"Seulement trois collégiens ou lycéens sur dix ont déjà visité un monument historique": Stéphane Bern veut sensibiliser la jeune génération à la défense du patrimoine

L’animateur défend les vertus de la Mission Patrimoine, dont il est chargé depuis cinq ans, mais n’occulte pas ses limites et n’hésite pas à dénoncer les "aberrations" du gouvernement.

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Lionel Paoli lpaoli@nicematin.fr Publié le 15/09/2022 à 09:51, mis à jour le 15/09/2022 à 14:59
Pour Stéphane Bern, "le patrimoine, c’est ce qui réconcilie les mémoires". Photo Jean-François Ottonello

Lorsqu’ils l’ont vu arriver en 2017, brushing impeccable et toutes dents dehors, les experts des vieilles pierres se sont mordu les lèvres. Que venait faire ce trublion cathodique dans leur pré carré? Six ans plus tard, Stéphane Bern fait presque l’unanimité. Son Loto du patrimoine rapporte chaque année des dizaines de millions d’euros. "Des gouttes d’eau", persiflent les mauvaises langues, mais qui irriguent un territoire singulièrement aride.

Les Journées européennes du Patrimoine sont plébiscitées par les Français. Est-ce une réaction à un environnement urbain qui a tendance à s'enlaidir?

Je me suis souvent posé cette question. Quand j’étais enfant, j’habitais à Nancy dans un immeuble très laid. Mais à côté, il y avait la magnifique place Stanislas: cela m’a éveillé à la beauté, à l’art et au patrimoine. Nous sommes un peuple qui aime l’histoire, peut-être parce que l’exode rural nous a coupés de nos racines.

Le thème de cette édition est le "patrimoine durable". N'est-ce pas une façon inutile de "verdir" les enjeux?

Nos aïeux construisaient des choses durables. Puis, au XIXe et au XXe, on a fait pas mal de bêtises… C’est important de rappeler, aussi, que notre patrimoine bâti s’inscrit au cœur d’un patrimoine naturel que nous devons également préserver. Ce n’est pas toujours le cas.

Vous faites allusion aux éoliennes, que vous dénonciez dans une tribune publiée par "Le Figaro" en juin 2021?

Exactement. La baie de Saint-Brieuc va être défigurée [l’implantation de soixante-deux éoliennes en mer est prévue à l’horizon 2023, ndlr]. C’est une véritable aberration que commet le gouvernement au nom de l’écologie. J’aide à financer la rénovation de petites églises et, dans le même temps, on me met douze éoliennes à Cherré, à côté du Château de Haut-Buisson dans la Sarthe ! [Il soupire] Le préfet a signé les autorisations le 7 août.

Votre nomination à la tête de la Mission Patrimoine, en 2017, avait suscité des critiques. Certains historiens pointaient votre "inexpérience" et votre "vision orientée de l’histoire". Cinq ans après, c’est digéré?

Je ne les entends plus, c’est ça qui est frappant! [Il sourit] Ils pensaient que je ne sauverais que le trône et l’autel. Depuis, ils ont vu que je m’occupais également des écoles, des théâtres, des lieux de culture… Et surtout, que je ne me suis jamais abstenu de dire ce que je pensais. Je suis bénévole, donc je suis libre.

Avant d'être chargé de cette mission, aviez-vous conscience de la richesse du patrimoine et, incidemment, de l'état d'abandon profond dans lequel il se trouve?

Oui, c’est pour cela que j’ai accepté. Je milite en faveur de ces questions depuis mes 15 ans. J’avais conscience du déséquilibre entre les grands monuments qui reçoivent beaucoup d’argent, et le petit patrimoine rural qui souffre énormément. Au début, ça a été difficile : il a fallu batailler avec Bercy, se faire accepter par les Directions régionales des affaires culturelles (Drac) qui me regardaient de travers. Aujourd’hui, nous travaillons en bonne intelligence.

Un volet essentiel de votre mission, c'est de sensibiliser au patrimoine de proximité. En dehors du Loto du patrimoine, on voit peu de mesures pédagogiques sur ce thème. Faudrait-il faire davantage?

Absolument. Seulement trois collégiens ou lycéens sur dix ont déjà visité un monument historique. Ce n’est pas suffisant! Il faut sensibiliser la jeune génération à la défense du patrimoine et, pour cela, il faut rétablir les sorties scolaires en les rendant plus simples et plus accessibles. J’ai pu le constater en me rendant en Martinique : le patrimoine, c’est ce qui réconcilie les mémoires. C’est de l’art et de la culture à portée de main. Plus encore, c’est souvent le premier émoi culturel.

Vous collectez de 30 à 40 millions d’euros par an. C’est loin de couvrir les besoins réels estimés entre 400 à 750 millions. N'avez-vous pas le sentiment d'être un cache-misère?

Peut-être. Mais au moins, on aide à préserver le patrimoine non-protégé, alors que le gouvernement ne peut débloquer des fonds que pour le patrimoine protégé – c’est la loi. Je vous accorde que la frontière devient moins évidente quand je restaure la Maison de l’intendance du Jardin des plantes de Montpellier. Ce bâtiment est la propriété de l’université ; cette tâche ne devrait-elle pas revenir à l’État ? Même chose pour le Haras du Pin, en Normandie, qui appartient au ministère de la Culture.

Le choix des sites aidés peut surprendre. On a le sentiment qu'il faut être présent dans toutes les régions, ne fâcher personne. Avez-vous des regrets de ne pouvoir vous focaliser davantage sur certains édifices?

Le principe, c’est de favoriser une prise de conscience collective. Cet aspect est plus important que la somme que l’on apporte. Par exemple, lorsqu’on donne 500 000 euros pour une rénovation chiffrée à 1,5 million, on sert souvent de levier. Les collectivités locales abondent pour boucler le budget. D’où, parfois, l’impression qu’on « saupoudre ». Mais c’est une philosophie que j’assume : il n’y a aucune raison de privilégier une certaine typologie de patrimoine, ni une région par rapport à une autre. Tout est important.

Vous avez acquis un ancien collège royal et militaire à Thiron-Gardais, petit village du Perche (Eure-et-Loir), que vous rénovez à vos frais et sans aucune aide de l'État. Vous ne regrettez pas de vous être lancé dans ce chantier pharaonique?

J’ai parfois des moments d’angoisse lorsque ma banquière m’appelle. [Il rit] C’est l’aventure d’une vie. Je pense que c’est ce qui restera de moi. Mes émissions de télé, tout comme mes livres, seront vite oubliés. Je ne renie pas mon métier d’animateur. Mais là, il s’agit de redonner vie à un monument vieux de trois cents ans qui était en péril, de le préserver pour les trois siècles à venir. J’ai créé une fondation à laquelle je léguerai tout. Elle aura pour vocation de faire vivre ce lieu en le rendant accessible au public.

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