Femmes historiques (XIXe siècle, première partie) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

VII. Les femmes historiques du XIXe siècle (première partie)

Revivez toute l’Histoire en citations dans nos Chroniques, livres électroniques qui racontent l’histoire de France de la Gaule à nos jours, en 3 500 citations numérotées, sourcées, replacées dans leur contexte, et signées par près de 1 200 auteurs.

1. Duchesse de Berry (1798-1870), dernière Bourbon incarnant l’extrême fin de l’Ancien Régime et l’espoir des royalistes légitimistes avec son fils « Henri V », cette aventurière passionnée bouscule tous les codes. 

« Il est né, l’enfant du miracle
Héritier du sang d’un martyr,
Il est né d’un tardif oracle,
Il est né d’un dernier soupir. »1980

Alphonse de LAMARTINE (1790-1869), Méditations poétiques (1820)

Le poète gentilhomme, qui fut un temps dans les gardes du corps de Louis XVIII et joue les attachés d’ambassade en Italie, salue avec lyrisme la naissance du duc de Bordeaux, le 29 septembre 1820. Fils posthume du duc de Berry (assassiné en février) et de la duchesse de Berry Marie-Caroline, il prendra le nom de comte de Chambord et deviendra « Henri V » pour les royalistes légitimistes.

Le peuple qui se désintéresse d’une vie politique dont il est exclu au niveau parlementaire se passionne pour l’événement. Les Parisiens vont boire 200 000 bouteilles de Bordeaux en l’honneur de celui qui devrait être leur futur roi et ils chantent : « C’est un garçon ! / J’ai, dans mon allégresse / Compté deux fois douze coups de canon / Dans tout Paris on s’agite, on s’empresse / C’est un garçon ! » La France reste royaliste, même si Louis XVIII, le « Roi-fauteuil », n’a jamais réussi à devenir « le Désiré » comme il le souhaitait.

« Enfin, vous régnez ! Mon fils vous devra sa couronne. »2021

Duchesse de BERRY (1798-1870), à Charles X, 26 juillet 1830. Mémoires de la comtesse de Boigne (posthume, 1909)

Mère de l’« enfant du miracle », elle lit dans Le Moniteur le texte des quatre ordonnances – qualifiées de scélérates par l’opposition majoritaire. Cette bombe ultra va déclencher le lendemain la révolution des Trois Glorieuses (journées des 27, 28, 29 juillet) et la fin du règne des Bourbons !

« Louis-Philippe a grand soin de nos nippes et il nous prend notre couronne. »2062

Duchesse de BERRY (1798-1870), sur le chemin de l’exil avec son beau-père Charles X et toute la famille, à Vire, 11 août 1830. La Cour de Charles X (1892), Imbert de Saint-Amand

Elle apprend que Marie-Amélie, femme de Louis-Philippe, va lui envoyer une partie de sa garde-robe. Charles X, en roi déchu, se montre digne et finalement intelligent. Il s’est effacé pour faciliter la tâche du successeur, chargé d’annoncer son abdication devant les Chambres le 3 août et devenant sans plus d’agitation populaire Louis-Philippe Ier. Mais pour la duchesse de Berry, ce n’est qu’une fausse sortie. Elle n’a pas renoncé à faire valoir les droits de son fils au trône de France et l’opposition légitimiste causera quelques soucis à la nouvelle monarchie orléaniste.

« Madame […] votre fils est mon roi ! »2075

François René de CHATEAUBRIAND (1768-1848) à la duchesse de Berry (mère d’Henri V). Mémoires d’outre-tombe (posthume)

Pour Chateaubriand, Louis-Philippe le roi des Français n’est qu’un usurpateur. L’auteur sera poursuivi en cour d’assises pour son Mémoire sur la captivité de la duchesse de Berry (et acquitté en 1833). Il y rappelle le courage de son héroïne, la duchesse débarquée secrètement en France le 30 avril 1832, «  précipitée des délices de la vie dans un abîme d’infortune  », son épopée vendéenne où la duchesse «  a bivouaqué dans les bois, dans les marais […] combattu la nuit […] traversé les rivières à la nage, bravé les balles de l’ennemi, les pièges des espions  ». Il conclut par cette phrase célèbre devenue la devise des royalistes : «  votre fils est mon roi  ».

De fait, la duchesse tenta de soulever la Provence, puis la Vendée pour provoquer un restauration légitimiste. Arrêtée le 6 novembre à Nantes, internée au fort de Blaye sous la surveillance du futur maréchal Bugeaud, elle accouche en prison d’une fille, fruit d’un mariage secret : scandale ! La branche légitimiste en est discréditée.

« Elle nous a fait toutes cocues ! »

Comtesse de BOIGNE (1781-1866), Mémoires (posthume). Citée aussi dans le Journal des frères Goncourt

La comtesse qui a vécu sous onze règnes et régimes différents et tient toujours salon en royaliste libérale juge sévèrement l’inconduite de la duchesse de Berry, reflétant l’état d’esprit de son clan : « Elle a fait son parti cocu ». Le nom du père  n’est d’ailleurs pas révélé. «  Comment voulez-vous qu’on le dise, elle-même ne le sait pas  » aurait lâché un Chateaubriand quelques peu déboussolé. Pour Louis-Philippe la déclaration tombe à pic : celle qui se voulait régente de France ne sera donc qu’une aventurière. Certes, mais la « Bonne duchesse » reste dans l’histoire à d’autres titres !

« Les moustaches me poussent. »

Duchesse de BERRY (1798-1870), Laure Hillerin, La Duchesse de Berry, 2010

C’est déguisée en homme et sous le nom de « Petit Pierre » que Marie-Caroline (1m 55 et pas froid aux yeux) débarqua d’Angleterre pour rallier la France à la cause de son fils. Aventure ratée, mais elle a d’autres réussites à son actif.

Férue d’art, dès 17 ans et ses premières années parisiennes, Marie-Caroline Ferdinande Louise de Bourbon-Deux Siciles encourage les hommes de lettres, les peintres (dont une femme, Hortense Haudebourt-Lescot), les musiciens (Rossini en tête). Elle commence une collection de manuscrits et volumes imprimés : avec plus de 8 000 pièces, sa bibliothèque du château de Rosny deviendra l’une des plus spectaculaires de l’époque. Femme de goût, elle multiplie les commandes d’œuvres remarquables et fait prospérer la Manufacture de porcelaine de Sèvres.

Son mari le duc de Berry (second fils du futur Charles X), vingt ans de plus qu’elle, se laisse entraîner par la délicieuse impertinence de sa femme adorée qui se moque du qu’en dira-t-on comme de l’étiquette royale, des corsets qu’elle déteste et des jupes trop longues pour pouvoir marcher. On verra le couple princier monter dans un carrosse public, flâner sur les boulevards parisiens ou faire des emplettes dans une boutique…

Amatrice de voyages et d’expériences nouvelles, elle lance la vogue venue d’Angleterre des bains à Boulogne-sur-Mer et à Dieppe, première cité balnéaire de France vers 1820. Elle pratique ce loisir à la belle saison et le popularise auprès de la cour royale et de la bourgeoisie française, s’aventurant volontiers sur son Furet (cotre de l’État) avec ses dames de compagnie paniquées lors d’un bref naufrage. Comme l’impératrice Joséphine, férue de botanique la duchesse transforme le parc du château de Rosny dans le goût « paysagiste anglais » en vogue à l’époque. Elle fait planter des milliers d’essences d’arbres, d’arbustes et de fleurs, le peuple de cerfs et de daims, y acclimate des biches naines venues d’Asie centrale et des kangourous. Passionnée de fleurs exotiques, elle crée une vaste serre chaude.

La jeune veuve (surnommée « la jolie laide » pour son charme) s’installera ensuite aux Tuileries où elle s’adonne plus que jamais à ses plaisirs et joue de son influence. Mécène de nombreux artistes, adorant le spectacle, elle parraine le Gymnase rebaptisé en 1825 « Théâtre de Madame » et voué aux vaudevilles de Scribe. Elle soutient des manufactures et encourage l’économie. Surnommée « la Bonne duchesse »,  elle finance de multiples organisations et associations pour aider les victimes de catastrophes naturelles, les nécessiteux ou d’anciens serviteurs de la monarchie. Elle enthousiasme Boieldieu qui lui dédie son opéra La Dame Blanche en 1825, Chateaubriand qui admire ses audaces ou Alexandre Dumas qui la perçoit comme l’héroïne d’un futur roman… Ce que fut sa vie. Un tempérament passionné et subversif qui, toute sa vie, n’a cessé de provoquer le destin, braver les interdits et bousculer les convenances.

2. George Sand (1804-1876), romancière populaire, féministe exemplaire et politiquement engagée, c’est « la femme du siècle » à divers titres.

« Je travaille la nuit, je monte à cheval le jour, je joue au billard le soir, je dors le matin. C’est toujours la même vie. »:

George SAND (1804-1876), Correspondance

Elle prend aussi le temps d’écrire des lettres comme tous les Noms de l’époque, les plus passionnément romantiques destinées à son amant terrible, Musset. 26 volumes au total.

Surnommée la  Bonne Dame de Nohant, très populaire par ses romans humanitaires et rustiques, mais ses pièces de théâtre lui rapportent encore plus. Un acharnement critique et sexiste s’est déchaîné contre celle qui prit au début de sa carrière un pseudonyme masculin (inspiré de son amant Jules Sandeau, avec George sans « s » (à l’anglaise) pour être plus libre (d’écriture et de mœurs). Infatigable à sa table de travail, c’est la Vache à encre (selon Baudelaire), la Terrible Vache à écrire (pour Sainte-Beuve qui ne l’aime guère), la Vache laitière au beau style (pour Nietzsche qui ne la supporte pas), Miss Agenda pour sa ponctualité quand il faut remettre sa copie à l’éditeur ou au patron de presse (pour les romans publiés d’abord en feuilleton). Elle exaspérait Musset son amant de Venise qui ignorait la ponctualité, créant toujours « dans le génie ».

Sand qui n’a que du talent aime son travail, mais elle doit aussi nourrir sa petite famille (deux enfants), parfois ses amants, ses ami(e)s, entretenir sa chère maison de Nohant, un véritable domaine dans le Berry. Son « féminisme » (terme qu’elle contesterait) tient d’abord à son indépendance économique et sa liberté de mœurs affichée. Bien que passionnée par la politique, elle ne fut jamais tentée de se lancer dans l’arène comme Hugo et nombre de ses amis ou confrères.

« Écrivez, pendant que vous avez du génie, pendant que c’est le dieu qui vous dicte, et non la mémoire. »

George SAND (1804-1876), Correspondance

Dans la longue liste de ses amants et ses maîtresses plus ou moins célèbres à divers titres, il y a deux incontestables génies. Alfred de Musset, jeune romantique et déjà débauche, baptisé l’Enfant du siècle, vit avec elle une liaison passionnelle qui défraya la chronique entre 1833 et 1835, l’épisode des Amants de Venise divisant le tout Paris de l’époque entre « sandistes » et « mussetistes ». Il en tira quelques chefs d’œuvre, elle en fit une dépression nerveuse, avant de retrouver sa « féroce vigueur ».

Elle vécut ensuite près de dix ans avec Frédéric Chopin, le Polonais de Paris, compositeur romantique qui affolait les salons, les jeunes filles et un grand public. Sa fragilité attire George (très maternelle) dont la célébrité effraie Fréderic, pudique et réservé. Ils seront finalement amants (réfugiés à Majorque), mais c’est à Nohant qu’il écrira nombre de ses chefs d’œuvre, George jouissant sous le grand piano à queue. Ils rompront deux avant la mort du plus célèbre phtisique du siècle (avec Marguerite Gautier, alias la Dame aux camélias).

À côté de ces deux génies, Sand est assez intelligente et sensible pour savoir qu’elle n’a que du talent, mais c’est une force de la nature qui trouve justement ses sources d’inspiration et de consolation… dans la nature.

« La nature est éternellement jeune, belle et généreuse. Elle possède le secret du bonheur et nul n’a su le lui ravir. »

George SAND (1804-1876), La Mare au diable (1846)

Si l’amour lui inspira ses plus belles lettres (sa Correspondance avec Musset frôle le génie par harmonie imitative), elle doit ses meilleurs romans à la Nature. Sa campagne berrichonne lui fournit les personnages et nourrit ses pages : « Le rêve de la vie champêtre a été de tout temps l’idéal des villes et même celui des cours. » Edmond de Goncourt, dans son Journal, voit dans ce roman la preuve irréfutable que « les femmes ont le génie du faux » - mais c’est une mauvaise langue, comme son frère Jules.

« La nature est une œuvre d’art, mais Dieu est le seul artiste qui existe, et l’homme n’est qu’un arrangeur de mauvais goût. » Sand s’en émerveille dans un autre roman presque aussi connu, François le Champi (1848).

Autre passion de cette riche et forte nature, la Politique. Presque toute sa génération prend feu et flamme pour (ou contre) les révolutions de ce XIXe siècle explosif – exception à la règle, Théophile Gautier ce « parfait magicien des lettres françaises » (selon Baudelaire) qui affirme la doctrine de « l’art pour l’art » dans la préface de Mademoiselle de Maupin : « Qu’importe que ce soit un sabre ou un goupillon, ou un parapluie qui nous gouverne ! C’est toujours un bâton. »

« En France particulièrement, les mots ont plus d’empire que les idées. »

George SAND (1804-1876), Indiana (1832)

Hugo, Lamartine, Michelet, Tocqueville et tous les « Jeunes-France » romantiques se passionnent, parlent, écrivent à l’infini et jonglent avec les mots – mais c’est aussi au service des idées nouvelles. George vibre à l’unisson, surtout au lendemain de la révolution de 1848 qui donne naissance à la Deuxième République.

« Vive la République ! Quel rêve ! […] On est fou, on est ivre, on est heureux de s’être endormi dans la fange et de se réveiller dans les cieux. »2150

George SAND (1804-1876), Lettre au poète ouvrier Charles Poncy, 9 mars 1848, Correspondance (posthume)

Cette infatigable nature se précipite à Paris et s’enthousiasme comme ses confrères pour la République. Elle fonde La Cause du Peuple (hebdomadaire dont Sartre fera revivre le nom et qui deviendra Libération), elle ne pense plus qu’à la politique, le proclame et s’affiche aux côtés de Barbès (émeutier révolutionnaire libéré de prison grâce à la récente révolution), Louis Blanc et Ledru-Rollin (membres du gouvernement provisoire).

« Le gouvernement est composé d’hommes excellents pour la plupart, tous un peu incomplets et insuffisants à une tâche qui demanderait le génie de Napoléon et le cœur de Jésus. »2155

George SAND (1804-1876), Lettre au poète ouvrier Charles Poncy, mars 1848. L’Écrivain engagé et ses ambivalences : de Chateaubriand à Malraux (2003), Herbert R. Lottman

Les « hommes excellents », Lamartine en tête, sont des républicains radicaux et surtout modérés, députés de l’opposition sous la Monarchie de Juillet – Ledru-Rollin, Marie, Dupont de l’Eure, Garnier-Pagès, Arago le savant – ou des journalistes de gauche – Marrast, rédacteur du National, Flocon de La Réforme – et quelques socialistes imposés par les forces révolutionnaires – Louis Blanc, Albert, un mécanicien. Pour eux, le plus dur est à venir, mais après une première série de décrets les premiers jours, le gouvernement provisoire a déjà dû se rendre impopulaire en augmentant les impôts de 45 %, d’où le mécontentement des paysans. Toute la province se méfie à présent des décisions venues de Paris. Les circulaires du radical Ledru-Rollin passent mal à Bordeaux, Besançon, Beauvais, Troyes. Il faut la caution de Lamartine pour rassurer les modérés qu’effraient aussi les premières manifestations de rues dans la capitale.

George Sand déchantera bientôt, restant une infatigable épistolière.

« J’ai honte aujourd’hui d’être Française, moi qui naguère en étais si heureuse […] Je ne crois plus à l’existence d’une république qui commence par tuer ses prolétaires. »2174

George SAND (1804-1876), Lettre à Charlotte Marliani, juillet 1848. Les Écrivains devant la Révolution de 1848 (1948), Jean Pommier

Elle écrit ces mots à sa confidente et amie, montrant à quel point son cœur est du côté des émeutiers. La « bonne dame de Nohant » n’aura pas la même inconditionnalité pour la Commune de Paris en 1871. Mais toujours vigilante et raisonnable sinon raisonneuse, elle se méfiera plus encore de la Troisième République en ses débuts.

« Je sens une odeur de sacristie qui monte. »2433

George SAND (1804-1876), Lettre à Flaubert (1873). Cent Ans de République (1970), Jacques Chastenet

Le régime d’attente et de conservatisme fait l’objet de très vives attaques. Les républicains, en province, agitent devant les paysans l’épouvantail d’une restauration qui, en même temps qu’un roi, risque de ramener la dîme et les privilèges nobiliaires ! Les bonapartistes, souvent anticléricaux eux aussi, mènent à nouveau campagne et vont connaître un regain de popularité aux élections partielles. Le chemin vers une République plus conforme à notre idéal démocratique est encore long et les passions politiciennes ne cesseront d’agiter la France, pays des droits de l’homme. Quant à George Sand, elle est en cela l’héritière des Lumières et se méfie de la religion « un voile mensonger sur la parole du Christ, une fausse interprétation des sublimes Évangiles, et un obstacle insurmontable à la sainte égalité que Dieu promet, que Dieu accordera aux hommes sur la terre comme au ciel. »

« Je voudrais mourir par curiosité. »

George SAND (1804-1876), Lélia (1833)

Elle refuse la Légion d’honneur en 1873 et répond avec humour au ministre Jules Simon qui lui propose la décoration : « Ne faites pas cela, cher ami ; non, ne faites pas cela, je vous en prie ! Vous me rendriez ridicule. Vrai, me voyez-vous avec un ruban rouge sur l’estomac ? J’aurais l’air d’une vieille cantinière ! » Il est vrai que la jeune romantique est quasi-méconnaissable sur ses derniers portraits, mais elle reste toujours hyperactive, curieuse de tout et de tous, contrainte d’écrire pour le théâtre à cause d’embarras financiers. Mais déjà en 1855, son ami (et peintre) Eugène Delacroix jugeait qu’elle « écrit trop et pour de l’argent ».

Elle laisse une œuvre considérable, sinon toujours bien considérée  (plus de 70 romans, des nouvelles, contes, pièces de théâtre, textes politiques et articles de presse). Mais la femme reste exemplaire par son appétit de vie, sa force vitale, sa liberté farouche… comparable en divers points à Colette au siècle suivant. Les femmes d’aujourd’hui leur doivent autant, sinon plus qu’aux féministes autoproclamées.

3. Juliette Drouet (1806-1883), femme back-street passionnément liée à Hugo pendant plus de 50 ans.

« Je t’aime, mon grand Toto, je t’aime tous les jours davantage, cela n’est pas possible et cela est cependant sans que je sache moi-même comment cela se fait car du premier jour où je t’ai connu je t’ai aimé autant qu’à présent. C’est bien vrai, mon adoré. Je ne me lasse pas de te dire cela, et je crains que tu ne t’ennuies à l’entendre. »(

Juliette DROUET (1806-1883), Lettre du 26 janvier [1838], vendredi après-midi 2 h. ¾

Et le lendemain : « Mon grand Toto, jour [bonjour], mon grand Victor, jour, mon adoré. C’est ce soir que je vais en entendre de belles sur vous. Sublime, admirable, comme le grand Corneille, un géant, Victor Hugo, grand comme le monde. Bravo ! Bravo !! Bravo !!!!! Tout cela me bassinera le cœur et la tête et fera disparaître tous mes bobos, quitte à les reprendre après la représentation. Je t’adore, mon Toto. Eux, les hommes, ne font que t’admirer. » 27 janvier [1838], samedi après-midi 2 h.

Mais le surlendemain : « Mon cher petit bien-aimé, vilain, bête, méchant et menteur de Toto, vous n’êtes pas revenu comme vous me l’aviez si bien promis… » 28 janvier 1838, 11 h. ¼ du soir

Et encore et toujours : « Jour [Bonjour], mon Toto. Jour, mon petit o. Jour, mon gros To. Prends garde de laisser mouiller tes épaules, prends garde d’avoir froid… » 10 février 1838, samedi, 6 h. ¼ du soir.

Juliette Drouet, petite comédienne relativement insignifiante va se vouer en 1833 et pour le reste de ses jours à son amant surdoué, très tôt promu le plus grand auteur du siècle. Il s’engage à payer ses dettes et à l’entretenir. Il exigera d’elle une vie cloîtrée, monacale, ne pouvant sortir qu’en sa compagnie.

Femme back-street totalement anachronique à notre époque du mouvement #MeToo, passionnément heureuse et totalement dévouée, Juliette lui sera toujours fidèle, entièrement vouée à sa cause, recopiant ses manuscrits, pardonnant toutes ses incartades. Elle l’accompagne dans son exil de vingt ans. Quand sa femme Adèle décède, Juliette passe encore plus de temps auprès de lui. Elle mourra le 11 mai 1883 et lui deux ans plus tard, le 22 mai 1885. Les cinquante années de leur incroyable passion se trouvent contenues dans quelque 22 000 lettres échangées, témoignage de cet amour légendaire. Hugo, « Toto » ô combien infidèle, resta passionnément épris de sa « Juju » - ainsi qu’il la surnommait dans ses lettres.

On peut (se) poser la question : est-ce une vie, pour une femme ? Non, dans doute. Mais quand l’homme s’appelle Hugo… C’est assurément un destin hors du commun. Et une passion d’un demi-siècle.

4. La Malibran (1808-1836), diva du siècle de l’Opéra dont la mort à 28 ans bouleversa le monde.

« Le Ciel de ses élus devient-il envieux ?
Ou faut-il croire, hélas ! ce que disaient nos pères,
Que lorsqu’on meurt si jeune on est aimé des dieux ? »,

Alfred de MUSSET (1810-1857) Poésies nouvelles, À la Malibran (1837)

« L’Enfant du siècle » romantique fut au nombre de ses admirateurs et ses soupirants, avec Delacroix, Wagner, Rossini, Stendhal, Lamartine… Mais le monde entier pleura cette jeune morte de 28 ans.

D’origine espagnole, la Malibran est la plus célèbre cantatrice du siècle. D’une remarquable beauté, elle acquiert une voix exceptionnelle de colorature au prix d’un travail acharné qui lui permet toutes les acrobaties vocales, sans jamais perdre son timbre velouté lui permettant d’exprimer toute la gamme des sentiments.

Elle connaît une ascension fulgurante et une vie sentimentale tumultueuse, mariée à moins de 18 ans (pour échapper à son père) avec Eugène de Malibran, financier quinquagénaire bientôt en faillite. Elle lui doit quand même sa seconde passion après l’opéra : l’équitation.

Elle triomphe sur toutes les scènes lyriques, multipliant les rôles et les tournées, remariée avec le violoniste belge Charles-Auguste de Bériot, son amant depuis six ans et le père de son premier fils. De nouveau enceinte, elle fait une chute de cheval, mais refuse de se soigner pour honorer ses engagements : concerts à Liège, Aix la Chapelle, Paris, enfin au festival de Manchester. C’est là qu’elle meurt des suites de l’accident - formation d’un caillot de sang au cerveau.

« Beauté, génie, amour furent son nom de femme,
Écrit dans son regard, dans son cœur, dans sa voix.
Sous trois formes au ciel appartenait cette âme.
Pleurez, terre ! Et vous, cieux, accueillez-la trois fois ! »

Alphonse de LAMARTINE (1790-1869), quatrain sur la tombe de La Malibran à Bruxelles

Lamartine ne saurait être plus lyrique ! En termes moins romantiques et plus techniques, un musicien lui rend le plus bel hommage. 

« Depuis Mozart, on n’a jamais vu de vocation si énergiquement prononcée pour la musique. »

Louis-Joseph-Ferdinand HEROLD (1791-1833), Mémoires

Connu avant tout pour ses musiques d’opéras et de ballets, il débuta comme jeune pianiste virtuose et continua de composer pour cet instrument, mourant peu après quarante ans de phtisie (tuberculose pulmonaire, le mal du siècle).

5. Marie Duplessis (1824-1847), phtisique sitôt immortalisée en Marguerite Gautier dans la Dame aux camélias (roman et théâtre) et en Violetta dans la Traviata de Verdi.

« N’ayant pas encore l’âge où l’on invente, je me contente de raconter. »;

Alexandre DUMAS fils (1824-1895), La Dame aux Camélias (1848), Chapitre premier

À 20 ans, il fut l’amant de Marie Duplessis (entre septembre 1844 et août 1845), première grande courtisane du XIXe siècle, une femme belle, élancée, diaphane, mystérieuse et d’apparence fragile, partie de rien et gravissant les échelons de la prostitution en un temps record.

Un an après, la courtisane de 23 ans meurt chez elle (11 boulevard de la Madeleine), ruinée, abandonnée de tous, hormis un ancien amant et son mari le comte de Perregaux restés à ses côtés. Elle est inhumée dans une fosse commune avec les indigents, mais le comte la fait exhumer pour lui assurer au cimetière de Montmartre des funérailles décentes qui réuniront - malgré la légende - quelques centaines de personnes, dont naturellement Dumas fils. Sincèrement bouleversé, le jeune romancier lui rendra hommage à sa manière, par l’écriture.

« Mon avis est qu’on ne peut créer des personnages que lorsque l’on a beaucoup étudié les hommes, comme on ne peut parler une langue qu’à la condition de l’avoir sérieusement apprise (…) J’engage donc le lecteur à être convaincu de la réalité de cette histoire dont tous les personnages, à l’exception de l’héroïne, vivent encore. D’ailleurs, il y a à Paris des témoins de la plupart des faits que je recueille ici, et qui pourraient les confirmer, si mon témoignage ne, suffisait pas. Par une circonstance particulière, seul je pouvais les écrire, car seul j’ai été le confident des derniers détails sans lesquels il eût été impossible de faire un récit intéressant et complet. »

En bon auteur, Dumas fils transforme quand même le personnage de Marie Duplessis en Marguerite Gautier, lui-même prenant le nom d’Armand Duval dans le rôle de l’amant.

« Hélas ! nous nous hâtions d’être heureux, comme si nous avions deviné que nous ne pouvions pas l’être longtemps (…) Il y avait dans cette femme quelque chose comme de la candeur. On voyait qu’elle en était encore à la virginité du vice. »

Alexandre DUMAS fils (1824-1895), La Dame aux Camélias (1848)

Dans cette autofiction avant la lettre, il crée la courtisane idéale dont rêvent les hommes et toute la bonne société bourgeoise du XIXe siècle : une femme de mauvaise vie mais au grand cœur, purifiée par le miracle de l’amour et par sa mort précoce – maladie de poitrine, la phtisie (tuberculose pulmonaire), avait une connotation vénérienne.

Roman à succès adapté au théâtre en 1852, la Dame aux camélias marque la naissance de la comédie de mœurs et le début du réalisme sur scène. Ex dandy devenu grand moraliste, l’auteur évoquera souvent les problèmes sociaux de l’époque. Précurseur du féminisme, il s’engage à sa manière dans la cause des femmes en tentant de participer à leur émancipation. Dumas fils prend en même temps sa revanche sur son père qui avait tant tardé à le reconnaître et dont la réussite aussi bien littéraire que sociale lui faisait naturellement de l’ombre.

Quant à l’infortunée Marie Duplessis, alias la Dame aux camélias (fleurs préférées d’une malade des poumons en raison de l’absence de parfum), elle va connaître une glorieuse immortalité, adaptée en 1853 pour la scène lyrique et devenue la Traviata (la « dévoyée »).

« Celui dont les yeux restent secs devant cela n’a pas un cœur humain dans la poitrine. »

La Gazetta privilegiata di Venezia, 6 mars 1853, critique citée dans « La Traviata », Guide des opéras de Verdi, Pascale Saint-André

Après un faux départ à la Fenice de Venise (distribution imparfaite, alors que le rôle exige une voix de soprano colorature à toute épreuve), la courtisane triomphe sous le nom de Violetta Valery dans la Traviata, l’un des opéras du répertoire les plus joués au monde. Verdi et son librettiste attitré Francesco Maria Piave ont réussi un chef d’œuvre.

Le personnage tentera d’innombrables artistes. Donnons trois exemples de référence. Sarah Bernhardt, dans la Dame aux camélias au théâtre (1880 et diverses reprise, puis un film en 1912) inspirera Maria Callas dans une mise en scène de la Traviata signée Luchino Visconti à la Scala de Milan, le 28 mai 1955. En 1936, George Cukor réalisa le Roman de Marguerite Gautier, interprété par Greta Garbo avec Robert Taylor en Armand Duval.

6. Marie Taglioni (1804-1884) créatrice de la Sylphide en 1832, archétype du « ballet blanc » romantique, triomphe artistique de la femme sur pointes et en tutu.

« En vérité, il n’y avait qu’elle au monde qui dansât ainsi. ».

Jules JANIN ( 1804-1874), Notice sur la Sylphide, in Les Beautés de l’Opéra, ou Chefs-d’œuvre lyriques illustrés par les premiers artistes de Paris et de Londres (1845)

Née en 1804 à Stockholm, Marie Taglioni reçoit la danse en héritage, avec son grand-père, son père Filippo et son oncle chorégraphes, sa mère Sophie Karsten danseuse, musicienne et peintre, son frère Paolo également danseur.

Elle fait ses premiers pas de danseuse à Paris, mais elle a le dos voûté, les bras trop longs… et elle manque d’assiduité aux cours. Reste sa sensibilité naturelle et ses inspirations innées sur la musique.

Convaincu de son talent, son père décroche un engagement de première danseuse à ses côtés au Théâtre Impérial de Vienne et revoit sa formation. Pour masquer ses défauts de naissance, ils développent une technique particulière dans les ports de bras et les postures de buste – devenues caractéristiques du ballet romantique, avec l’emploi des pointes. Marie n’est pas la première à porter ce type de chaussons, mais à force de maîtrise technique, elle réussit à les utiliser sans effort physique apparent. L’illusion d’une suspension aérienne est telle que le critique Jules Janin l’imaginera « courant sur les fleurs sans les courber » (Journal des Débats) Cette artiste incroyable marquera à tout jamais l’histoire de la danse.

« Mademoiselle Taglioni, ce n’était pas une danseuse, c’était la danse même. »

Théophile GAUTIER (1811-1872), Histoire de l’art dramatique en France depuis vingt-cinq ans, (1858)

12 mars 1832, Marie Taglioni danse le rôle-titre du ballet-pantomime la Sylphide, créé par son père sur un livret d’Adolphe Nourrit et une musique de Jean Schneitzhoeffer. Un jeune Écossais à la veille de son mariage voit paraître en songe une sylphide, fée évanescente symbolisant l’idéal féminin et la liberté. Le dénouement tragique et la mise en scène onirique expriment l’inaccessibilité de l’univers de la sylphide toute en voiles blancs et tulle vaporeux… Pour accentuer le caractère immatériel de son personnage, la danseuse réalise l’intégralité de la chorégraphie sur pointes, comme si elle volait. Tutu blanc (signé Eugène Lami) et pointes (technique perfectionnée à l’extrême par Marie) : l’archétype de la ballerine vient de naître.

Critique et public s’enthousiasment : la Sylphide devient LE ballet romantique de référence, inspirant toute une génération de poètes et d’écrivains dont Théophile Gautier, futur librettiste de Giselle.

L’identité même de la Taglioni se confond avec l’image de son personnage. Le phénomène va gagner l’ensemble de la société : coiffures, poupées, bonbons, biscuits, journaux… prennent le nom de « Sylphide ». Objets utilitaires, décoratifs ou ludiques, reproduisent l’image de la danseuse adulée.

La carrière de la ballerine se poursuit, invitée dans les plus grands théâtres européens de Londres, Berlin, Milan, Saint-Pétersbourg. La renommée de « la Taglioni » s’étend alors à l’Europe entière, de 1832 à 1847.

« Lorsqu’elle entre en scène, on voit toujours apparaître ce brouillard blanc ennuagé de mousseline transparente, cette vision chaste et éthérée que nous connaissons bien. »

Théophile GAUTIER (1811-1872) Marie Taglioni, Encyclopédie Universalis

« Taglioni est un génie, si nous nous mettons d’accord pour entendre par ce mot les dons naturels poussés jusqu’à leurs dernières limites ; elle nous montre des ronds de jambe et des ports de bras qui valent de longs poèmes. Mlle Taglioni est une danseuse chrétienne. Elle voltige comme un esprit au milieu des transparentes vapeurs des blanches mousselines dont elle aime s’entourer, elle ressemble à une âme heureuse qui fait ployer à peine du bout de ses pieds roses la pointe des fleurs célestes. » Dans une chronique parisienne de 1836, il en fera « l’un des plus grands poètes de notre temps ».

Deux autres ballerines romantiques succèderont à Marie Taglioni.

L’Italienne Carla (ou Carlotta) Grisi (1819-1899), le jour de ses 22 ans, créera Giselle à Paris (1841), musique d’Adolphe Adam et livret de Théophile Gautier, « un bijou, poétique, musical et chorégraphique » selon Tchaïkovski. Paysanne naïve éprise d’Albrecht, Giselle meurt en apprenant qu’il est fiancé à une princesse. Au second acte, la reine des Wilis (esprits de jeunes filles mortes vierges) le condamne à danser jusqu’à la mort par épuisement, mais le fantôme de Giselle le sauve en dansant avec lui, pour disparaître au lever du jour.
« Ce rôle est désormais impossible à toute autre danseuse et le nom de Carlotta est devenu inséparable de celui de Giselle » écrira Théophile Gautier, sous le charme de cette danseuse aussi parfaitement belle que technicienne. Le rôle-titre sera naturellement repris par toutes les étoiles à venir, mais Grisi (avec des cachets de star) règnera sur la scène qu’elle quitte à 35 ans, au sommet de sa carrière et enceinte d’un prince.

Troisième étoile, l’Autrichienne Fanny Elssler (1810-1884), la plus comédienne et tragédienne des trois, subjugue ses contemporains par sa sensualité et sa capacité à jouer les situations les plus dramatiques. Tout aussi admiratif de cette nouvelle Giselle, Théophile Gautier salue « la ballerine païenne » opposée à Taglioni, « ballerine chrétienne », Sylphide incarnant le rêve et la poésie sublimée. La postérité continue de les opposer, mais la comparaison de Gautier résume tout ce que l’on peut en dire : « Elssler est la danseuse aimée des hommes, comme Mlle Taglioni l’était des femmes. »

« Ô terre ne pèse pas trop sur elle, elle a si peu pesé sur toi »

Épitaphe sur la tombe de Marie TAGLIONI, cimetière du Père Lachaise (94ème division)

Ces mots résument le mythe construit sur cette danseuse exceptionnelle et pionnière du romantisme.

Après vingt-cinq années de succès ininterrompus, elle quitte la scène en 1847, pour donner des leçons et chorégraphier son unique ballet en 1860, le Papillon sur une musique de Jacques Offenbach.

Mais la création féminine reste l’objet de fortes censures. Malgré son réseau professionnel, elle ne peut obtenir le titre officiel de chorégraphe, se heurtant à des normes de genre qui assignent les femmes à l’interprétation des œuvres et les excluent de l’accession à l’emploi de maître de ballet.

Il n’empêche que le XIXe siècle romantique marque l’apogée artistique de la ballerine, l’homme étant souvent relégué au rôle de « porteur » mettant en valeur sa partenaire. Il prendra sa revanche avec les Ballets russes au début du XXe siècle.

7. Comtesse de Ségur (1799-1874), née Sophie Rostopchine, best-seller de la littérature pour enfants qui débute à 57 ans et fait miracle dans le genre avec ses « petites filles modèles ».

« Mes Petites Filles modèles ne sont pas une création ; elles existent bien réellement : ce sont des portraits ; la preuve en est dans leurs imperfections mêmes. Elles ont des défauts, des ombres légères qui font ressortir le charme du portrait et attestent l’existence du modèle. Camille et Madeleine sont une réalité dont peut s’assurer toute personne qui connaît l’auteur. »/

Comtesse de SEGUR (1799-1874), Les Petites filles modèles (1859), Préface

Sophie Rostopchine, née à Saint-Pétersbourg, est la fille du comte Fédor Rostopchine, général impliqué dans l’incendie de Moscou lors de la campagne de Russie de Napoléon (septembre 1812). Tombé en disgrâce et forcé à l’exil en 1814, il fait venir sa famille en France. À 19 ans, Sophie épouse le comte de Ségur. Mère de huit enfants, fuyant les mondanités, la comtesse se retire dans sa propriété de Nouettes dans l’Orne pour se consacrer à ses enfants et petits-enfants.

Elle écrit ses premières histoires à leur intention : Les Nouveaux contes de fées illustrés par Gustave Doré,  publiés par Louis Hachette en 1857 - cet ami de la famille a obtenu le monopole des bibliothèques de gare dans le réseau des premiers chemins de fer. Le succès est immédiat et la comtesse de Ségur ne cessera plus d’écrire ses histoires pour enfants, quelque vingt titres publiés dans la nouvelle collection « Bibliothèque rose » créée en 1860 chez Hachette. Les cinq premiers titres totalisent plus de 6 millions d’exemplaires vendus : un « long-seller » littéraire incontestable et une icône culturelle durable qui peut être diversement commentée. Pour s’en tenir à une seule question : peut-on faire de la bonne littérature avec de bons sentiments ? Oui et elle le prouve.

« On n’avait jamais vu un enterrement plus gai. Il est vrai que la morte était une vieille poupée, sans couleur, sans cheveux, sans jambes et sans tête, et que personne ne l’aimait ni ne la regrettait. »

Comtesse de SEGUR (1799-1874), Les Malheurs de Sophie (1858)

C’est le premier volume de la célèbre trilogie qui se poursuit avec Les Petites Filles modèles et Les Vacances.

Le récit est très inspiré de sa propre enfance. Sophie a tout pour être heureuse, une maman qui veille sur son éducation, un papa qui l’adore, un cousin qui la défend toujours, une bonne aux petits soins pour elle, un château magnifique… Mais Sophie n’a rien d’une petite fille modèle, au contraire de ses amies Camille et Madeleine. Elle n’en fait qu’à sa tête et invente les pires bêtises. Elle coupe en morceaux les petits poissons de sa mère, manque de se brûler en pataugeant dans la chaux vive, décide de se couper les sourcils pour devenir plus belle… et fait souffrir le martyr à sa poupée de cire.  Elle accumule les bêtises et fait preuve de vilains défauts, la gourmandise, la paresse, le mensonge. Sa mère, inflexible sur les principes d’une bonne éducation, ne laissera rien passer à la pauvre Sophie forcée d’assumer les conséquences de ses actes.

« Le fouet est le meilleur des maîtres […] et le seul moyen d’élever des enfants. »

Comtesse de SEGUR (1799-1874), Les Petites filles modèles (1859)

Les vrais malheurs de Sophie vont commencer avec Madame Fichini. Sa mère étant morte dans un naufrage avec sa tante et son oncle, Sophie est élevée par cette belle-mère sadique et stupide qui tente de la dresser, lui infligeant des punitions qui ne font que la rendre encore plus rebelle, querelleuse, menteuse et querelleuse que nature. Heureusement que Madeleine et Camille, les « petites filles modèles », sont là en attendant que leur mère, Madame de Fleurville, ne s’interpose avec une autre femme également compréhensive et intelligente, Madame de Rosbourg, mère de la petite Marguerite moins compréhensive face à Sophie.

« Mes pauvres enfants, c’est toujours ainsi dans le monde; le Bon Dieu envoie des peines, des chagrins, des souffrances, pour nous empêcher de trop aimer la vie et pour nous habituer à la pensée de la quitter. »

Comtesse de SEGUR (1799-1874), Les Vacances (1859)

Les grandes vacances sont arrivées au château de Fleurville. Camille et Madeleine de Fleurville, accompagnées de leurs amies Sophie Fichini et Marguerite de Rosbourg accueillent leurs cousins. Pêche, chasse aux papillons, construction de cabanes… Vacances bien remplies et pleines de surprises. La meilleure sera le retour inespéré de deux naufragés… grâce à quoi Sophie pourra enfin faire la paix avec son passé difficile.

Tout est bien qui finit bien et moralement. Jusqu’au livre suivant…

« Vous verrez enfin que lorsqu’on aura lu ce livre, au lieu de dire : Bête comme un âne, ignorant comme un âne, têtu comme un âne, on dira : De l’esprit comme un âne, savant comme un âne, docile comme un âne, et que vous et vos parents vous serez fiers de ces éloges. »

Comtesse de SEGUR (1799-1874), Les Mémoires d’un âne (1860)

C’est l’âne qui s’exprime tout au long de ce roman à la première personne. « Je ne suis pas mauvaise bête mais je n’aime pas être maltraité. Aussi je me suis enfui de chez la fermière qui me rouait de coups… Vivant dans les bois, couchant à la belle étoile, j’ai eu cependant l’occasion de rendre quelques services. J’ai tiré une petite fille d’un incendie, secouru une vieille femme… Ma bonne volonté se heurte souvent à l’ingratitude des hommes, mais, bah ! après tout, il est vrai que je ne suis qu’un âne ! »

Peut-on parler d’anthropomorphisme pour la bonne cause – la cause animale, naturellement ? C’est aussi une leçon d’écologie avant la lettre, l’observation d’une bête victime des pires préjugés, qui se révèle finalement plus humaine (au sens figuré) que la plupart des gens. L’âne métaphorique va se retrouver dans un prochain roman.

« Un âne à deux pieds peut devenir général et rester âne. »

Comtesse de SEGUR (1799-1874), Le Général Dourakine (1863)

Le général Dourakine est un homme aux colères terribles… qui dissimulent une réelle bonté et surtout un grand souci de la justice. Revenu à Gromiline, en Russie, en compagnie de la famille française Derigny, le voilà  contraint d’accueillir en son château sa nièce Papofski et ses huit garnements.

Plus d’une fois, la patience du général sera mise à rude épreuve et il se débarrasserait volontiers de cette intruse… mais il craint qu’elle ne dénonce un prince polonais réfugié clandestinement au château.

Sur le conseil de son fidèle intendant Derigny, le général usera d’un subterfuge qui trompe l’odieuse Papofski et lui permet de vivre en France une vieillesse heureuse auprès de ceux qu’il aime. Happy end de rigueur.

8. Victoria, reine du Royaume-Uni (1819-1901), un mariage d’amour fou, une femme de devoir en 63 ans de règne et l’Entente cordiale avec la France de Louis-Philippe.

« La sincère amitié qui m’unit à la reine de la Grande-Bretagne et la cordiale entente qui existe entre mon gouvernement et le sien me confirment dans cette confiance. »2115

LOUIS-PHILIPPE (1773-1850), Discours du trône, 27 décembre 1843. Mémoires pour servir à l’histoire de mon temps (1858-1867), François Guizot

Les mots de « cordiale entente » font leur entrée dans l’histoire des relations franco-anglaises. Qui l’eut pensé, il y a quelques siècles ou même quelques décennies ? Mais le « Roi des barricades » doit se faire accepter des cours européennes, le Royaume-Uni (avec l’Empire britannique) est la grande puissance mondiale du siècle et l’alliance est indispensable, malgré une certaine anglophobie que l’opposition sait parfois exploiter.

Le 2 septembre 1843, la reine Victoria a visité Paris. Louis-Philippe lui rendra la politesse à Londres en octobre 1844 et replacera la formule : « La France ne demande rien à l’Angleterre. L’Angleterre ne demande rien à la France. Nous ne voulons que l’Entente cordiale. »

Après deux Guerre de Cent Ans, la première - 1337-1453, soit 116 ans avec de nombreuses trêves - et la seconde - 1688-1815, soit 127 ans, quand la France soutint contre l’Angleterre sept grandes guerres qui durèrent en tout 60 ans -, cette Entente Cordiale tant désirée par le très intelligent Talleyrand s’opposant en cela à Napoléon sera bien utile au XXe siècle, la Grande-Bretagne devenant avec ses colonies l’allié indispensable de la France lors des deux guerres mondiales.

« Puisqu’il a plu à la Providence de me mettre dans cette position, je ferai tout pour accomplir mon devoir envers mon pays.  Je suis très jeune, et peut-être naïve quant à de nombreuses affaires, bien que pas toutes ; mais je suis certaine que très peu de personnes ont autant de véritable bonne volonté et de véritable désir pour faire ce qui est approprié et juste. »

VICTORIA, reine du Royaume-Uni (1819-1901), Journal intime, juin 1837

Après la mort sans héritier légitime des trois frères aînés de son père, Victoria monte sur le trône à 18 ans. Le Royaume-Uni était une monarchie constitutionnelle donnant peu de pouvoir politique au souverain depuis la révolution de 1642-1651. En privé, Victoria influença pourtant les politiques gouvernementales et les nominations ministérielles. En public, elle devint une icône nationale, assimilée aux normes strictes de la morale de l’époque. En 1840, elle épousa son cousin germain, le prince Albert de Saxe-Cobourg-Gotha.

« JAMAIS, JAMAIS, je n’oublierai une telle soirée !!! MON TRÈS TRÈS CHER Albert… sa passion et son affection excessives m’ont offert des sensations d’amour et de bonheur divins que je n’aurais jamais espéré ressentir auparavant ! Il m’a serrée dans ses bras et nous nous sommes embrassés encore et encore ! Sa beauté, sa douceur et sa gentillesse ; vraiment comment pourrais-je jamais être reconnaissante d’avoir un tel mari ! […] Le bonheur était incroyable ! Oh ! Ce fut le plus beau jour de ma vie ! »

VICTORIA, reine du Royaume-Uni (1819-1901), Journal intime, février 1840

Elle décrit en ces termes le jour de son mariage avec le prince Albert, 10 février 1840. Leurs neuf enfants épousèrent des membres de familles royales et nobles européennes, d’où son surnom de « grand-mère de l’Europe ». Veuve en 1861, elle sombra dans une profonde dépression et se retira un temps de la vie publique. Le républicanisme gagna en influence, mais sa popularité progressa et ses jubilés d’or et de diamant donnèrent lieu à de grandes célébrations publiques.

Son règne de 63 ans et sept mois est le deuxième le plus long de toute l’histoire du Royaume-Uni après celui d’Élizabeth II. Connu sous le nom d’époque victorienne (d’ailleurs commencé en 1832), c’est un temps de profonds changements sociaux, économiques et technologiques au Royaume-Uni, avec une rapide expansion de l’Empire britannique.

« Les féministes devraient recevoir un bon coup de fouet ! »

VICTORIA, reine du Royaume-Uni (1819-1901), Lettre datée de 1870. Buckingham Palace, exposition pour les 200 ans de la reine Victoria (2019)

Pas féministe pour un shilling… et peut-être choquée par les débordements des premières suffragettes en devenir, en avance sur leurs consœurs françaises. En même temps, Victoria menait de front une carrière de monarque et une vie de famille conséquente avec neuf enfants, se vantant de posséder « un cerveau d’homme », avec un caractère bien affirmé, comme en témoignent ses « mots » les plus célèbres.

« Cela ne nous divertit pas. » « We are not amused. »

VICTORIA, reine du Royaume-Uni (1819-1901) (non sourcé)

Réprimande adressée à un noble lui relatant une anecdote trop scandaleuse à son goût. Divers auteurs lui attribuent cette phrase, il n’est pas certain que la reine l’ait réellement prononcée, mais tous les mots apocryphes ont un sens.

« Il me parle comme si j’étais une réunion publique. »

VICTORIA, reine du Royaume-Uni (1819-1901). Encyclopédie Wikimonde - William Ewart Gladstone

Ainsi parle-t-elle de Gladstone, connu pour sa rivalité avec le dirigeant du Parti conservateur Benjamin Disraeli. Mais il n’avait pas non plus de bonnes relations avec la reine Victoria se plaignant en ces termes, en VO : « He always addresses me as if I were a public meeting ». Quatre fois chancelier de l’Échiquier et quatre fois Premier ministre (entre 1868 et 1894), d’abord conservateur, ensuite libéral, Gladstone reste connu comme défenseur des couches populaires et des catholiques irlandais de l’Angleterre victorienne.

« Le plus important, ce n’est pas ce qu’ils pensent de moi, mais ce que je pense d’eux. »

VICTORIA, reine du Royaume-Uni (1819-1901). Buckingham Palace, Exposition pour les 200 ans de la reine Victoria (2019). Cité aussi dans le National Enquirer

Sa sévérité s’accentuera après le décès de son époux, le prince Albert. Elle règne sur un empire où (dit-on) la nuit ne tombait jamais (comparaison avec l’empire de Charles-Quint, grand adversaire de François Ier sous la Renaissance). L’arrière-grand-mère de la reine Élizabeth II était une reine moderne, premier monarque prise en photo, transformant le palais de Buckingham Palace en une maison familiale confortable (avec la fée électricité) et un lieu de réception des grands de ce monde. Reine en même temps que femme de son temps, elle laissera la porte ouverte aux bouleversements sociétaux à venir. « Les grands événements me rendent calme et calme ; ce ne sont que des bagatelles qui m’irritent les nerfs. »

« Ne jamais se plaindre, ne jamais s’expliquer. » « Never complain, never explain. »

VICTORIA, reine du Royaume-Uni (1819-1901), conseil donné au futur Édouard VII

Fils de la reine Victoria, Albert-Édouard resta l’héritier de la Couronne britannique et porta le titre de prince de Galles pendant près de 60 ans. Durant le long règne de sa mère, tenu à l’écart des questions politiques, il personnifia la riche élite aristocratique britannique. Finalement, rien ne change au Royaume-Uni, surtout pas cette maxime so british.

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