Madam C.J. Walker (1867-1919), la femme qui transforma son peuple en une génération

Portrait de Madam C.J. Walker (1867-1919) en 1913 ©Getty - Photo by Addison N. Scurlock/Michael Ochs Archives/Getty Images
Portrait de Madam C.J. Walker (1867-1919) en 1913 ©Getty - Photo by Addison N. Scurlock/Michael Ochs Archives/Getty Images
Portrait de Madam C.J. Walker (1867-1919) en 1913 ©Getty - Photo by Addison N. Scurlock/Michael Ochs Archives/Getty Images
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Des histoires d’ascension sociale fulgurante, il y en a eu beaucoup aux Etats-Unis. Mais celle de Madam C.J. Walker est unique : elle est femme, africaine-américaine née de parents esclaves, et devenue millionnaire grâce à son empire du cosmétique.

Née en Louisiane sur une plantation de coton deux ans après la fin de la guerre de sécession, orpheline, puis mère-veuve, Sarah Breedlove est obsédée par la sortie de la pauvreté. Une nuit, elle rêve qu’un homme lui souffle la composition d’une lotion fortifiante pour cheveux devant lui permettre de retrouver sa beauté perdue à force de travail éreintant. De la vente en porte-à-porte à la production de masse et à l’ouverture d’une chaîne de salons de beauté pour Africaines-Américaines, les étapes s’enchaînent à une vitesse déconcertante.

Avec l’aide de son second mari dont elle adopte le nom précédé d’un très digne "Madam", elle s’approprie les nouvelles techniques de marketing pour la vente de ses produits pour cheveux et cosmétiques : personnalisation de la publicité, développement de licences pour ses salons de beauté, formation des esthéticiennes...

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Dans les quartiers noirs des petites et grandes villes qu’elle sillonne derrière le volant de sa décapotable, chapeau à plume et col en fourrure, Madam C.J. Walker devient une philanthrope autant qu’un modèle pour la communauté : elle crée de très nombreux emplois tout en défendant avec insolence son apparence de "lady" noire.

Madam C.J. Walker au volant de sa voiture (1911). The New York Public Library
Madam C.J. Walker au volant de sa voiture (1911). The New York Public Library
© Getty - Photo by Smith Collection/Gado/Getty Images

Elle enseigne à des femmes soucieuses d’apparaître dignes et respectables -deux valeurs clés pour l’élévation de la race- comment s’embellir sans chercher à aligner les corps noirs sur les canons de beauté blancs. Elle inspire ainsi la fierté du corps à une communauté encore assujettie à la ségrégation et aux vexations raciales.

Militante avant la lettre du "Black is beautiful", elle meurt en véritable "race woman", défenseuse et porte-parole de sa "race", incarnation de la possibilité d’un insolent succès économique et social même pour les Africaines-Américaines. Plus encore que ses concurrentes directes, les Elisabeth Arden, Helena Rubinstein ou Annie Turnbo Malone, Madam C.J. Walker lègue aux femmes de sa communauté un message politique d’empowerment. Le grand sociologue et militant noir W.E.B. Du Bois a dit d’elle à sa mort : "elle a transformé son peuple en une génération".

Le conte Walker se poursuit au-delà de la disparition de la millionnaire. Sa fille, A’Leila Walker, égérie de la Harlem Renaissance, perpétue le nom et l’héritage à New York. L’empire cosmétique désormais établi dans le "Walker Building", phare de la beauté noire à Indianapolis lui survit et reste incontesté jusque dans les années 1960.

A'Lelia Walker (1885 - 1931), fille de Madam C.J. Walker, dans un des salons de sa mère (1920)
A'Lelia Walker (1885 - 1931), fille de Madam C.J. Walker, dans un des salons de sa mère (1920)
© Getty - Photo by George Rinhart/Corbis via Getty Images

Le mouvement noir radicalisé rejette alors les cheveux lissés rendus possibles par les produits Walker, car ils sont vus comme une compromission avec les standards blancs de beauté. L’Afro et les cheveux dits naturels détrônent la "coiffure Walker".

Aujourd’hui, le besoin d’offrir des figures africaines-américaines en modèles dans une Amérique dont le récit national est encore centré sur les hommes blancs ouvre la voie à une réhabilitation de l’héritage de Madam C.J. Walker.
La biographie écrite par A’Lelia Bundles, principale intervenante du documentaire, a largement contribué à cette réhabilitation. À travers cette histoire, c’est aujourd’hui une voie d’émancipation et d’affirmation noire, féministe avant la lettre que l’on découvre.

Ann Nixon Cooper, 107 ans, militante pour les droits des Afro-Américains à propos de l'investiture de Barack Obama à Washington (France Inter, Journal de 07h00, 20.01.2009)

1 min

Pour en parler

  • A’Lelia Bundles, journaliste, arrière-arrière-petite-fille de Madam C.J. Walker et sa biographe
  • Sarah Fila Bakabadio, historienne en études américaines et afro-américaines et maitresse de conférences à CY Cergy Paris Université
  • Ary Gordien, anthropologue, chargé de recherche CNRS à Paris/LARCA
  • Musa Jackson, travaille dans la mode et les médias à Harlem
  • Nefertiti Nah, doctorante en Etudes Anglophones à l'Université Paul-Valéry Montpellier 3

Merci à Daphné Bédinabé, Endika et Mimi Diva

Avec les voix de Hervé-Claude Ilin, Nathalie Kanoui, Mélodie Orru.

Toni Morrison dans le magazine "Hors Champs" de Laure Adler (France Culture, 30.10.2012)

2 min

Bibliographie

Filmographie
Documentaire de Stanley Nelson, Two Dollars and a Dream (1987)

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Musique

  • Brown gal, Lil Armstrong (Decca 1092)
  • Aquamarina, Elżbieta Sikora (sur Mnemosyne musique média)
  • I'm gonna keep my hair parted, Washboard Sam (Bluebird)
  • Harlem, Duke Ellington. Orchestre dirigé par Neeme Järvi (sur Music Heritage Société)
  • Harlem Hospitality, Cab Calloway
  • Mule walk, James P. Johnson (Blue Note)
  • Dont touch my hair, Solange
  • Nappy headed blues, Helen Humes (Okey)

Générique

Un documentaire de Pauline Peretz, réalisé par Anne Fleury. Prise de son, Florent Layani, Ludovic Augier, Jordan Fuenté. Mixage, Eric Villenfin. Archives Ina, Marie-Sophie Guillet de la Brosse. Avec la collaboration d'Annelise Signoret de la Bibliothèque de Radio France. Attachée de production et page web, Sylvia Favre.

Pour aller plus loin

Maya Angelou, première femme noire "à avoir un million de dollars pour faire un film", dans "Radioscopie" de Jacques Chancel (France Inter, 04.11.1980)

1 min

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