Les algorithmes de Meta ont facilité la diffusion massive de contenus haineux dans un pays où Facebook se confond avec Internet. Ils ont ainsi contribué à l’épuration ethnique des Rohingyas, explique Amnesty International dans le rapport d’enquête que l’ONG vient de publier. Elle s’appuie sur les "Facebook Papers" pour montrer que l’entreprise le savait et n’est pas intervenue. La campagne d’Amnesty pour mettre Meta face à ses responsabilités, montre que les violations des droits humains prennent de nouvelles formes, incontrôlées.
Le titre du rapport d’Amnesty International sur la responsabilité de Meta, maison-mère de Facebook, est sans ambiguïté : "L’atrocité des réseaux sociaux : Meta face au droit à réparation des Rohingyas". Il a été publié dans plusieurs pays le 29 septembre, date anniversaire de l’assassinat du Mohib Ullah, président de la Société des Rohingyas de l’Arakan pour la paix et les droits humains, animateur du mouvement qui demande réparation à Meta. L’enquête d’Amnesty établit qu’"en 2017, des Rohingyas ont par milliers été tués, torturés, violés et déplacés dans le cadre de la campagne de nettoyage ethnique menée par les forces de sécurité du Myanmar. Dans les mois et les années ayant précédé ces atrocités, les algorithmes de Facebook ont intensifié la vague de haine contre les Rohingyas, contribuant ainsi à la survenue de violences dans la vraie vie", résume Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International.
Il y a deux dimensions à la campagne menée par l’ONG défenseure des droits humains, contre Meta à propos de la Birmanie. La première est d’appuyer le combat mené par les Rohingyas qui demandent réparation à l’entreprise. Leurs organisations ont commencé par s’adresser directement à Meta en lui suggérant d’investir un million de dollars dans les programmes d’éducation des camps de réfugiés au Bengladesh. Leur demande de financement (0,002 % des 46,7 milliards de dollars de bénéfices de Meta en 2021) a été sèchement refusée au motif que "Facebook ne participe pas directement à des activités philanthropiques".


L’ONG saisit les tribunaux


Les réfugiés Rohingyas ont alors judiciarisé leur combat. Pour Showkutara, une jeune militante rohingya de 22 ans, "Facebook doit payer. Si elle ne le fait pas, nous irons devant chaque tribunal de la planète. Nous n’abandonnerons jamais notre combat". Une saisine de l’OCDE en violation de ses Principes Directeurs à l’intention des multinationales est elle-aussi à l’instruction aux États Unis. Ils constituent avec les Principes Directeurs des Nations unies sur les droits humains, les normes internationales sur les droits humains. Or le rapport d’Amnesty montre que Meta s’est "de façon répétée abstenue d’exercer la diligence requise en matière de droits humains pour ses opérations au Myanmar alors même qu’elle était tenue de le faire au titre des normes internationales".
La seconde dimension de l’action d’Amnesty consiste à élargir le combat contre les dérives du modèle économique de Facebook dont l’entreprise a conscience, sans rien faire pour les arrêter. Elle met en avant un document interne d’août 2019, extrait des "Facebook papers", rendus publics par la lanceuse d’alerte Frances Haugen, où un salarié de Meta écrit : "Nous avons la preuve, apportée par diverses sources, que les discours de haine, les discours politiques clivants et la désinformation sur Facebook […] nuisent à la société partout dans le monde. Nous disposons aussi de preuves irréfutables montrant que les éléments de base du fonctionnement de notre produit, tels que la viralité, les recommandations et l’optimisation de l’engagement, contribuent de façon considérable à la propagation de ce type de discours sur la plateforme".


Le risque d’entraîner d’autres massacres


Meta doit garder le plus longtemps possible l’attention des membres de son réseau géant pour obtenir le maximum de données personnelles, permettant de cibler les publicités qui leur sont adressées. "Or ce sont les contenus les plus clivants basés sur l’émotion qui sont les plus partagés. Peu importe que ce soit des appels à la haine ou des Fake News qui accèdent ainsi à une diffusion massive", explique Katia Roux chargée de plaidoyer "technologie et droits humains" à Amnesty International France. Elle ajoute : "nous faisons cette campagne parce que nous craignons qu’avec une caisse de résonance aussi puissante, des appels à la haine comme ceux qui ont incité à massacrer les Rohingyas entraînent d’autres massacres, en particulier là où il y a de fortes tensions ethniques".


Même si dans certains pays, Internet et les réseaux sociaux restent le seul moyen de faire partager au reste du monde le combats de populations qui se révoltent comme en Iran, Amnesty espère alerter sur les dérives incontrôlées de Facebook et des autres réseaux de Meta, WhatsApp et Instagram. En Birmanie comme au Brésil et ailleurs, leurs contenus viraux vidéos appelant à la haine et décrédibilisant ceux qui tentent de défendre la démocratie ont été déterminants pour faire basculer des situations "du côté obscur de la force".
Anne-Catherine Husson Traore, @AC_HT_, directrice générale de Novethic
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