Les migrants sont souvent torturés dans les prisons libyennes. Crédit : Jérôme Tubiana/MSF
Les migrants sont souvent torturés dans les prisons libyennes. Crédit : Jérôme Tubiana/MSF

Une vidéo, qu'InfoMigrants s'est procurée, montre un jeune exilé se faire frapper par un homme armé. L'agresseur réclame à sa victime de l’argent, en échange de sa libération. Recroquevillé dans une pièce sombre, l’adolescent de 15 ans supplie son ravisseur d’arrêter. Ces images apportent une nouvelle preuve des violences subies par les migrants en Libye.

La vidéo dure deux minutes. Deux longues minutes durant lesquelles un jeune migrant africain se fait torturer par un homme parlant arabe. Recroquevillé au sol dans une pièce sombre, la victime, dont on voit le torse nu, subit les foudres de son ravisseur. Muni d’une arme, son agresseur alterne les coups et les simulacres d’exécution, tandis que le jeune exilé tente de se protéger le visage.

"L’argent… où est l’argent ?", répète à plusieurs reprises le bourreau. "Tu n’as pas d’argent ? Je ne te crois pas… Donne-moi 5 000 [dinars libyens, soit environ 1 000 euros, ndlr] et tu pourras sortir d’ici", insiste-t-il tout en frappant avec un bâton et son arme le migrant à terre. L’homme fait mine de réarmer son fusil et lance : "La prochaine sera dans ta tête".

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La victime sursaute à chaque fois que l'homme presse la détente. Le garçon le supplie d’arrêter, émet des gémissements et martèle qu’il n’a pas d’argent.

Selon l’agence Associated Press (AP), le garçon violenté est un Soudanais de 15 ans prénommé Mazen Adam. Originaire du Darfour, il aurait été enlevé par des hommes armés le 30 août, en banlieue de Tripoli, alors qu’il partait travailler.

Quelques heures seulement après son enlèvement, son père, Mohamed, a, lui aussi, été kidnappé dans l'ouest de la Libye. Il avait fui le Darfour fin 2017 avec ses quatre enfants après l’incendie de sa maison et la mort de sa femme. La famille s’est installée en Libye et tous ont été enregistrés comme demandeurs d’asile auprès du Haut-commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR).

À ce jour, les trois autres enfants de Mohamed Adam sont hébergés dans un centre de l'ONU à Tripoli. Interrogés par AP, ils disent être sans nouvelle de leur père et de leur frère.

Des milices brutales et organisées

La vidéo du jeune torturé a été filmée par le ravisseur et envoyée à sa famille, afin que ses proches paient une rançon en échange de sa libération. Ces images, également diffusées dans des groupes WhatsApp de Soudanais en Libye et qu'InfoMigrants s'est procuré, apportent une nouvelle preuve des exactions perpétrées contre les exilés.

En Libye, les abus envers les migrants sont monnaie courante. Dans ce pays en proie au chaos depuis la chute de Mouammar Kadhafi en 2011, les milices ont trouvé dans la question migratoire une manière de s’enrichir. Les groupes armés n’hésitent pas à kidnapper des exilés en pleine rue ou dans leur appartement, à filmer les tortures infligées dans le but d'extorquer de l’argent à leurs proches.

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InfoMigrants a recueilli ces dernières années nombre de témoignages d’exilés racontant les sévices subis dans les prisons clandestines. Plusieurs personnes ont également expliqué craindre de sortir dans les rues, par peur d’un enlèvement.

Ces derniers mois, une nouvelle milice, répondant directement aux ordres du gouvernement, sème un peu plus la terreur dans les rues libyennes parmi la population migrante. Cette organisation, nommée Autorité de soutien à la stabilité (ASS) et créée en janvier 2021, se distingue par des méthodes particulièrement brutales et opaques : passages à tabac, coups de fouet à l'aide de tuyaux d'arrosage, humiliations… 

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Très présente sur les côtes, la milice est désormais impliquée dans les opérations d'interception de migrants en mer, au même titre que les garde-côtes. L’ASS dirige aussi plusieurs centres de détention du pays, des structures bien connues pour être des lieux de violences en tout genre.

L'Union européenne accusée de "complicité"

Selon des sources officielles, citées par AP, l'ASS profiterait indirectement du soutien financier de l'Union européenne (UE). Depuis 2015, l'UE a donné plus de 500 millions d'euros au gouvernement de Tripoli pour l'aider à freiner les départs de migrants vers l'Europe.

Le gouvernement libyen détournerait ces fonds pour financer cette milice sur laquelle ni l'Europe ni l'ONU n'ont de droit de regard, d'après un ancien responsable des garde-côtes interrogé par AP.

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Malgré les preuves de plus en plus nombreuses des cas de maltraitance envers des migrants en Libye, l'UE n'a pas cessé son aide financière au pays. Pire, l'Union a elle-même reconnu dans un rapport confidentiel remis en début d'année que les autorités libyennes ont eu recours à un "usage excessif de la force" envers les migrants et que certaines interceptions en Méditerranée ont été menées à l'encontre de la règlementation internationale.

L'an dernier, Amnesty international a accusé l'UE de "complicité" dans les atrocités commises sur le sol libyen à l'encontre des exilés. L'ONG, comme le fait l'ONU, exhorte régulièrement les États membres à "suspendre leur coopération sur les migrations et les contrôles des frontières avec la Libye". En vain.

 

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