abo Enquête sur Didier Raoult et l’IHU: «La liste de délits potentiels est longue comme le bras»

Didier Raoult, professeur de médecine infectieuse et microbiologiste, a dirigé l’Institut hospitalo-universitaire Méditerranée infection (IHU-MI) jusqu'au 21 août 2022. | Keystone / AP / Christophe Ena
Didier Raoult, professeur de médecine infectieuse et microbiologiste, a dirigé l’Institut hospitalo-universitaire Méditerranée infection (IHU-MI) jusqu'au 21 août 2022. | Keystone / AP / Christophe Ena

Les ennuis s’accumulent autour du Pr Didier Raoult et de l’Institut hospitalo-universitaire Méditerranée infection (IHU-MI) qu’il dirigeait encore jusqu’en août dernier. Le rapport définitif des autorités publiques françaises, publié le 5 septembre 2022, est accablant pour le microbiologiste et son entourage, et ouvre la voie à de possibles poursuites pénales. Victor Garcia, journaliste scientifique à L’Express ayant enquêté sur le sujet, nous éclaire.

Heidi.news – Vous enquêtez depuis plus de deux ans sur Didier Raoult et l’IHU-MI. Pourquoi?

Victor Garcia – Cela remonte à mars 2020 et la première vidéo «fin de partie» pour Covid, publiée par Didier Raoult sur Youtube. A l’époque on ne savait pas si la chloroquine marchait ou pas, j’appelle l’IHU et je tombe sur un de ses bras droits pour demander des données scientifiques – au-delà du communiqué chinois mentionné comme source. On me fait une réponse d’autorité très surprenante: «Monsieur, nous travaillons sur cette molécule depuis plus de trente ans». J’ai l’habitude de parler avec des scientifiques et j’étais très étonné d’avoir une réponse aussi légère de la part d’un médecin-chercheur.

J’ai lancé l’enquête, d’abord sur les études scientifiques sorties par l’IHU sur la chloroquine – dont la méthodologie était à chaque fois critiquée par la communauté scientifique – puis sur les financements publics obtenus grâce aux articles publiés. Ce qui m’avait marqué, c’était leur assurance et leur manque de prudence, alors même que l’écart avec la communauté scientifique se creusait au fil des mois.

Le rapport définitif de l’Igas-Igesr sur les dysfonctionnements au sein de l’IHU vient de sortir, et il est au vitriol. En quoi consiste cette enquête administrative, et que nous apprend-elle de neuf?

L’Inspection générale des affaire sociales (Igas) c’est un service administratif mandaté par le ministère de la santé, et l’Igesr son équivalent pour l’enseignement supérieur. Les inspecteurs de ces corps concentrent un grand pouvoir d’investigation publique, qui couvre les ressources humaines, le volet financier, la recherche et le soin. C’est une enquête extrêmement sérieuse. Le rapport préliminaire avait fuité dans la presse en juillet, ce qui est nouveau c’est qu’ils ont intégré les réponses glanées pendant la phase contradictoire, de la présidente de la fondation de l’IHU-MI, des hôpitaux universitaires de Marseille, de Didier Raoult… Et ce qui est hallucinant c’est qu’ils ont répondu avec des arguments complètement erronés ou à côté de la plaque, battus en brèche par les inspecteurs eux-mêmes dans leur réponse.

Quelle sont les «pratiques médicales et scientifiques inappropriées» que dénoncent les inspecteurs?

Par exemple, un des gros volets de l’enquête sur concentre sur les soupçons de problèmes dans le recueil du consentement des patients d’essais cliniques. On trouve des signatures en copier-coller dans les feuilles de consentement éclairé, des mineurs recrutés sans consentement des parents, des patients étrangers recrutés comme par magie, ce qui est totalement illégal. Pour une étude ayant impliqué des personnes originaires d’Afrique, les enquêteurs demandent s’il y a bien eu recueil du consentement libre et éclairé. La réponse c’est une pièce jointe, avec des données médicales personnelles, et sur une des fiches le chercheur écrit «l’interrogatoire du patient est impossible, le patient n’étant ni francophone, ni anglophone». Ce qui ne l’a pas étonnamment pas empêché de signer une fiche de consentement pour être intégré à la recherche.

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On y trouve aussi ce que j’avais révélé dans mes enquêtes récentes, à savoir que l’IHU a publié des études scientifiques sans autorisation de comité de protection des personnes (CPP) ou de comité d’éthique indépendant (CPP) ou de l’ANSM, l’agence qui doit valider les recherches humaines les plus sensibles. Il y a aussi eu un volet de Mediapart concernant un essai sauvage sur la tuberculose. L’enquête de l’ANSM (menée en parallèle de celle de l’Igas-Igesr et dont les conclusions sont sorties en avril, ndlr.) avait été lancée sur la base de ces révélations.

Le rapport dénonce aussi des pratiques managériales «inappropriées et inquiétantes». De quoi s’agit-il?

Mon enquête a révélé qu’il y avait eu un cluster Covid à l’étage de Didier Raoult. A l’époque Raoult considérait que c’était un virus principalement manuporté, pas aéroporté, et personne ne portait de masque. Certains craignaient même que ce soit considéré comme une marque de défiance à l’égard du chef. Un technicien de l’IHU, à cet étage, a eu des complications très graves. Il y a aussi des pratiques managériales avec une ambiance décrite comme sectaire par des témoins de l’IHU. Didier Raoult à la tête de l’institut, avec ses proches très fidèles, et impossible de le contredire, en l’absence de contrepouvoir.

Le rapport de l’Igas va plus loin car ils ont eu plus de 300 témoins sur place. Certaines personnes décrivent une ambiance de harcèlement, de malaise au travail, un management par la peur. Dans le rapport figure le témoignage de quelqu’un qui explique qu’un des médecins de l’IHU lui a lancé un ordinateur à la figure – sans le toucher. On voit qu’il y a un chef intouchable, et une pression pour pousser à la publication de résultats en partie falsifiés sur la chloroquine. Les inspecteurs dressent un tableau vraiment hallucinant – déjà dénoncé dans un rapport de 2015, étrangement tombé aux oubliettes.

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