INTERVIEW. « Aujourd’hui, nous sommes en train de tuer le bio parce qu’on le vend trop cher »

 » Regardez l’effondrement des produits bio ! Il y a clairement une problématique de prix » alerte l’expert Xavier Terlet.

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La réduction des emballages, une juste rémunération aux producteurs, le respect du bien-être animal… Les nouveaux produits alimentaires que nous mettrons dans le caddie devront non seulement être gustativement bons mais correspondre aussi aux valeurs de consommateurs désormais sensibilisés à des causes environnementales et sociales. Xavier Terlet, célèbre grand expert de l’innovation alimentaire, nous a dressés le portrait de cette liste de courses éthiques.

À en croire la dernière étude Kantar Insights Food menée en amont de la prochaine édition du Sial, l’éthique devient le troisième générateur d’innovations alimentaires. De quoi parle-t-on précisément ?

On inclut les préoccupations environnementales et citoyennes, comme la juste rémunération d’un éleveur ou le bien-être animal. En 2021, 7,1 % des nouveaux produits alimentaires lancés dans le monde avaient une promesse éthique. Cela peut paraître peu, mais en comparaison à l’offre identifiée il y a dix ans, c’est énorme parce que par le passé celle-ci était marginale, sinon absente.

Tous les consommateurs sont-ils sensibles à ce type d’offres que l’on soit en Chine, en France ou aux États-Unis ?

C’est en France que l’on trouve la plus importante offre alimentaire où les innovations font le pari de l’éthique.

Quelle forme ces promesses alimentaires éthiques prennent-elles ?

En premier lieu, cela concerne l’emballage. Les industriels utilisent des protections qui contiennent moins de matière. Il s’agit d’afficher par exemple « -60 % de plastique » ou « -60 % de matière ». On fait appel par exemple à ce « skin pack », utilisé dans les rayons poissonnerie ou boucherie, qui rappelle le sous-vide avec une planche de carton sur laquelle le produit est plaqué et protégé par un film adhérant complètement à ce dernier. Les marques font appel aussi au bioplastique. Sinon, les industriels communiquent sur l’empreinte carbone de leur process de fabrication ou l’appel à des producteurs locaux. On voit aussi l’utilisation de produits qui auraient été jetés.

Ces nouveaux produits alimentaires se distinguent sans doute du reste du rayon avec des tarifs plus élevés. Mais dans ce contexte inflationniste, les consommateurs sont-ils prêts à payer plus cher ?

D’après l’étude que nous avons menée pour le Sial, nous nous rendons compte que le consommateur est de moins en moins enclin à dépenser davantage pour s’offrir ces produits qui font la promesse de l’éthique. Aujourd’hui, ils sont 14 % à partager cet avis, et c’est complètement nouveau. Et c’est en inadéquation avec l’offre que l’on connaît aujourd’hui qui justifie ses tarifs plus élevés en raison de sa promesse éthique. Le réveil risque d’être difficile pour les industriels. Il faut vraiment que la valeur soit réellement ajoutée pour qu’un consommateur accepte de payer plus. Regardez l’effondrement des produits bio ! Il y a clairement une problématique de prix.

Le marché du bio est saturé. En 2020, un produit sur trois lancés en France était bio. La différence de prix peut être de l’ordre de 65 à 70 % supérieure, si l’on en croit diverses études. Aujourd’hui, nous sommes en train de tuer le bio parce qu’on le vend trop cher ! Prenez le yaourt Danone vendu par quatre. Le même estampillé de la mention bio est deux fois plus cher au kilo ! Le consommateur ne comprend plus pourquoi il y a une telle différence et cela se traduit par une baisse d’achat. Je ne dis pas qu’il n’y a plus d’avenir pour le bio. Il y a de l’avenir pour un bio discount, sinon simple et pas cher, qui affiche d’autres valeurs ajoutées, c’est-à-dire un bio local, respectueux du bien-être animal.

Ces aliments éthiques sont-ils appelés à perdurer dans les rayons ?

Les industriels sont en train de faire la même erreur qu’avec les alicaments. Il y a dix ans, on se disait que la santé incarnait le principal souci du consommateur. Résultat, on a préparé des aliments qui soignaient ou qui faisaient du bien tout en oubliant que le consommateur voulait avant tout se faire plaisir. On lui a vendu des produits dont la place était en pharmacie et pas en supermarché. L’échec fut cuisant.

Aujourd’hui, c’est une erreur fondamentale pour les marques de ne mettre en avant que la valeur éthique de leur produit sans miser sur le plaisir. Quand on fait ses courses, on n’achète pas des produits écologiques, on achète des aliments pour se nourrir.

Le deuxième moteur d’innovations alimentaires, c’est la santé. N’avions-nous pas déjà fait le tour de cette approche ?

Rappelons d’abord que pour les consommateurs, les achats alimentaires s’effectuent selon trois critères que l’on pourrait résumer en disant « mon plaisir, ma santé et ma planète », sachant qu’il s’agit d’un ordre successif. L’innovation qui s’est le plus vendue en 2021, c’est la glace de Ferrero. Désormais, on recherche des produits qui nous font du bien et qui nous apportent du plaisir. Dans la confiture par exemple, on ne joue donc plus sur la réduction du sucre, mais sur le goût intense des fruits. Quand on abaisse le taux de sel, on ajoute des épices pour donner du goût.

On parle aussi beaucoup d’umami, cette cinquième saveur décrite par la cuisine nippone. On veut des produits moins transformés, se faire plaisir avec des aliments simples, axés sur la naturalité et le végétal. Le consommateur peut souhaiter obtenir aussi une fonction supplémentaire en profitant des propriétés de « super algues » ou de « super graines », c’est-à-dire d’ingrédients naturels.

La santé, c’est aussi l’un des arguments phares des alternatives végétales aux protéines animales. Compte tenu des nouveaux régimes alimentaires à la mode, comme le végétarisme mais aussi des problématiques autour du bien-être animal, quel futur envisagez-vous pour ce rayon ?

D’abord, ce n’est pas nouveau. J’ai pu découvrir les premiers steaks de soja en 1998, avec Sojasun. En 2016, lors du Sial, on avait aussi félicité une marque pour ses steaks à base de lentilles. Ces aliments sont bien acceptés parce qu’ils sont naturels. Ce sont des légumineuses. Le rayon se développe au travers de nouvelles recettes savoureuses et plus simples.

En revanche, les produits qui ont vocation à remplacer la viande en tentant de l’imiter avec une texture ou un goût semblable sont ultra-transformés. Il y a des additifs dans tous les coins. Ce marché est limité par l’ultra-transformation de leurs recettes et leurs prix trop élevés. Il ne faut pas vendre du faux au consommateur français. Demain, l’alternative qui fonctionnera, ce sera celle qui ne misera pas sur l’imitation mais qui proposera une autre expérience, avec du goût.

Quelles seront les saveurs stars des nouveaux aliments que nous achèterons en grandes surfaces ?

Ce sont les goûts forts qui imprègnent les nouvelles innovations. La truffe reste une valeur sûre, et il y a aussi le gingembre, le safran qui se développe. La promesse de l’intensité apparaît beaucoup sur les packagings. L’expérience nouvelle d’un goût, voilà l’attente du consommateur d’aujourd’hui.

Salon international de l’alimentation, du 15 au 19 octobre à Paris Nord Villepinte

(ETX Daily Up)

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