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"Je refuse d’être un pion de Poutine" : la fuite d’un Russe en Géorgie pour éviter la mobilisation

L'annonce de la mobilisation massive en Russie afin de renforcer les effectifs des combattants en Ukraine a déclenché une ruée vers les frontières. Notre Observateur fait partie des dizaines de milliers de Russes qui ont fui vers la Géorgie voisine. Des images partagées en ligne montrent d'immenses files d'attente qui se sont formées aux frontières de la Russie, alors que les gens fuient en voiture, à vélo ou à pied.

File d'attente à la frontière russe avec la Géorgie le 28 septembre 2022.
File d'attente à la frontière russe avec la Géorgie le 28 septembre 2022. © Telegram
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Si le Kremlin a déclaré que la mobilisation ne concernerait que les hommes adultes en bonne santé ayant une expérience du combat, des voix rapportent que des hommes officiellement exemptés ont été contraints de partir en Ukraine, ce qui a provoqué une ruée vers l'extérieur du pays. 

Un homme de Bouriatie, une région montagneuse de Sibérie orientale, a déclaré au site d'information russe indépendant The Insider que les agents de recrutement "passent les villages au peigne fin". Selon ce témoin, “les hommes sont emmenés, quels que soient les critères. Il y a 400 personnes dans notre village, et ils ont pris 20 hommes". Pendant ce temps, dans une vidéo partagée sur les réseaux sociaux, un Russe a déclaré qu'il s’était retrouvé envoyé sur la ligne de front en quelques jours, sans aucune formation militaire. 

Depuis l'annonce de la mobilisation le 21 septembre, au moins 10 000 personnes sont entrées de Russie en Géorgie chaque jour, soit le double du nombre de personnes avant la mobilisation, selon les autorités locales. L'embouteillage menant à Verkhny Lars, un poste frontière vers la Géorgie depuis la région russe d'Ossétie du Nord s’est étendu sur près de 20 km, dans une file d’attente si longue qu’elle était visible depuis l'espace. 

 

"La situation à la frontière ressemble à une catastrophe humanitaire"

Notre Observateur Kirk (pseudonyme) a servi dans l'armée russe en 2010 et 2011 en tant que sergent junior. Il a décidé de fuir en Géorgie car il ne voulait pas être "forcé de participer à la guerre criminelle d'un seul homme". "Je ne suis pas un meurtrier et je n'ai pas l'intention de tuer des innocents. Je ne veux pas mourir à cause des idées d'un seul fou, je ne veux pas être un pion dans son jeu mortel", dit-il, en référence à Vladimir Poutine. 

Il a fallu à Kirk quatre jours et trois voyages en avion pour se rendre de Kaliningrad, une enclave russe située entre la Lituanie et la Pologne, à Vladikavkaz, à 30 km de la frontière russe, puis à Verkhny Lars, ville frontalière de la Géorgie. Le voyage lui a coûté l’équivalent de 2 000 euros. 

L'embouteillage a duré une éternité. Il y avait des milliers de personnes [à la frontière de Verkhny Lars]. Je savais que cela me prendrait trop de temps pour atteindre la frontière en voiture, alors j'ai acheté un vélo à quelqu'un pour 600 dollars afin d'atteindre le poste de contrôle plus rapidement.

J'ai pédalé pendant environ 20 kilomètres. J'avais six litres d'eau et deux sacs de noix avec moi. J'ai donné deux bouteilles d'eau à des personnes dans le besoin. Beaucoup de gens qui voyageaient en voiture devaient rester là pendant environ quatre jours, ils avaient donc un besoin urgent d'eau et de nourriture.

Dans certaines régions, les autorités russes ont tenté d'endiguer le flux, en interdisant à certains hommes de partir et en invoquant les lois de mobilisation. Une pratique qui ne semble cependant pas généralisée. 

Selon la police d'Ossétie du Nord, un bureau d'enrôlement de fortune a été mis en place au point de passage de Verkhny Lars. Des responsables locaux ont confirmé à l'agence de presse d'État Tass que des hommes de nationalité russe recevaient des convocations au moment de leur passage en Géorgie. Mais notre Observateur a réussi à s'échapper avant que ces mesures ne soient appliquées. 

J'ai fait la queue pendant environ six heures, puis je me suis rendu au poste de contrôle pour faire tamponner mes documents. Je suis passé devant les gardes-frontières géorgiens. Il était évident qu'ils essayaient de travailler plus rapidement pour laisser passer les gens. Il m'a fallu environ 12 heures au total pour passer, mais j'ai eu de la chance, beaucoup de gens ont dû attendre plusieurs jours. La situation à la frontière ressemble à une catastrophe humanitaire.

À ce moment-là, ils ne pouvaient pas m'interdire de fuir en invoquant la loi, mais j'ai entendu dire que certains hommes ont quand même été interdits de sortie. Les gens pensent que les frontières seront bientôt complètement fermées, c'est pour ça que tant de Russes essaient de sortir tant qu'ils le peuvent. 

La région russe d'Ossétie du Nord a déclaré l'état de "haute alerte" et a indiqué que de la nourriture, de l'eau, des stations de chauffage et d'autres aides devraient être apportées à ceux qui ont passé des jours dans les files d'attente. Du côté géorgien de la frontière, des volontaires ont apporté de l'eau, des couvertures et diverses aides.

Je suis très reconnaissant à la Géorgie et à tous les Géorgiens pour l'accueil qu'ils nous ont réservé. À mon arrivée, j'ai été accueilli par un de mes amis qui vivait ici depuis un certain temps.

Depuis mon arrivée en Géorgie, j'ai pu accéder à de nombreuses informations sur ce qui se passe en Ukraine, qui étaient bloquées lorsque j'étais en Russie. J'avais l'habitude d'accéder à d'autres médias lorsque j'étais chez moi grâce aux VPN, mais les autorités les bloquent de plus en plus.

Tous les Géorgiens ne sont pas favorables à l'arrivée de Russes dans leur pays. Mercredi 28 septembre, des manifestants se sont rassemblés à la frontière et ont demandé aux autorités de mettre fin à l'afflux de Russes.

"Heureusement, j'ai réussi à m'échapper au moment où je l'ai fait"

Dans un ultime effort pour recruter ceux qui fuient l'ordre de mobilisation, l'armée russe a mis en place des bureaux de recrutement aux postes frontières. Des médias russes indépendants ont fait état d'un centre de recrutement mobile près de la frontière russe de Verkhny Lars avec la Géorgie, installé dans une camionnette noire sur laquelle était inscrit "bureau d'enrôlement militaire". Un autre bureau de recrutement improvisé a été signalé le long de la frontière nord de la Russie, à un point de passage avec la Finlande. 

Notre observateur ajoute  : 

 

Des points de recrutement sont placés à la frontière car il y a un manque de coordination entre l'armée et les gardes-frontières. Les autorités tentent de réduire le flux de personnes fuyant le pays et d'identifier celles qui sont déjà soumises à la conscription. Heureusement, j'ai réussi à m'échapper au moment où je l'ai fait.

Un autre défi, c’est aussi de passer outre les invectives de leurs concitoyens. 

Dans cette vidéo partagée sur Telegram, on peut entendre un habitant de l'Ossétie du Nord parler à un Russe qui tente de s'enfuir : "Pourquoi quittez-vous votre pays ? Etes-vous soumis au service militaire ? Montre-moi ton passeport !"

Des dizaines de milliers d'autres sont partis via d'autres pays voisins, notamment le Kazakhstan, la Finlande et la Mongolie. 

" "A la frontière avec le Kazakhstan, les Russes qui attendent leur tour pour passer la frontière vivent sous des tentes, et font la cuisine sur des friteuses. La Russie connaît ces jours-ci un véritable exode biblique - les Russes fuient le pharaon du Kremlin, qui veut tous les détruire."

 

File d'attente à la frontière mongole

 

A l’annonce de la mobilisation, les prix des billets d’avion de certaines destinations comme Istanbul, Belgrade ou Dubaï se sont envolés. Des destinations affichaient complet.

Le 24 septembre, Vladimir Poutine a signé un décret qui durcit les peines pour reddition volontaire aux forces ennemies, désertion et refus de combattre. Ces infractions sont désormais passibles de peines pouvant aller jusqu'à dix ans de prison. 

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