BruZelle, seule asbl de lutte contre la précarité menstruelle en Belgique : "Plus on distribue, plus nous sommes connus”
Seul organe permanent de lutte contre la précarité menstruelle en Belgique, l'asbl BruZelle mène un combat de tous les instants contre un phénomène longtemps ignoré.
- Publié le 08-09-2022 à 11h19
- Mis à jour le 08-09-2022 à 12h24
Il faut être acteur du changement que l’on souhaite. Voilà comment résumer la création de BruZelle, une asbl qui vient en aide aux personnes affectées par la précarité menstruelle. Le projet a vu le jour à Bruxelles en 2016, à l’initiative de Veronica Martinez.
Tout démarre par une rencontre. "J'ai rencontré une SDF dans le métro. Je pensais pouvoir lui donner de la nourriture ou de l'argent, mais elle m'a demandé un tampon… J'étais très surprise. Elle m'a dit qu'elle était réglée et qu'elle n'avait rien pour prendre soin d'elle. Nous avons entamé une longue conversation sur cette thématique, et le sujet a continué à faire son bout de chemin dans ma tête", raconte-t-elle.
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Et le constat est sans appel. Veronica découvre qu'il n'existe aucune solution structurelle. Face à l'absence totale de structure, elle décide donc de remplir le vide. "Avec l'aide de quelques copines, et des bénévoles, on a lancé le projet. Nous avions toutes un travail, donc on s'en occupait sur le côté, les week-ends et jours fériés. Mais on ne parvenait pas à répondre à toute la demande, ce qui générait pas mal de frustration…"
Beaucoup à faire et peu de moyens
C'est grâce au bénévolat et à la motivation de proches que le projet peut prendre forme. "J'ai la chance d'avoir un mari informaticien qui a pu créer une page, un site web, et nous donner directement une certaine visibilité. Parce qu'en 2016, la précarité menstruelle, c'était inconnu au bataillon…", rappelle Veronica. Mais rapidement, le projet trouve écho dans son entourage. "Les gens me disaient souvent : 'Oui, c'est vrai, je n'y avais pas pensé'. Mais qu'on vive dans un château ou dans la rue, c'est comme ça, les règles tombent tous les 28 jours."
En 2017, BruZelle devient une asbl, "statut qui donne pignon sur rue, plus de crédibilité et de visibilité, ce qui est important au début". Elle se concentre sur l'aide aux femmes sans-abris, mais rapidement, le public va s'élargir. Mamans isolées, femmes à faibles revenus, étudiantes, migrantes, demandes croissantes de la part d'associations, etc. Les sollicitations ne cessent de croître. De 50 000 serviettes distribuées en 2017, l'asbl est passée à 670 600 en 2021. "Nous avoisinons les 1 800 000 serviettes menstruelles distribuées gratuitement sur tout le territoire belge depuis la création de BruZelle", glisse encore la fondatrice.
Plus on creuse, plus il faut creuser…
Et si BruZelle connait cette croissance rapide, c'est parce qu'elle a mis en lumière une problématique jusqu'ici invisible, et qu'elle reste l'unique organisme de la sorte chez nous. Après Bruxelles, l'asbl a ouvert une antenne à Tournai, Ath, Namur, Liège, Verviers et Frameries en Wallonie. En Flandre, deux antennes ont été créées à Anvers et Louvain. "Et partout : plus on distribue, plus nous sommes connus."
Ce développement a notamment été permis par le soutien des autorités via l'attribution de subsides. "En 2019, nous avons reçu un premier subside de 25 000 euros de la COCOM (Commission communautaire commune). Il nous a permis de louer notre local situé rue Locquenghien et de nous implanter durablement. Depuis 2020, la COCOM nous octroie un subside de 40 000 euros, ce qui permet de payer les frais de location de notre bureau et une partie de mon salaire : depuis août 2020, je peux me consacrer à temps plein à BruZelle", détaille encore Veronica.
"Le dernier subside accordé par la FWB, 68 000 euros, m’a permis d’engager une personne en plus pour un an. Fin 2021, la FWB, via le Cabinet Daerden, nous a octroyé un subside de 68 000 euros, ce qui nous a permis d’engager une personne supplémentaire afin d’étendre l’action de BruZelle en Wallonie. Et en juin 2022 nous avons obtenu un subside de l’Institut pour l’Egalité des Femmes et des Hommes, sous l’impulsion de l’appel à projet de Sarah Schlitz, afin d’engager une personne pour développer la sensibilisation à la santé et la précarité menstruelles principalement en Flandre.”
Les moyens financiers supplémentaires ont aussi permis d'acquérir davantage de protections, "ce qui a permis de répondre à davantage de demandes. Mais on reste avec des emplois très précaires : on dépend pleinement de ces subsides. Si l'année prochaine ils ne sont pas reconduits, nous n'avons plus de boulot et il n'y a plus de BruZelle…", précise-t-elle.
Le Covid-19, nouvel écueil
Déjà bien occupée, l'asbl BruZelle a noté, avec l'arrivée du Covid-19, une nouvelle hausse des demandes de collaboration avec de nouvelles associations, de l'ordre de 20 %. "On a eu pas mal de personnes qui venaient directement à notre bureau pour demander des trousses, ce qui était assez rare jusque-là. Via BruZelle, j'ai rencontré une population du quart-monde, chez nous, en Belgique, et qui est complètement invisible", regrette-t-elle.
Mais si le public à soutenir semble toujours plus large, Veronica ne perd pas sa motivation, loin de là. "Je la perdrais si nous n'avions pas de soutien politique, notamment via l'attribution de subsides : cela voudrait dire qu'il n'y aurait pas de reconnaissance du travail accompli. Heureusement ce n'est pas le cas. Puis je peux aussi compter sur la motivation des gens qui m'entourent", confie-t-elle. "Puis au niveau politique, plus personne ne peut dire aujourd'hui qu'il ignore ce qu'est la précarité menstruelle. Il y a donc un éveil, c'est certain."
Outre le soutien au quotidien, l'asbl espère, via son action, mener à de véritables changements structurels. "Les produits menstruels ont un coût très élevé et faire passer la TVA à 0 % me semble une évidence. S'il y a une volonté politique, c'est tout à fait possible. C'est une question de se donner les moyens, d'accorder une réelle importance à la lutte contre la précarité menstruelle. "
BruZelle, en bref
Concrètement, l'asbl BruZelle confectionne des trousses qui sont ensuite distribuées au travers d'associations présentes sur le terrain au contact de publics précarisés. "Une fois confectionnée, chaque trousse est garnie de 20 serviettes menstruelles et d'un feuillet informatif", explique l'asbl sur son site web. BruZelle fonctionne en partie grâce aux dons de citoyens et citoyennes. Si son bureau central se situe à Bruxelles, BruZelle possède aujourd'hui des centres dans plusieurs grandes villes de Belgique, mais pas uniquement. Pour récolter les dons, 135 points de collecte sont répartis un peu partout sur le territoire.
Si vous désirez faire un don, vous pouvez retrouver l'ensemble de ces points ici.