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Au Soudan du Sud, l'ONU découvre des « piles de corps » dans les rues

Le pays le plus jeune du monde (son indépendance remonte à 2011) est entré dans une crise aiguë en décembre 2013, avec des rivalités politiques dégénérant en guerre civile.

Par  (Johannesburg, correspondant régional)

Publié le 22 avril 2014 à 12h28, modifié le 23 avril 2014 à 09h37

Temps de Lecture 4 min.

Des corps de civils massacrés le long d’une route de Bentiu, dimanche 20 avril.

L'horreur, à Bentiu, a eu des témoins extérieurs. Ceux des Nations unies, qui ont pu interroger les survivants du massacre, avant de faire connaître les premières descriptions de ce qui s'était passé quelques jours plus tôt dans cette ville du Soudan du Sud, tout juste reprise par les rebelles de l'ancien vice-président Riek Machar, le 15 avril.

Toby Lanzer, le coordinateur humanitaire de la mission, a déclaré avoir aperçu des « piles de corps » dans les rues de Bentiu. Dans cette ville septentrionale, capitale de l'Etat pétrolier d'Unité, le nombre de victimes se compte en « centaines », selon l'ONU, et les tueries ont été perpétrées sur des bases ethniques.

Une déclaration de l'ONU décrit la brutalité des actes commis : des monceaux de cadavres, en grande majorité des civils ; des scènes de tri sur des bases ethniques pour décider qui tuer, qui épargner, dans des lieux de culte – notamment à la mosquée Kali-Ballee, où deux cents personnes ont été assassinées –, ou encore à l'hôpital. Une radio locale aurait appelé à violer de façon punitive les femmes n'appartenant pas au groupe ethnique des attaquants.

Il a fallu plusieurs jours pour apprendre ce qui s'était passé lorsque Bentiu a été reprise par les troupes de Riek Machar. Depuis que le pays le plus jeune du monde (son indépendance remonte à 2011) est entré dans une crise aiguë en décembre 2013, avec des rivalités politiques dégénérant en guerre civile, Bentiu a d'abord été contrôlée par des soldats mutinés. Puis la ville a été reprise par les forces fidèles au président Salva Kiir, appuyées par des groupes rebelles venus du Soudan voisin, comme le Mouvement pour la justice et l'égalité (JEM), qui recrute en majorité au Darfour ou au Kordofan soudanais, mais a des bases arrière au Soudan du Sud, et le soutien de Juba.

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Un soldat des forces rebelles de l'ancien vice-président Riek Machar, le 20 avril à Bentiu.

DES NÉNUPHARS ET DES BAIES

Les rebelles de Riek Machar ont préparé des mois durant leur contre-offensive et repris Bentiu après une longue marche. L'ex-vice-président, installé dans la partie est du pays, peut compter sur des militaires anti-loyalistes à majorité Nuer, et sur les forces de la White Army (« armée blanche »). Cette coalition de milices traditionnelles, levées au niveau des villages et campements nuer par des chefs locaux, est capable de se constituer en colonnes de plusieurs milliers d'hommes.

A Bentiu, les non-Nuer étaient les premières victimes de l'enchaînement des massacres et contre-massacres qui marque la guerre civile au Soudan du Sud. Selon une source bien informée à Juba, « une des motivations des rebelles nuer et de la White Army, c'était la vengeance, après les tueries dont ont été victimes les Nuer dans la région de Leer. Et cela explique aussi pourquoi ils ont tué les commerçants du Darfour, car ces derniers sont soupçonnés de financer le JEM. »

En janvier, une offensive des troupes loyalistes depuis Bentiu avait donné lieu à des massacres dans la région de Leer, d'où est originaire Riek Machar. On ignore le nombre de victimes de cette opération. Aucun témoin extérieur n'avait pu avoir accès à cette vaste zone marécageuse où de nombreuses atrocités avaient été commises. A l'époque, le personnel de l'hôpital de Leer, administré par Médecins sans frontières, avait été contraint de fuir à pied en emportant sur leur dos les malades et blessés invalides vers l'enfer des marécages. La population de toute la région y a subsisté des semaines durant en se nourrissant de nénuphars et de baies, avant de passer le Nil pour se réfugier dans des villes sous contrôle rebelle.

Des civils ayant fui la ville de Bentiu, le 20 avril.

VERS LES CHAMPS PÉTROLIFÈRES

Les atrocités perpétrées à ce moment-là ont été commises loin des regards extérieurs. Ce qui ne signifie pas qu'elles sont restées ignorées par les familles concernées, ou par les combattants nuer. De la même façon, la nouvelle de tueries s'était répandue en décembre 2013, aux premiers jours de la crise. Des Nuer avaient alors été éliminés systématiquement dans Juba. Les forces de sécurité loyalistes tuaient déjà sur une base ethnique. Le bilan de ces meurtres est encore inconnu.

Ni les actions militaires ni les massacres qui les accompagnent ne risquent de s'arrêter. Quelques jours après la chute de Bentiu, des militants de la jeunesse loyaliste de Bor ont pris d'assaut la base des Nations unies où se sont réfugiés environ 5 000 Nuer, et ont entamé leur propre tuerie, interrompue par la résistance des casques bleus. Il y a eu 58 morts et un grand nombre de blessés.

Sur le terrain, les premières pluies n'ont pas stoppé ces mouvements, mais semblent plutôt les avoir accélérés avant que les routes ne deviennent impraticables. Pour les rebelles, qui se déplacent surtout à pied et redoutent moins la boue que les forces ougandaises, Bentiu n'est qu'une étape vers les champs pétrolifères proches de la frontière avec le Soudan. Riek Machar a demandé aux techniciens étrangers qui y travaillent encore d'évacuer au plus vite. La manœuvre consiste à étouffer économiquement Juba. Mais déjà, selon un observateur, se profile la « prochaine bataille ». Elle pourrait avoir lieu dans l'Etat voisin de Warrap, pour frapper le bassin de recrutement des forces pro-Kiir.

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