UNE ŒUVRE EN DÉTAILS

« Mélancolie » d’Edvard Munch : l’angoisse éternelle de l’homme face à la nature

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Publié le , mis à jour le
Une image universelle du vague à l’âme, de l’impuissance de l’être laissé seul face aux éléments. Le thème de la mélancolie hanta tant Edvard Munch (1863–1944), qu’il en peignit pas moins de cinq versions. Fragment majeur de la Frise de la vie, le thème évoque l’abandon, l’amour, la folie, mais aussi la beauté des paysages norvégiens. Scrutons ce chef-d’œuvre du KODE Art Museum de Bergen à la loupe !
Edvard Munch, Mélancolie
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Edvard Munch, Mélancolie, 1894-1896

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Un motif récurrent dans l’œuvre de Munch

Munch en connaissait un rayon sur la mélancolie… Abandon, angoisse et jalousie font partie de sa boussole depuis une enfance marquée par le deuil. Ce spleen, il le sublime dans la Frise de la vie, ensemble d’œuvres jamais achevé dont Mélancolie est une pièce maîtresse et pionnière, qui ouvre ce vaste cycle narratif autour de la vie, de l’amour et de la mort. Cette version, conservée à Bergen, est la dernière des cinq peintures sur ce motif, élaborée en 1891 à Saint-Cloud, pour illustrer un poème du Danois Emanuel Goldstein (1862–1921) dont il partageait le logis. Munch était coutumier du fait, répétant ses compositions en travaillant de mémoire. Outre la deuxième version où la figure est de face, tournant le dos à la scène, chaque Mélancolie est composée de la même manière.

Huile sur toile • 81x101 cm • Bergen,KODE Art Museums and Composer Homes • Dag Fosse / KODE

Edvard Munch, Mélancolie (détail)
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Edvard Munch, Mélancolie (détail), 1894-1896

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Une figure qui résonne avec l’art des maîtres

Un homme assis, soutenant une tête trop lourde de la main : Munch reprend ici l’archétype classique de la mélancolie telle qu’immortalisée par Albrecht Dürer dans sa célèbre gravure de 1514. Plus près de Munch, le Penseur d’Auguste Rodin (1902) emprunte aussi cette pose – l’admiration du Norvégien pour le sculpteur est bien connue. Entre 1892 et 1895, le peintre passe le plus clair de son temps à Berlin où, au cercle du Cochon noir, il découvre la pensée de Friedrich Nietzsche. La figure masculine ne rappelle-t-elle pas le fameux portrait mélancolique du philosophe, tiré par Gustav Schultz en 1882 ? Quoiqu’il en soit, le sujet-même est ambitieux, plaçant Munch dans la lignée des plus grands, de Michel-Ange à Goya.

Huile sur toile • 81x101 cm • Bergen,KODE Art Museums and Composer Homes • Dag Fosse / KODE

Edvard Munch, Mélancolie (détail)
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Edvard Munch, Mélancolie (détail), 1894-1896

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Des rochers bien familiers

En réalité, Mélancolie a des précédents féminins. En 1889, l’artiste peint sa sœur Inger assise sur les rochers d’Åsgardstrand, commune où il passe ses étés, se retirant pour peindre les paysages de sa Norvège adulée. Avec sa rive onduleuse et ses cailloux gigantesques, cette station portuaire située à un point sud-ouest du fjord d’Oslo est reconnaissable entre toutes et, à force d’être peinte, est devenue indissociable de l’œuvre de Munch (même si le Cri se situe quant à lui à Oslo même, du point de vue d’Ekeberg).

Huile sur toile • 81x101 cm. • Bergen,KODE Art Museums and Composer Homes • Dag Fosse / KODE

Edward Munch, Mélancolie (détail)
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Edward Munch, Mélancolie (détail), 1894-1896

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La nature : miroir de l’âme

L’homme n’est pas le seul à être pris de vague à l’âme… Avec Mélancolie, Munch abandonne toute forme de naturalisme ou même d’impressionnisme, donnant aux éléments des ondulations expressionnistes, rendant le ciel flamboyant dans une symphonie de couleurs fantastiques drapant le paysage de mystère, comme si celui-ci était une projection de la réalité intérieure du modèle, une hallucination. Évoquant les maisons qu’Edward Hopper allait peindre quelques décennies plus tard, cette masure sans ouverture est un autre écho à l’état de l’âme, sans salut possible. La composition avec ses aplats synthétiques évoque aussi celle du Christ au jardin des oliviers de Paul Gauguin (1888), même si rien n’indique que Munch ait pu observer cette toile à Paris. Accentuant les perspectives à l’extrême, Munch reclut enfin davantage l’homme dans sa propre névralgie.

Huile sur toile • 81x101 cm • Bergen,KODE Art Museums and Composer Homes • Dag Fosse / KODE

Edward Munch, Mélancolie (détail)
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Edward Munch, Mélancolie (détail), 1894-1896

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Une scène inspirée du vécu de l’artiste

L’homme doit son chagrin au couple sur la jetée. Quand il réalise la première version de Mélancolie en Norvège en 1891, Edvard Munch vient de consoler son ami le poète Jappe Nilssen (1870–1931) d’une peine de cœur. Âgé d’un peu plus de vingt ans, ce dernier a vécu à Åsgardstrand une liaison passionnée avec Oda Krohg-Larsson, peintre de dix ans son aînée et épouse du peintre Christian Krohg, qui fut par ailleurs le premier défenseur public de Munch. À peine perceptible à l’arrière-plan, on voit le couple marié Christian-Oda gagnant sa barque par la jetée pour laisser seul Nilssen. Si cet épisode a touché à ce point le peintre, c’est qu’il a lui-même vécu quelques années plus tôt une relation enflammée avec une femme mariée, Milly Thaulow, idylle qui lui a brisé le cœur. Munch transforme des désillusions somme toute banales en drames magistraux, dignes d’une pièce d’Ibsen, révélant dans le particulier l’universel.

Huile sur toile • 81x101 cm • Bergen,KODE Art Museums and Composer Homes. • Dag Fosse / KODE

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Edvard Munch. « Un poème d’amour, de vie et de mort »

Du 20 septembre 2022 au 22 janvier 2023

www.musee-orsay.fr

Retrouvez dans l’Encyclo : Expressionnisme Edvard Munch

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