Quand les esclaves haïtiens étaient contraints de payer une dette à la France

Alexandre Pétion, président de la jeune république d'Haïti de 1807 à 1818
Alexandre Pétion, président de la jeune république d'Haïti de 1807 à 1818
Quand les esclaves haïtiens étaient contraints de payer une dette à la France
Publicité

Quand les esclaves haïtiens étaient contraints de payer une dette à la France

Par

Haïti a payé sa liberté au prix fort. Au XIXe siècle, la France a imposé une dette colossale à son ancienne colonie. Et le pays en subit encore les conséquences aujourd’hui, d'après ce que révèle une enquête du New York Times très détaillée.

Tout au long du XIXe siècle, les esclaves affranchis haïtiens ont été contraints de payer une dette à leurs anciens maîtres français. Un paiement exorbitant qui a condamné la jeune nation à la pauvreté et à un sous-développement chronique.

Petit rappel de la chronologie des événements : en 1791, les esclaves de Saint-Domingue, colonie française des Antilles se révoltent dans l’île et abolissent l’esclavage.

Publicité

En 1802, Bonaparte envoie une expédition militaire pour écraser la révolte.

En 1804, les esclaves repoussent les Français et proclament l’indépendance de l'île qui devient Haïti.

Le 17 avril 1825, une flotte de navires français arrive au large de Port-au-Prince. L’escadre menace l'ancienne colonie d’un blocus et d’une intervention militaire. Après de longues négociations, un accord est finalement trouvé : Haïti devra payer une somme à la France pour qu’elle tienne ses navires éloignés.

Frédérique Beauvois, historienne : "Plusieurs sources évoquent des pleurs, des revendications des colons qui exigeaient des réparations pour leur perte. Il y a une volonté de répondre à ces colons, mais également de restaurer un ordre passé. On n’allait pas laisser d’anciens esclaves s'affranchir comme ça sans devoir payer quelque chose à la France."

Une île ravagée par la guerre

Le montant fixé par la France de Charles X est astronomique : 150 millions de francs-or, soit 10 fois le budget annuel du petit Etat. Mais Haïti n’est plus “la colonie la plus riche du monde" d’avant la Révolution.

Frédérique Beauvois : "La colonie de Saint-Domingue sortait d’une guerre civile où les moyens de production avaient été ravagés, où une bonne partie de la population était partie, où elle devait se reconstruire, construire une économie qui était majoritairement basée sur l’exportation."

La jeune république d'Haïti n’a pas les moyens de payer une telle somme. Elle est contrainte d’emprunter à des taux d’intérêt très élevés… et à des banques françaises : "Non seulement Haïti doit s'acquitter de cette somme, mais également de taux d’intérêt prohibitifs qu’implique l’emprunt qui va avec. C’est une mise sous sujétion économique d’une colonie qui a osé se révolter. Même si n’est plus une colonie, mais on fait tout néanmoins pour qu’elle demeure dans la misère.

Pour payer cette dette, Jean-Pierre Boyer, chef suprême de la nation, lève de lourds impôts.

Une nation plongée dans le sous-développement

La dette assèche les finances de l’île qui investit ce qui lui reste dans des forts militaires, pour faire face à la menace d’une invasion française… De l'argent que le gouvernement aurait pu utiliser dans des infrastructures vitales pour le développement de l'île.

Frédérique Beauvois : "Ce qui est important à souligner aussi, c’est l'embargo qu'il y a eu sur Haïti pendant des décennies. Ils ont dû vivre en vase clos. Quand vous voyez une photo satellite de la République dominicaine , ce n’est pas la même couleur. Haïti a dû vendre son bois pour survivre, s’est chauffée grâce à ce bois, a vécu en autarcie pendant des décennies. Leur environnement a été fortement dégradé du fait de cet embargo."

En 1838, Louis-Philippe, moins dur que Charles X, accepte de réduire la dette de 150 à 90 millions de francs-or dans un accord nommé “Traité de l’amitié”.

L’argent haïtien sert à dédommager les grands propriétaires français de l’ex-colonie, mais une partie va également dans les caisses de l’État français. Le reste est capté par des banques via des emprunts toxiques.

Haïti termine le paiement de cette dette en 1888 et les intérêts ne seront complètement remboursés que dans les années 1950.

En 2001, le président Aristide évoquait un manque à gagner total de 21,6 milliards pour Haïti, soit quasiment deux fois le PIB annuel de l’île aujourd’hui.

Selon l'enquête du New York Times, ce montant serait réaliste, voire sous-estimé.

La Question du jour
7 min