Anniversaire

Naissance du Front national en octobre 1972: déjà la dédiabolisation

Dès sa création, le parti est pensé comme une vitrine au groupuscule Ordre nouveau et Le Pen présenté comme une caution rassurante pour la vieille garde de l’extrême droite.
par Dominique Albertini
publié le 4 octobre 2022 à 20h44

Si Libération, créé quelques mois plus tard, avait existé le 5 octobre 1972, qu’aurait-il rapporté de la réunion fondatrice du «Front national pour l’unité française» ? Aujourd’hui hégémonique à l’extrême droite, et candidat au pouvoir, le futur Rassemblement national (RN) est né dans l’indifférence du public. Ce jour-là, salle des Horticulteurs à Paris, il y a moins de 100 personnes pour assister à son avènement. On y exhibe la flamme tricolore, simple copie de celle du MSI, un mouvement néofasciste italien – à cela près que du bleu remplace le vert. On écoute aussi le président du nouveau parti, un ancien député poujadiste du nom de Jean-Marie Le Pen. Ce dernier, contrairement au récit qu’il cultivera plus tard, n’est pas le seul et même pas le principal artisan de l’opération.

Le fond de l’affaire est, déjà, une histoire de dédiabolisation : celle d’Ordre nouveau (ON), l’un des groupuscules d’extrême droite qui s’agitent dans la France post-68. Plus portés sur le blouson noir que sur la redingote, sur la baston que sur les grands débats, ses jeunes membres cultivent un joyeux dédain pour la «vieille» extrême droite et ses défaites. N’empêche : les plus ambitieux, comme le chef officieux Alain Robert et l’ancien collabo François Brigneau, l’un des rares aînés, veulent en faire une force électorale. Pour cela, il faut dissimuler l’inquiétant groupuscule derrière un plus respectable paravent : un «front national», alliance des jeunes «nationalistes» et de la vieille garde des «nationaux», dont on se moque mais qui feront bon genre.

Parmi les seconds, on pense à Jean-Marie Le Pen. Le futur «diable» du jeu politique fait alors figure de caution rassurante. Il a 44 ans et a commencé sa carrière sous la IVe République, ce qui le désigne, aux yeux d’ON, comme une ennuyeuse baderne. Ces dernières années, il a presque arrêté la politique. Les stratèges d’ON lui proposent une présidence d’apparat, tout en se promettant de garder le contrôle de l’appareil. C’est mal comprendre Le Pen, qui négocie durement les conditions de sa participation au nouveau mouvement.

Avant l’immigration, le combat contre «l’impérialisme communiste»

L’équipe de départ est un curieux attelage : outre Le Pen et l’équipe d’ON, on y trouverait aussi bien l’ancien résistant Georges Bidault (qui partira vite) que d’ex-collaborateurs. Ancien cadre de la Légion des volontaires français, Victor Barthélémy sera plus tard secrétaire général du parti. Quelques années après, le poste reviendra à Pierre Gérard, membre du Commissariat général aux questions juives sous l’Occupation. Intitulé «Défendre les Français», le premier programme du FN tient une ligne réactionnaire et libérale – le futur ministre Gérard Longuet a rédigé la partie économique. L’immigration est évoquée, mais de manière secondaire : à l’époque, c’est «l’impérialisme communiste mondial» qui fait figure d’épouvantail.

Aux législatives de mars 1973, c’est la douche froide : le FN, qui a présenté une centaine de candidats, n’obtient que 1,32 % des voix au niveau national. Les militants d’ON s’estiment mal payés de leurs concessions et retournent à l’activisme. De si bon cœur que le mouvement est dissous le 28 juin, après de féroces affrontements avec les gauchistes en marge d’un meeting. Débarrassé des remuants partenaires qui pensaient faire de lui leur marionnette, Le Pen reste maître à bord. Un capitaine sans moyens ni équipage, il est vrai : pour une dizaine d’années encore, le FN restera le groupuscule de ses débuts.

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