Le CEO du Mondial au Qatar se confie: "Nous n’avions pas anticipé tant de férocité dans les critiques"
Nasser Al Khater, CEO du Mondial qatari, entretient une relation "personnelle" avec le sélectionneur des Diables.
- Publié le 20-09-2022 à 07h41
- Mis à jour le 22-09-2022 à 14h46
"Mon joueur belge préféré ? Je vais dire que tous les éléments de l’équipe sont importants (rires)."
Nasser Al Khater a botté en touche au moment de choisir entre Eden Hazard, Kevin De Bruyne, Thibaut Courtois, Romelu Lukaku et compagnie. Mais le CEO de la Coupe du monde au Qatar n’a pas évité de fournir une réponse aux nombreuses polémiques qui englobent l’organisation de l’évènement lors de notre visite dans ses quartiers à Doha, la capitale du pays hôte.
Monsieur Al Khater, à vos yeux, quels ont été les plus grands défis auxquels vous avez été confrontés lors de ces 12 années d’organisation ?
"Que tout ça ait duré 12 ans (rires). En règle générale, vous avez six années pour tout préparer. Je dirais que les défis étaient nombreux. L’infrastructure entière du pays a été développée sur un laps de temps très court. Dans la ‘vision 2030’ du Qatar, l’idée était de mettre en place un réseau de transports en commun comme celui que nous avons aujourd’hui. Nous avons donc huit ans d’avance. Nous avions la pression de travailler rapidement. Le Qatar a été la cible de critiques ces dernières années aussi évidemment. Certaines sont justifiées, d’autres pas. C’était difficile de faire face à celles qui étaient injustes."
Lesquelles par exemple ?
"Les allégations concernant l’attribution de l’organisation du Mondial*, le fait que nous ne sommes pas prêts ou que nous ne sommes pas un pays ‘du football’. Il y a des critiques injustifiées concernant le pays et même la région tout entière. Mais nous sommes toujours restés confiants."
Vous avez aussi parlé de critiques justifiées.
"Quand vous regardez la question du bien-être des travailleurs… Nous avons toujours su qu’il y avait beaucoup de travail à effectuer. Dans la ‘vision 2030’, l’accent a toujours été mis sur le fait que nous devions faire des progrès dans ce secteur. Quand nous avons commencé nos plans pour les stades, nous voulions mettre en place certains standards. Nous avons instauré des solutions pour améliorer le bien-être des travailleurs. Un nombre maximum d’heures prestées par exemple. Tout cela a débouché sur un véritable travail législatif. Nous avons travaillé main dans la main avec l’OIT (l’Organisation internationale du travail, une branche spécialisée de l’ONU) et d’autres acteurs engagés dans cette problématique. Tout le progrès qui a été effectué a parfois été reflété de manière injuste sur la place publique, à mes yeux. Mais nous continuons à dire qu’il y a encore énormément de progrès à effectuer à ce niveau, surtout dans la mise en application des normes."
En quelle année l’idée d’organiser une Coupe du monde a-t-elle germé dans la tête des dirigeants qataris ?
"Le Qatar a une longue histoire quand il s’agit de l’organisation de grands évènements. Le pays en a identifié les bienfaits depuis longtemps. Que ce soit au niveau du progrès, du développement des infrastructures, etc. Un des objectifs principaux du Qatar est de créer une société saine. Nous avons été un pays dans lequel les taux d’obésité et de diabète ont été les plus élevés. Nous voulons promouvoir le sport dans tous ses aspects. Nous en avons déjà récolté les fruits. Il y a une grande différence par rapport à il y a 10 ans. Il y a des centaines de kilomètres de pistes cyclables, plus de personnes qui sortent faire un jogging… Cet intérêt pour le sport a transcendé les générations et les nationalités présentes ici. Nous avons aussi eu la chance d’accueillir les Jeux arabes en 2006. Nous voulions organiser un évènement à grande échelle pour rassembler le pays. Et puis les gens du Qatar aiment le foot (sourire)."
D’où viendront la plupart des supporters ?
"Des États-Unis, de l’Angleterre, du Qatar, d’Argentine… Les Américains sont derrière leur équipe mais il y a aussi une grande population issue des pays d’Amérique du Sud aux USA qui viendra certainement soutenir le Mexique, le Pérou, etc. Les Américains étaient aussi ceux qui avaient acheté le plus de billets pour la Coupe du monde en Russie. Ils n’étaient même pas qualifiés."
Nombreux sont ceux qui disent ne pas pouvoir venir chez vous car ils considèrent que cette Coupe du monde est réservée "aux VIP". Qu’en pensez-vous ?
"Ce n’est qu’une perception. Comme je vous l’ai dit : la plupart des places sont vendues aux États-Unis, à l’Angleterre, à l’Argentine, au Brésil, etc. Les VIP achèteront des places en catégorie ‘hospitality’. Les gens disent que nous n’avons pas de logement. Nous en avons à 80 € par nuit qui sont rapidement partis…"
Peut-être que le fait que la plupart des places soient vendues aux USA prouve que c’est un "Mondial de VIP" ? Les Américains ne sont pas les plus fervents amateurs du ballon rond.
"Cela reste une perception. Si vous avez un ami qui supporte la France par exemple, encouragez-le à venir. Qatar Airways a rendu ses prix abordables, contrairement à d’autres compagnies… Ils comprennent l’importance stratégique de l’évènement. Le gouvernement aussi. Il a subsidié la construction de maisons, d’appartements, des fans villages… Quand j’étais en Russie, en 2018, le nombre de supporters français était réduit. J’ai vu les Bleus contre le Pérou : 4 000 à 5 000 supporters étaient français."
Certaines personnes évoquent tout de même des prix allant de 500 à 600 € pour une nuit sur place. Et aussi des prix élevés pour les billets d’avion. Est-ce un problème de communication alors ?
"Tout le monde a opté pour les logements plus abordables financièrement. Avec le temps, il y en a logiquement eu de moins en moins. Mais durant le tournoi, il y a des appartements à tous les prix. Je peux même vous le montrer maintenant en direct. Il y a, pour la deuxième semaine du tournoi, des options allant de 80 à 400 € par nuit."
De nombreuses stars ont décidé de terminer leur belle carrière au Qatar. On songe notamment à Pep Guardiola, Xavi…
"Raul, Ronald de Boer, Frank de Boer, Jay-Jay Okocha…"
Cela a-t-il légitimé votre candidature ?
"Oui. Cela a naturellement aidé à hausser le niveau chez nous. Certains de ces joueurs ont donné une voix au Qatar. Les gens ont pu s’identifier à eux, à des joueurs avec qui ils ont grandi. Des héros. Ils ont parlé de leur expérience ici. Le Qatar est un pays très sûr. Un des pays les plus sûrs du Moyen-Orient, du monde même. Tout est orienté vers la famille. Beaucoup de joueurs ont vécu un séjour confortable ici et en ont fait l’écho. Quand ils parlent, ils ont plus de crédibilité que moi évidemment."
À deux mois de la Coupe du monde, les polémiques font toujours les unes. Aviez-vous anticipé toutes les problématiques concernant les travailleurs et l’environnement ?
"Le Qatar avance vers une énergie plus propre, vers le gaz naturel. À l’avenir, nous voulons passer à de l’énergie plus renouvelable. Trente pour cent des transports en commun seront électriques. Deux centrales de production solaire sont en construction. La première sera prête en octobre et l’autre après la Coupe du monde. Elles réduiront notre empreinte carbone. Nous savions que la pollution environnementale allait être décriée. Pour nous, un de nos objectifs était de montrer à quel point ce Mondial allait être écologique et durable. Nous avons utilisé une méthodologie de construction très stricte. Nous avons déjà évoqué la problématique des travailleurs. Ce que nous n’avions pas anticipé : l’étendue et la férocité des critiques. Aurions-nous pu soigner notre communication ? Oui, je pense bien, mais c’est toujours le cas. Nous sommes impatients d’accueillir les gens dans une région du monde qui est souvent incomprise."
Vous pensez que ces critiques trouvent leur source dans d’autres motivations ?
"Je ne sais pas si je devrais répondre à cette question (sourire). Disons que je pense que beaucoup de fausses idées concernant cette partie du monde guident l’ordre du jour."
Qu’en est-il de la question de l’alcool ? Les supporters pourront-ils boire de la bière ?
"L’alcool est, pour le moment, disponible dans les hôtels quatre ou cinq étoiles. Les fanzones serviront de l’alcool. Les supporters pourront en obtenir dans les stades, aussi."
Ce sera possible de boire une bière dans les stades donc ?
"Oui, mais pas en étant assis. Ce sera permis dans le périmètre et dans les lounges VIP. Elle sera vendue trois heures avant le match jusqu’à une heure après."
Il y a de la pression sur l’équipe nationale du Qatar pour accéder au deuxième tour ou même pour gagner un seul match ?
"Pas vraiment. Reste que je pense que c’est important pour le pays hôte d’aller le plus loin possible. Le fait qu’il soit encore engagé dans le tournoi ajoute quelque chose."
Au niveau de l’ambiance ?
"Non pas spécialement. Les stades seront remplis quoiqu’il arrive. En règle générale, le pays hôte reçoit le soutien des autres supporters aussi. Et puis, pour la population locale, c’est toujours chouette de se sentir inclus dans la compétition ‘sportivement’ et pas seulement dans l’organisation. Et le Qatar n’est pas une mauvaise équipe (sourire). Nous sommes champions d’Asie. Fun fact : nous avons terminé deuxième de la Coupe du monde U20 en 1981."
Jusqu’où pensez-vous que le Qatar ira ? Et que pensez-vous de la Belgique ?
"Ce sont des questions difficiles pour un officiel (rires). Je vais répondre comme je devrais répondre. J’espère que le Qatar ira le plus loin possible. Beaucoup d’équipes peuvent gagner la compétition. La Belgique est une bonne équipe. J’ai une relation ‘personnelle’ avec Roberto Martinez. Il est venu ici plusieurs fois et est très content de tous les arrangements qui ont été faits pour les Belges. Ils restent assez loin de Doha (NdlR : à une heure de route, soit de l’autre côté du pays). Mais c’est son choix."
Quelles difficultés avez-vous rencontrées pour construire autant de stades sur une si petite surface ?
"Aucune. Nous pensons que le fait que tout soit si concentré joue à notre avantage. Il ne faut pas prendre l’avion pour aller d’une ville à l’autre."
*En 2017, Michael Garcia, le procureur américain en charge du dossier, a remis la lumière sur les conditions d’attribution des Coupes du monde 2018 à la Russie et 2022 au Qatar. Mais sans preuves formelles sur un achat du Mondial par le petit émirat. Le Qatar estime que les fruits de cette investigation leur donnent raison dans l’affaire.
Mise à jour 21/09/2022 8h
À nos lecteurs
La publication, dans le journal de mardi, de l'interview de Nasser Al Khater, patron du Mondial au Qatar, a suscité des réactions négatives de certains lecteurs, regrettant le manque de remise en contexte de cet entretien. Il nous a semblé important de donner la parole à celui qui est un personnage-clé dans l'organisation de la prochaine Coupe du monde et de lui permettre de s'exprimer alors que de nombreuses critiques visent son pays. Dans son souci permanent d'objectivité et de rigueur, La Libre Belgique a déjà publié de nombreux articles, éditos et opinions extérieures dénonçant notamment les côtés contestables de l'attribution de la Coupe du monde au Qatar, l'exploitation des travailleurs migrants sur les chantiers et les dégâts environnementaux que cette compétition va entraîner. Et d'ici le début de la Coupe du monde, La Libre continuera d'informer ses lecteurs sur la "face sombre" de ce Mondial.