la discussion est close ? Il faut tout fermer et remplacer, remplacer pour fermer à mesure.

Le président de la République va aller voir le premier champ d’éoliennes [marines]. Ah c’est bien, on a 1 000 kilomètres de côte, et un seul champ d’éoliennes en mer ! Si j’avais été élu en 2017, vous en auriez partout !

Je prends un autre exemple : dans la rade de Brest, on va installer une machine qui marche au mouvement de la houle. La houle est l’énergie de la mer, c’est gratuit, inépuisable aussi longtemps qu’il y aura la lune. Et cela représente 66 fois tout ce dont on a besoin en France.

« Désormais, le nucléaire est une des causes majeures de risque pour les économies des pays équipés de nucléaire. » © Mathieu Génon / Reporterre

Ce n’est quand même pas opérationnel à court terme. Qu’est-ce qu’on fait à l’automne ?

Il faut aider les gens à penser, pas à avoir peur. « Ah, il n’y a pas de solution ? » Si, il y en a plein. Et là, je viens de vous en dire une. Si nous étions en guerre, vous verriez à quelle vitesse on se mettrait à produire des chars. Combien de temps on a attendu dans ce fichu pays pour installer un champ d’éoliennes marines ? Il y en a marre. Maintenant au boulot, on retrousse les manches, on construit.

En matière d’économie d’énergie, qu’est-ce qu’on fait ?

D’abord il y a la sobriété. Eh bien, on peut commencer, non ? C’est à notre portée. On peut installer partout les candélabres qui se mettent en mouvement quand quelqu’un passe la nuit, il n’y a pas besoin d’éclairer toutes les rues, tout le temps, en même temps. On peut éteindre toutes les pubs, toutes les nuits. Il paraît que c’est la fin de l’abondance, alors allons-y, on commence ! Les gens ont envie d’être mobilisés, mais ils n’ont pas envie qu’on les prenne pour des imbéciles. Ils ne sont pas d’accord pour qu’on leur demande d’éviter de faire ceci ou cela, tout en découvrant que les jets privés font ce qu’ils veulent toute la journée et que les riches continuent à polluer des dizaines de fois ce que font tous les autres. Voilà pourquoi je dis à ceux qui nous entendent : nous avons un devoir d’optimisme. Il va tomber des pluies diluviennes sur tout le sud-est. Les météorologues nous ont prévenus. Mais que fait le pouvoir ? Rien. C’est pour ça que j’ai dit à mes amis dans le discours du 28 août, qu’on doit être un mouvement utile. L’avenir de la société est dans l’auto-organisation croissante des groupes humains à l’échelle de la commune. Donc j’ai dit à mes amis : « Formez des escouades citoyennes, mettez-vous à la disposition des collectivités locales qui se préparent, je l’espère, à la chute de l’eau. »

On ne peut jamais dissocier la question de la mobilisation pour faire face à l’irréversible conséquence du changement climatique, de la question sociale, sinon c’est la discrimination sociale qui va s’imposer. Je plaide pour une société de l’entraide et du collectivisme. Alors collectivisme, il ne faut pas que ça vous fasse peur.

Certains vont dire « collectivisme, URSS, donc soviétisme ».

Oui, oui, proposez-moi un autre mot. Quand j’ai dit la planification écologique, on m’a dit pareil : « Jean-Luc, trouve autre chose, ça rappelle l’URSS. » Il a fallu que j’explique que l’URSS avait copié la planification sur les usines Ford. S’il y avait eu de la planification, il n’y aurait pas de pénurie d’énergie parce que les gens auraient réfléchi. Monsieur Macron pense que le marché va tout régler. Et comme il croit au marché, il détruit les services publics en espérant que le marché va le remplacer efficacement. Alors attendez ! J’ai lu l’édito aujourd’hui des Échos, par monsieur Le Boucher. Le Boucher, c’est le pape du libéralisme. Et là il dit : « On est entré dans une ère post-libérale. » Il rappelle qu’on demande à l’État de planifier — enfin, tout ce dont il a expliqué le contraire pendant dix ans. Et à la fin, il dit : « Mais c’est quoi la ligne post-libérale ? » C’est la première fois qu’un libéral dit « On fait quoi maintenant ? On abandonne le libéralisme, ou on trouve autre chose ? » Ils ont une crise idéologique, la même qu’on a pu avoir. Mais votre question : c’était le collectivisme va rappeler l’URSS. Non. Et puis dans l’URSS, il y avait des choses intéressantes ; des gens qui ont réussi à envoyer le premier satellite, qui ont réussi à faire des choses merveilleuses dans l’histoire de l’humanité…

« Nous avons un devoir d’optimisme. » © Mathieu Génon / Reporterre

Le collectivisme, ou alors l’entraide. C’est le titre d’un grand livre de Kropotkine, qui était anarchiste. Est-ce que vous seriez plutôt anarchiste ou plutôt collectiviste ?

Alors, en vieillissant, mon cas s’est aggravé parce que j’ai toujours été à l’écoute des libertaires, qui m’ont empêché de m’enfermer dans mon sectarisme initial. J’avais beaucoup de potes qui étaient dans cette mentalité. Ça m’a aidé à garder l’esprit ouvert. Fondamentalement, je me sens plus proche d’eux que du Parti communiste de l’URSS, avec lequel je n’ai rien à voir.

Sécheresse, manque d’eau, l’eau en bouteille plastique de moins bonne qualité que l’eau du robinet, l’échec des négociations sur la protection de la haute mer, l’élévation de la température des mers, la Méditerranée qui n’a jamais été aussi chaude cet été… On peut craindre, vous l’avez déjà dit, des pluies diluviennes en octobre ou en novembre sur le sud de la France. Que peut-on faire pour sauver l’eau ?

Attendez d’abord que je donne un sentiment personnel du regard sur l’histoire. Nous sommes entrés dans cette phase où la civilisation humaine telle que nous la connaissons, c’est-à-dire globalisée et constituée d’une masse immense d’êtres humains, est en danger. Ça, c’est le point numéro un. Le capitalisme est fondamentalement responsable de la catastrophe. Pourquoi ? Parce que l’augmentation du nombre des êtres humains est considérable. 200 000 ans pour produire le premier milliard d’êtres humains, à peine un siècle pour le deuxième. Et là, tous les quatorze ans nous progressons d’un milliard. Et cette masse d’êtres humains pratique un mode de production absurde et prédateur. Le capitalisme est un système par nature frénétique — il faut que la marchandise se transforme en argent pour redevenir des marchandises, plus ça tourne vite, mieux c’est, peu importe ce qu’on vend, des castagnettes, des choses qui ne servent à rien… N’importe quoi, tout le temps, et on vend et on vend et on vend, il faut que ça tourne. C’est la condition de l’accumulation du capitalisme, dont le code génétique est d’accumuler. Il faut en finir avec ce système, en sortir pour pouvoir retrouver des conditions plus rationnelles de gestion de notre rapport à nous-mêmes. Que vaut un système qui rend tout le monde malade et qui pourrit notre environnement ?

Sur l’eau donc, vous êtes un des rares responsables politiques à avoir autant d’intérêt sur cette question, au point d’en avoir fait l’un des fils de votre campagne. Et pourtant, elle a été largement absente des débats.

Je ne suis pas arrivé à la mettre dans le débat. L’appareil médiatique ne s’y intéresse pas. Pourtant, durant la campagne, j’ai été voir le Saut du Doubs, à sec. Les rivières à sec, disons que l’année dernière, personne n’y croyait. Moi, ça me sidérait d’apprendre que le Doubs pouvait être à sec. Le Saut du Doubs, c’est la plus belle cascade d’Europe. Mais ça n’intéresse pas. Et puis quand on dit « le cycle de l’eau », tout le monde dit « oh la la, c’est trop compliqué ». Donc, la question de l’eau m’amène à une critique encore plus radicale du capitalisme. Prenons un exemple très simple, le Lyon-Turin...

C’est un projet de tunnel ferroviaire très disputé entre la France et l’Italie.

S’il est discuté, c’est parce qu’il est très discutable. Dans mon équipe, il y a une personne qui depuis plus de quinze ans, m’alerte, me forme, Gabriel Amard. Et il me dit que c’est une catastrophe écologique, parce que toute l’eau qui est dans les Alpes descend dans le trou qu’on creuse. Et là à 120 litres par seconde, m’a-t-il dit. On est en train de vider le contenu d’eau des Alpes. Il faut qu’on arrête toutes ces bêtises !

« Le capitalisme est fondamentalement responsable de la catastrophe. Il faut en finir avec ce système, en sortir pour pouvoir retrouver des conditions plus rationnelles de gestion de notre rapport à nous-mêmes. » © Mathieu Génon / Reporterre

Alors, le cycle de l’eau, il faut le reprendre. Qu’est-ce qu’on peut faire ? Un : on réorganise les régions. Celles qu’ils ont fabriquées n’ont aucun sens. Je propose qu’on transforme les régions, leur périmètre, et qu’on parte des bassins versants. Je suis pour la reconstruction de la dimension régionale, en revenant à une donnée écologique pour son organisation. Des écologues parlent de biorégions. On a les Agences de bassin, créons des délégués environnement, comme le demandait FNE [France Nature Environnement], c’est-à-dire les représentants syndicaux du cadre de vie de la biosphère. Partout, nous pouvons reconstituer les berges des rivières, les réherber, empêcher le désherbement pour qu’on cesse de voir dégringoler dans la rivière la totalité de ce qui se trouve dans la terre. Alors vous voyez, on peut faire plein de choses. Et aussi, arrêter de perdre de l’eau parce qu’on en perd entre 20 et 50 %, dans les réseaux.

À court terme, il y a la constitution de mégabassines, proposées par un certain nombre d’agriculteurs, notamment dans les Deux-Sèvres et aux alentours. Qu’en pensez-vous ?

Ils se trompent, il faut discuter avec eux.

Est-ce que vous êtes d’accord quand ceux qui s’y opposent, par exemple la Confédération paysanne, sabotent des mégabassines ?

Je ne peux pas dire une chose pareille. Mais je dis aux gens que leur auto-organisation et le devoir de désobéissance existent. À un moment donné, il y a un devoir de désobéissance civique : « Je n’obéis pas, parce que vous avez décidé ça sans qu’on ait pu en discuter nulle part. Et moi, je n’accepte pas une loi qui s’impose à moi et qui est désastreuse. » Faire des bassines est le contraire de ce qu’il faut faire aujourd’hui compte tenu de la perturbation générale du cycle de l’eau.

Élisabeth Borne a opposé l’écologie des petits pas et la décroissance. Vous êtes plutôt écologie des petits pas ou écologie de la décroissance ?

Ça ne veut rien dire. Il faut des petits pas, tout le monde le sait. Et il faut des ruptures absolues, complètes, fondamentales. Nous sommes, les partis cosignataires du programme de la Nupes, dans une logique de rupture avec le système. On ne les voit pas tous au même endroit. Mais enfin, on est tous dans la logique où il faut changer le monde de fond en comble. Mme Borne oppose les gens raisonnables, qui trient leurs ordures — nous le faisons tous — et pendant ce temps, elle vient en jet — je ne dis pas qu’elle soit venue en jet, mais qu’il y a une manière de se foutre du monde qui a atteint ses limites : il est demandé à tout le monde de faire des petits gestes, de faire le colibri. Et pendant ce temps, le gros vautour ou le grand aigle continue à faire sa picorée comme il l’entend.

« Il faut des petits pas, tout le monde le sait. Et il faut des ruptures absolues, complètes, fondamentales. » © Mathieu Génon / Reporterre

Elle dit aussi que la France insoumise recherche le chaos.

Ils parlent tout le temps comme ça, ils insultent. Alors le chaos, madame Borne, c’est comme la gravitation et c’est comme la lutte de classes, de toute façon, ça a lieu, alors mieux vaut faire face. Mais c’est vous qui avez mis le chaos : en vidant les hôpitaux de leurs lits, en vidant les écoles de leurs profs, en laissant les tuyaux être percés partout. Le chaos, c’est vous. Et nous, nous essayons de réparer le chaos en comptant sur la seule chose dont on dispose, l’entraide, l’intelligence, le savoir et la jeunesse qui est en train de vous filer entre les doigts. C’est les garçons et les filles d’Agro qui disent : « Ouais, le diplôme qu’on a sur l’agriculture, génial, on est content de l’avoir, mais on ne fera pas cette agriculture-là. » Est-ce que vous voyez l’immense révolte intellectuelle du sens de la vie que la jeune génération a compris et assimilé ?

Mais vous savez quoi ? Le bonheur est possible. C’est la formule de Saint-Just qui disait « Le bonheur est une idée neuve en Europe. » C’était en 1789, alors on l’a oublié. Eh bien, c’est redevenu une idée neuve en Europe.

La députée Nupes et France insoumise, Clémentine Autain, a publié fin août un texte appelant à plus de démocratie au sein de La France insoumise. Elle écrit : « Les lieux de la prise de décision restent flous. L’espace du débat stratégique n’est pas identifié. La partition entre le local et le national mériterait d’être redéfinie. » Que répondez-vous à l’interpellation de Clémentine Autain ?

Je l’ai déjà dit, elle a raison. Je ne vous cache pas que j’étais un peu surpris par ce moment, parce qu’elle participait toutes les semaines à la prise de décision.

Au groupe parlementaire.

Mais oui, alors évidemment que maintenant, à 75, c’est moins facile. Mais on décidait de tout. « On va faire ça, on va dire ça, on va taper si, on va faire là », on a décidé des campagnes, on a décidé des marches, on a pris des décisions stratégiques. Ensuite le mouvement s’est dit : « On ne peut pas continuer comme ça. Il y a des choses qui sont dans la durée. » Alors on a coordonné les espaces du mouvement insoumis : l’espace des luttes, l’espace politique, etc. Et puis il y a le tirage au sort avec lequel on constitue une assemblée représentative. Ensuite, on met aux voix dans le mouvement les campagnes qu’on va mener. Tout cela est déroutant pour tous ceux qui ont la vieille culture de partis et de la valorisation d’un pouvoir de nuisance. Regardez où en sont les écolos.

Ils se débrouilleront ; là c’est au sein du Mouvement de la France insoumise qu’on dit « il faut plus de pluralisme ».

Il y a du pluralisme. Par exemple, il y en a qui sont pour l’interdiction de la corrida et d’autre pas. On va me dire, c’est résiduel. C’est que nous avons réglé les autres questions. Le programme, on l’a. Deuxièmement, il y a la stratégie. Vous aviez les unitaires absolus dans nos rangs, et ceux qui, comme moi, pensaient que l’union ne serait possible qu’autour de la ligne de rupture et pas de la ligne de centre gauche. Il a fallu tenir bon, serrer les dents, vivre sous l’insulte, être traité de sectaire sans arrêt. On a tenu bon et on a gagné parce que la masse des Français, 7 700 000, ont dit : « On fait comme ça. » Donc nous avons réglé deux des questions les plus importantes de la vie d’un parti.

Il en reste une troisième. Qui est le candidat ? Mais dites, c’est dans cinq ans, on a le temps de voir, non ? Aux élections nationales, c’est une commission faite de gens tirés au sort qui désigne les candidats. Alors évidemment, il n’y a pas de tendances, de sous-tendances et tout ça.Il y a la méthode que nous avons appliquée, avec Clémentine, et avec tout le monde, c’est la palabre sous le banian. On discute jusqu’à ce qu’on soit d’accord. Et quand on peut pas, parce que finalement on n’y arrive pas, on tire au sort.

On ne fera pas de courants aussi longtemps qu’on voudra bien m’écouter. Il faut organiser des grands débats, à condition que ce soit des débats, pas des batailles rangées. Dans la fondation La Boétie, à laquelle je vais me consacrer car c’est le travail intellectuel que j’aime et qui me maintient en forme, on va mettre en débat…

À l’issue des élections, vous avez dit « Faites sans moi, mais faites mieux ». Votre rôle, c’est quoi aujourd’hui ?

On me confiera une tâche. Je suis en forme, ça doit s’entendre. Mais je n’aspire pas à renouveler sans cesse le même rôle. Parce que je m’en lasse, parce que les gens qui croient que c’est une partie de plaisir ne sont pas vraiment bien informés sur ce que ça représente de marcher devant. Tout le monde râle tout le temps et c’est contre vous. Et quand ça va bien, c’est grâce à tout le monde. Quand ça va mal, c’est de votre faute.

Donc ça serait peut-être bien, puisque vous vous fatiguez sur ce plan moral, que d’autres prennent cette place difficile.

Absolument, et c’est bien ce que j’ai organisé. Qui d’autre qu’un leader comme moi a généré, a participé à la formation d’une organisation qui a produit autant de personnalités aussi jeunes, aussi bien formées et qui ont pris le pouvoir ? Et d’ailleurs, pour que ça aille plus vite, je n’ai pas demandé à renouveler mon mandat de député. J’ai considéré que les Marseillaises et les Marseillais, en me donnant 55 % au premier tour dans ma circonscription pour la présidentielle, m’avaient dit : « Bon, t’as bien bossé. » Vous m’avez signé mon bon de sortie.

Comment est-ce qu’on laisse la place aux autres ?

Je vais vous le dire, parce que j’ai la réponse, que j’ai dite à mes jeunes camarades : le premier qui déclenche une guerre civile [au sein du mouvement], il aura affaire à moi. Il y a toujours des bonnes raisons pour déclencher des guerres… Mais voilà ma consigne : faites-vous aimer. Celui ou celle qui sera le plus aimé du grand nombre, vous verrez que cela vous paraîtra naturel de dire : allez, vas-y ! Alors, pour ce qui concerne la suite des candidatures à l’élection présidentielle, craignez plutôt le trop plein que le trop vide. Donc ça va se faire.

« À mes jeunes camarades, voilà ma consigne : faites-vous aimer. » © Mathieu Génon / Reporterre

Vous, c’est clair que vous n’avez pas l’intention de vous représenter ?

Je souhaite être remplacé. Voilà ce que j’ai à dire.

Vous ne voulez pas être candidat en 2000… ?

Oui, c’est ça, en 2027, et pourquoi pas en 2056. Vous savez, vous, où vous serez demain matin ? Nous sommes tous mortels, cher ami, et à partir d’un certain âge, la probabilité augmente. Comme m’avait dit une fois le président Mitterrand, on est tous le vieux de quelqu’un, à tous âges, et on termine tous de la même manière.

Je souhaite, parce que la nouvelle génération rend ça possible, des dirigeants qui sont capables d’incarner un rôle pareil. Donc je voudrais qu’on arrête de me bassiner avec ça. Je ne suis pas candidat à la candidature permanente. Je l’ai fait déjà trois fois, parce que la nécessité commandait.

Et à l’avenir, j’ai une tâche : j’ai formulé pour la première fois une théorie d’ensemble qui nous permet la synthèse entre l’écologie politique, l’héritage du socialisme historique, le républicanisme, et ça s’appelle la théorie de l’ère du peuple et de la révolution citoyenne. Ma tâche est de terminer ce travail intellectuel.

Pour le reste, vous n’allez pas m’empêcher d’aller à la manif et d’y appeler, non ? Une marche aura lieu à la mi-octobre. Il faut y aller. Les gens, il faut vous battre ! Il ne faut pas vous laisser faire. Le monde peut changer de base et il faut absolument que ce soit le cas.

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