Gérard Garouste : "À un moment donné, c'est la peinture qui décide"

Gérard Garouste - Bertrand Huet Tutti
Gérard Garouste - Bertrand Huet Tutti
Gérard Garouste - Bertrand Huet Tutti
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Gérard Garouste, grande figure de la peinture figurative française, était à l'honneur en automne 2022. Le temps d’un entretien au long cours, il est revenu sur ses imaginaires, de Kafka au Talmud, et sur son parcours, de l’ombre à la lumière.

Avec

Artiste singulier qui a investi la peinture figurative à une époque où le conceptuel et le minimalisme faisaient loi, Gérard Garouste s’est imposé sur la scène artistique mondiale pour l'intensité dramatique et la liberté de son œuvre dont les racines plongent dans la mythologie et la religion. Qu’il se confronte à Dante, Cervantès, le Talmud, Kafka ou la Kabbale, il déploie depuis plus de cinquante ans une conception de la peinture comme un langage qui engage le dialogue entre les textes, la peinture, l’artiste, et surtout le spectateur. Un dialogue qu’il mène aussi avec La Source, association qu’il a créé en 1991, qui propose des ateliers créatifs animés par des artistes, en direction d’enfants défavorisés, adressés par les services sociaux, pour leur donner des clés pour avancer et les éveiller à l'art.

Le 16 septembre 2022, quand nous l'avons reçu, Gérard Garouste connaissait une très riche actualité avec une exposition-rétrospective au Centre Pompidou, une exposition avec Édouard Cohen à la galerie Les Arts Dessinés : « Méguila d’Esther, dit le livre d’Esther », ainsi que la sortie en format poche de son autobiographie, “L’Intranquille”, écrite avec Judith Perrignon, augmentée d’un épilogue inédit. Autant de raisons de brosser son portrait, en sa présence, et de revenir sur son parcours.

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Chartres, 2007 Huile sur toile 270 × 320 cm Collection particulière, Paris
Chartres, 2007 Huile sur toile 270 × 320 cm Collection particulière, Paris
- © Adagp, Paris, 2022 Photo © Bertrand Huet/Tutti

La peinture comme seul moyen de survie

"La peinture c'était la seule solution dans ma vie. J'avais des problèmes psychologiques très tôt. [...] J'étais incapable de me concentrer, un peu comme un enfant qui cherche, qui se noie, mais qui veut trouver. Tous les enfants dessinent, mais pour moi c'était la seule manière de survivre, alors j'ai toujours dessiné. J'ai pu séduire mes maîtresses et mes petits copains en faisant des dessins, j'existais parmi les autres. Donc je n'ai jamais quitté le dessin." Gérard Garouste

"Quand je commence le tableau, il est dans ma tête. Je le vois. Je commence le tableau, mais très vite, c'est le tableau qui décide. Je ne fais que suivre le tableau parce que j'ai l'impression qu'il s'impose de lui-même. Tel rythme ou telle forme impose telle couleur. Il s'agit d'un paysage et tout à coup, je peux avoir une envie de faire quelque chose de très choquant. Par exemple, on peut voir dans l'exposition un ciel orange, mais que vais-je faire de l'herbe ? Ça se construit d'une manière logique, pas du tout logique dans ma tête, mais en brisant complètement les lois de la nature. Quand je suis proche de la nature, je sais ce qui m'inspire. Ce n'est pas la nature telle qu'elle est, c'est la nature vue à travers les peintres que j'aime, aussi bien Corot que Manet, même Giorgio de Chirico. Ce sont eux, mes maîtres. Et si je dois imiter la nature, je pars chez eux." Gérard Garouste

La Fabrique de l'Histoire
55 min

"Je suis un indien, je suis un apache"

"J'ai fait un rêve dans lequel une voix me dit qu'il y a deux sortes d'individus dans la vie : les classiques et les Indiens. [...] Je ne comprenais pas le rapport, et en en parlant avec Jean-Michel Ribes, qui a fait une licence d'espagnol, il m'a dit que j'avais fait un jeu de mots entre "classique" et un "cassique" qui est, d'une part, un chef indien, et d'autre part, quelqu'un qui réussit. Et là, tout d'un coup, ça prenait sens. Pour moi, l'Indien c'est le côté intuitif, un peu apache comme on dit, inconscient et créatif. Alors que le classique c'est l'ordre. Et je crois que ce thème existe entre l'Apollinien et le Dionysiaque. C'est un thème commun et j'en ai fait des tableaux, visibles dans l'exposition, avec le clown blanc et l'Auguste. Le clown blanc dans son habit de lumière, ne fait pas rire, contrairement à l'Auguste, qui a des bosses, le nez rouge et qui se roule par terre." Gérard Garouste

Détail de "Alma", 2005 Huile sur toile 270 × 320 cm Collection particulière
Détail de "Alma", 2005 Huile sur toile 270 × 320 cm Collection particulière
- © Adagp, Paris,2022 Photo © galerie Templon ArtDigitalStudio

Pour une correspondance des mots et des idées

"J'ai fait, avec Marc-Alain Ouaknin, une étude à deux du Talmud. Ce n'est pas un cours, c'est un échange entre un maître et son élève. Et il s'y passe des choses tout à fait extraordinaires. [...] On est dans des associations de mots qui nous renvoient à des contresens et des correspondances. On a l'impression que le texte est là pour mettre en scène les mots. Le texte est secondaire par rapport à la valeur des mots et les mots sont composés de lettres très importantes. Donc on est dans une autre dimension de lecture. Ce n'est pas quelque chose qu'on peut faire tout seul. Il y a des méthodes de travail et après, avec un peu d'expérience, on peut s'amuser. Marc-Alain Ouaknin le compare aux échecs. En effet, il y a aussi cette idée que quand on lit le Tanakh - la Bible hébraique - on est toujours devant le même texte comme on est toujours devant le même fleuve, mais on n'est jamais devant la même eau. Et l'idée, c'est qu'un kabbaliste doit faire de ces mots son propre texte." Gérard Garouste

Sons diffusés pendant l'émission :

  • Archive INA de la présentation de la pièce de Jean-Michel Ribes "Que le Sycomore coule", dans un décor réalisé par Gérard Garouste, en 1971, suivi d'un extrait de la pièce, 16.05.1971
  • Arnold Schönberg : "La Nuit transfigurée" (ouverture) dirigée par Pierre Boulez. Concert enregistré à la salle Pleyel en 2009
  • Archive de Marc-Alain Ouaknin évoquant l'esprit du Talmud, sur France Culture, dans l’émission "Les vivants et les dieux", au micro de Michel Cazenave, 15/09/2001

Ses actualités :

  • Le catalogue de l’exposition à l’occasion duquel nous l’avions reçu est toujours disponible aux éditions du Centre Pompidou.
  • Son autobiographie “L’Intranquille”, écrite avec Judith Perrignon, est disponible désormais en format poche dans la Collection Proche, avec un épilogue inédit.
Affaires culturelles
55 min

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