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Arménie-Azerbaïdjan: «Bakou teste la communauté internationale, avec la certitude qu'elle ne réagira que mollement»

Recep Tayyip Erdoğan et le président de l'Azerbaïdjan, Ilham Aliyev, le 26 octobre 2021.
Recep Tayyip Erdoğan et le président de l'Azerbaïdjan, Ilham Aliyev, le 26 octobre 2021. MURAT CETIN MUHURDAR / TURKISH PRESIDENTIAL PRESS SERVICE / AFP

ENTRETIEN - Le bilan des violents affrontements à la frontière entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan est monté jeudi 15 septembre à plus de 170 morts. Pour Franck Papazian, Bakou s'est surarmée ces vingt dernières années, bien aidée par la Turquie d'Erdogan.

Franck Papazian est membre du Conseil de coordination des associations arméniennes de France. Il vient de publier Le Régime Erdogan. Une menace pour la France (Versilio/Robert Laffont, 144 p., 18 €).


LE FIGARO. - Le bilan des violents affrontements à la frontière entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan est monté jeudi 15 septembre à plus de 170 morts, selon un bilan encore provisoire. Comment expliquer ce regain de violences?

FRANCK PAPAZIAN. - L'Arménie annonce officiellement au moins 105 morts de son côté. L'Azerbaïdjan a lancé cette impressionnante offensive militaire dans le but de poursuivre la conquête des territoires de la République d'Arménie. Bakou teste la communauté internationale, tout en ayant la certitude qu'elle ne réagira que très mollement. L'Azerbaïdjan pourra ainsi poursuivre ses offensives meurtrières en toute impunité.

La France a annoncé qu'elle allait saisir le Conseil de sécurité de l'ONU. Est-ce suffisant? La France, et plus largement l'Europe, doivent-elles intervenir pour faire cesser les affrontements?

C'est une bonne chose mais c'est très loin d'être suffisant. Le Conseil de Sécurité de l'ONU doit envoyer sur place des casques bleus pour protéger les populations arméniennes. L'Azerbaïdjan se moque des condamnations verbales. Depuis 1994, Bakou a violé environ de 6000 à 10.000 fois le cessez-le-feu tous les ans. La guerre des 44 jours, à l'automne 2020, est une violation du cessez-le-feu. L'Azerbaïdjan ne respecte absolument pas les injonctions internationales. Et si l'ONU refuse l'envoi de forces de paix, alors la France devra prendre ses responsabilités. Va-t-on, en 2022, laisser un peuple se faire massacrer devant les caméras de télévision?

Erdogan et son équipe tentent de justifier l'intervention azerbaïdjanaise.

Franck Papazian

De son côté, le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlüt Cavusoglu, a appelé l'Arménie à «cesser ses provocations» . Le processus de normalisation entre les deux pays, amorcé depuis l'année dernière, est-il en train de s'effriter?

Le gouvernement turc est dans une forte phase de propagande. Erdogan et son équipe tentent de justifier l'intervention azerbaïdjanaise. L'Arménie n'est pas du tout dans une posture de la provocation. Les Arméniens veulent la paix. Ils veulent vivre chez eux en sécurité. Mais les forces turques et azerbaïdjanaises veulent occuper et contrôler le pays. La «normalisation» proposée par Erdogan n'a pas pour objectif de faire la paix avec l'Arménie. Erdogan veut mettre la main sur le pays. La «normalisation» et l'ouverture de relations diplomatiques et commerciales permettront à Ankara de contrôler l'économie arménienne en quelques années. Mais, par ailleurs, Erdogan émet des conditions à la normalisation: 1- Que l'Arménie accepte que le Haut-Karabagh fasse partie des frontières de l'Azerbaïdjan. 2- Que les Arméniens abandonnent la question de la reconnaissance du génocide par la Turquie.

Au cours de la guerre des 44 jours, Erdogan a dépêché en Azerbaïdjan 80 experts militaires turcs qui ont piloté toute la guerre, 1200 soldats d'élite turcs spécialistes de la guerre en montagne et 2000 djihadistes syriens

Franck Papazian

Faut-il voir derrière le soutien de la Turquie à l'Azerbaïdjan une démarche plus identitaire que politique?

Les forces turco-azerbaïdjanaises sont les forces du panturquisme. C'est au nom du panturquisme que les Arméniens ont été génocidés en 1915. Cette alliance constitue un danger sur place pour les Arméniens.

En quoi le soutien d'Ankara à Bakou influe-t-il sur le conflit?

Au cours de la guerre des 44 jours, Erdogan a dépêché en Azerbaïdjan 80 experts militaires turcs qui ont piloté toute la guerre, 1200 soldats d'élite turcs spécialistes de la guerre en montagne et 2000 djihadistes syriens, supplétifs de l'armée turque. Erdogan a également très abondamment armé l'Azerbaïdjan. Le président turc a fait de la guerre contre l'Arménie sa guerre. Bakou s'est surarmée durant les 20 dernières années. On évoque l'acquisition de 2 à 3 milliards de matériel tous les ans, dont une quantité industrielle de drones kamikazes, de bombes au phosphore et d'armes à sous-munition. Le massacre des Arméniens continue en 2022. Il faut réagir.

Arménie-Azerbaïdjan: «Bakou teste la communauté internationale, avec la certitude qu'elle ne réagira que mollement»

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12 commentaires
  • spoup

    le

    « si l'ONU refuse l'envoi de forces de paix, alors la France devra prendre ses responsabilités. Va-t-on, en 2022, laisser un peuple se faire massacrer ». Il ne suffit pas de pleurer sur le passé sans se préoccuper de l’avenir

  • Au passage

    le

    Deux poids, deux mesures. Passion pour l'Ukraine, largement orchestrée, mais pour l'Arménie? La France est mal engagée, mal barrée.

  • TIESSE DI HOYE

    le

    Les membres du G7 se moquent totalement du sort des Arméniens parce que leur pays n'a pas d'importance stratégique. En revanche, la Turquie contrôle les détroits qui permettent le passage de la Mer Noire vers la Méditerranée, ce qui en fait une pièce indispensable du dispositif maritime du G7 contre la Russie.

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