Égalités / Société

Où commencent les violences conjugales?

Contrairement à certaines idées reçues, elles ne se résument pas à des coups portés répétés. Elles peuvent aussi être verbales ou psychologiques.

Ce n'est qu'il y a douze ans que les violences psychologiques sont entrées dans le code pénal; elles sont désormais punies au même titre que les violences physiques. | Priscilla Du Preez <a href="https://unsplash.com/photos/gGmSBAps6K0">via Unsplash</a>
Ce n'est qu'il y a douze ans que les violences psychologiques sont entrées dans le code pénal; elles sont désormais punies au même titre que les violences physiques. | Priscilla Du Preez via Unsplash

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C'est dans un long communiqué partagé sur Twitter le dimanche 18 septembre qu'Adrien Quatennens, député du Nord et numéro 2 de La France insoumise est revenu sur les faits qui lui sont reprochés et qui auraient conduit son épouse à déposer une main courante à son encontre:

«Depuis cette annonce de séparation, nous avons eu des disputes. Dans l'une d'entre elles, je lui ai saisi le poignet. Dans notre dernière dispute, probablement celle qui a justifié son choix de déposer une main courante, je lui ai pris son téléphone portable. Voulant le récupérer, elle m'a sauté au dos. Je me suis dégagé, et me relâchant, elle s'est cogné le coude. Dans ce contexte d'annonce de séparation, j'ai envoyé de trop nombreux messages à mon épouse pour tenter de la convaincre que nos difficultés de couple pouvaient être dépassées. Je pense que Céline a pu évoquer un autre fait daté d'un an où, dans un contexte d'extrême tension et d'agressivité mutuelle, j'ai donné une gifle. Je l'ai donnée alors que cela ne me ressemble pas et cela ne s'est jamais reproduit. J'ai profondément regretté ce geste et je m'en suis alors beaucoup excusé.»

Harcèlement téléphonique, gifle, refus d'accepter la volonté de divorce de son épouse, empoignade… Autant d'actes ici concédés qui restent en travers de la gorge de toutes les personnes engagées contre les violences conjugales et de celles qui en ont subies.

Entreprise de justification et de banalisation

Depuis lors, les membres de LFI se sont lancés dans une entreprise de justification et de banalisation de ces actes. Dernier en date, le député des Bouches-du-Rhône Manuel Bompard, qui a déclaré au micro de CNews le 23 septembre: «Une gifle n'est pas égale à un homme qui bat sa femme tous les jours.»

De leur côté, de nombreuses personnalités et militantes féministes ont dénoncé des violences conjugales exercées sur Céline Quatennens par son mari. Où commencent ces violences? Sont-elles les mêmes qu'on les observe d'un point de vue militant et associatif ou d'un point de vue juridique?

Dans le cas de Quatennens comme dans bien d'autres, certains ne retiendront que la gifle. Après tout, l'image de la femme portant des hématomes est bien présente dans les esprits et semble être le symbole tout entier des violences au sein du couple. Pourtant, quel que soit le point de vue adopté, les violences ne se limitent pas aux coups portés. «Pour nous, la violence conjugale commence dès qu'une emprise s'installe. C'est très insidieux et cela se fait petit à petit», explique Emmanuelle Beauchêne, responsable coordinatrice à l'association SOlidarité femmeS Loire-Atlantique.

Les violences psychologiques sont bel et bien des violences

C'est dans ce sens et pour inviter les personnes potentiellement victimes à prendre conscience de ce qu'elles subissent qu'a été créé le «violentomètre» fin 2018 par les Observatoires des violences envers les femmes de Seine-Saint-Denis et de Paris, l'association En avant toute(s) et la Mairie de Paris. Suivant une certaine progressivité dans la gravité des actes, il montre que les violences psychologiques –qu'il s'agisse de dénigrement, de manipulation, de contrôle des SMS ou des mails, de jalousie excessive ou bien encore de chantage ou de harcèlement– sont bel et bien des violences.

L'absence de blessure physique ne signifie pas l'absence de violence. Ces violences verbales et/ou psychologiques qui, en elles-mêmes sont graves, peuvent en outre conduire à des violences physiques et/ou sexuelles selon un principe de pente glissante que connaissent bien celles et ceux qui travaillent sur le sujet.

Le violentomètre, un outil d'auto-évaluation mis au point par plusieurs associations de lutte contre les violences faites aux femmes. | Capture d'écran via seinesaintdenis.fr

Ce n'est qu'il y a douze ans que ces violences psychologiques sont entrées dans le code pénal; elles sont désormais punies au même titre que les violences physiques. «En droit, c'est hier», analyse Louiza Amhis, avocate à la cour.

Rappelons qu'aux yeux du code pénal, il y a violence dès lors qu'est ou sont commis un ou plusieurs actes de nature à causer sur la victime une atteinte à son intégrité physique (mutilation, infirmité, voire décès) ou psychique (choc émotif, perturbation psychologique).

Le code pénal dispose ainsi désormais dans son article 222-33-2-1: «Le fait de harceler son conjoint, son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45.000 euros d'amende lorsque ces faits ont causé une incapacité totale de travail inférieure ou égale à huit jours ou n'ont entraîné aucune incapacité de travail et de cinq ans d'emprisonnement et de 75.000 euros d'amende lorsqu'ils ont causé une incapacité totale de travail supérieure à huit jours ou ont été commis alors qu'un mineur était présent et y a assisté.»

Le caractère répétitif des faits n'est pas une condition sine qua non

En outre, le caractère répétitif des faits n'est pas forcément une condition sine qua non à l'infraction. En effet, l'article 222-14-3 du code pénal portant sur les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne et aux violences signale: «Les violences prévues par les dispositions de la présente section sont réprimées quelle que soit leur nature, y compris s'il s'agit de violences psychologiques.»
 

Cependant, cette reconnaissance des violences psychologiques n'est encore souvent que symbolique. «Il existe une certaine difficulté à prouver les faits lorsque l'on ne peut pas constater de blessures physiques, explique Louiza Amhis. En outre, le huis clos familial profite toujours à l'auteur des faits.» Elle note toutefois une amélioration progressive de la prise en compte de ces violences psychologiques, et notamment des incapacités temporaires de travail (ITT) permettant de qualifier les actes en infraction et d'évaluer leur gravité et le préjudice subi.

L'ordonnance de protection pour être rapidement en sécurité

Reste que les procédures sont parfois longues et que devant la difficulté à prouver les violences, la victime peut se retrouver démunie et en danger. C'est pour cela que Louiza Amhis invite à se faire accompagner pour saisir le juge aux affaires familiales en vue d'obtenir une ordonnance de protection. Cette procédure civile pour laquelle le juge doit statuer dans les six jours repose sur la vraisemblance des faits rapportés, comme le stipule l'article 515-11 du code civil: «L'ordonnance de protection est délivrée par le juge aux affaires familiales, s'il estime, au vu des éléments produits devant lui et contradictoirement débattus, qu'il existe des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblables la commission des faits de violence allégués et le danger auquel la victime est exposée.»
 

Cette ordonnance de protection permet de mettre la victime, ainsi que le ou les enfants du couple, en sécurité. En effet, le juge peut accorder à titre provisoire notamment des mesures telles qu'expulser l'auteur des violences du domicile du couple, lui interdire de recevoir ou de rencontrer la victime et/ou les enfants, lui interdire d'aller dans certains lieux où se rend habituellement la victime… En outre, le non-respect de cette ordonnance aura des conséquences au pénal puisque le non-respect des mesures imposées constitue un délit puni de deux ans d'emprisonnement et de 15.000 euros.

 

Gifle isolée ou coups répétés, il s'agit de violences physiques

Bien sûr, il est aussi possible de porter plainte et de requérir une ordonnance de protection pour des violences physiques –«et même pour des coups portés sur des murs ou des objets, précise Maître Régine Bathelémy, avocate en droit de la famille, des personnes et de leur patrimoine. Il n'y a pas nécessité à ce qu'il y ait un contact entre l'auteur des faits et la victime.»

Certains seront tentés de différencier les cas où des coups sont échangés dans le cadre d'un conflit violent au sein du couple, de ceux où ils surviennent dans un contexte d'emprise. Mais un acte de violence physique reste un acte de violence physique. Et le fait qu'il soit exercé par le ou la conjoint·e ou l'ex-conjoint·e est une circonstance aggravante, contrairement à la tentation de banaliser une gifle isolée ou supposée isolée. La peine dépendra ici aussi du nombre d'ITT. Le fait qu'un enfant du couple assiste aux faits constitue une autre circonstance aggravante et l'enfant sera lui-même considéré comme une victime, comme le signale l'article 222-11 du code pénal.

Enfin, le code pénal prévoit des sanctions particulières pour les «violences habituelles», c'est-à-dire pour des violences perpétrées de manière régulière sinon quotidienne.

Contexte d'emprise

Il précise dans l'article 222-14 que les «violences habituelles commises» par «le conjoint ou le concubin de la victime ou par le partenaire lié à celle-ci par un pacte civil de solidarité» sont punies par des peines allant de cinq ans d'emprisonnement et de 75.000 euros d'amende lorsqu'elles n'ont pas entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de huit jours, à trente ans de réclusion criminelle lorsqu'elles ont entraîné la mort de la victime.

Dans un contexte d'emprise, il existe souvent une conjonction avec des violences sexuelles mais aussi des violences économiques (contrôle des dépenses, suppression de la carte vitale, des moyens de paiement, interdiction de travailler). S'y ajoutent également des moyens de pression –économiques, sociaux, moraux, etc.– qui font que la victime se retrouve (ou se sent) bien souvent dans l'incapacité de quitter le domicile.

La loi française est théoriquement en mesure de protéger les victimes

Louise Delavier, directrice des programmes de l'association En avant toute(s) conclut: «Dans tous les actes de violence, il y a toujours des tentatives de banalisation, que ce soit du côté de la victime, de l'auteur des faits ou de l'entourage. Il ne faut ni banaliser ces actes, ni penser qu'ils ne surviennent qu'aux marges de la société. En revanche, leur dimension complexe et protéiforme doit inviter toute personne qui se pose des questions sur la qualité de sa relation de couple à ne pas rester seule face à ces questions.»

Aujourd'hui, même s'il existe encore des freins structurels et administratifs, la loi française est théoriquement en mesure de protéger les victimes et de sanctionner les auteurs et autrices de violences au sein du couple. Le plus dur est sans doute de reconnaître la gravité d'actes que la société a eu trop tendance à banaliser.

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