Un père et ses trois enfants assis sur un canapé qui regardent un écran

Michaël Stora : « En France, l’éducation au numérique est un véritable désert »

© Ketut Subiyanto

Le psychologue et cofondateur de l’Observatoire des Mondes Numériques en Sciences Humaines revient sur les injonctions contradictoires faites aux parents pour éduquer leurs enfants au Web. 

On le savait déjà, mais les chiffres semblent le confirmer. Depuis les premiers confinements, les parents ont l’impression que l’utilisation des écrans et notamment des smartphones par les enfants est devenue incontrôlable. Dans une étude publiée par l’entreprise Norton, spécialisée en sécurité informatique, 82 % des parents estiment que les enfants sont accros aux écrans avec une moyenne de 5,2 heures d’activité par jour, en dehors du temps de travail ou scolaire. Ce constat s’accompagne d’ailleurs d’un sentiment de culpabilité puisque près de la moitié des adultes français (46 %) estime que le temps passé devant les écrans a un impact négatif sur leur santé physique et environ un tiers (32 %) déclare qu’ils ont un impact négatif sur leur santé mentale.

Des discours moralisateurs et infantilisants pour les parents

Cette culpabilité vis-à-vis du temps d’écran est d’autant plus forte que la plupart des conseils d’éducation au numérique donnés aux parents portent justement sur ce point. Cette approche est aujourd’hui critiquée par Michaël Stora, psychologue spécialisé dans les comportements problématiques liés au numérique, et auteur du livre Réseaux (a)sociaux : découvrez le côté obscur des algorithmes. « On connaît tous cette signalétique des 3-6-9-12 ans qui consiste à limiter le temps d’écran en fonction de l’âge, mais on reste dans une approche de prescription qui n’a pas beaucoup de sens, explique-t-il. Ça n’adresse aucun des nombreux enjeux de l’éducation numérique. On est toujours en train d’évoquer les dangers qui guettent les enfants, mais pas vraiment l’accompagnement qu’il faudrait mettre en place. On reste dans un discours moralisateur et infantilisant pour les parents. »

Une grande méconnaissance

Pour beaucoup de parents, la surveillance de l’activité des enfants est associée au problème du temps d’utilisation jugé excessif, mais aussi aux situations que les jeunes peuvent rencontrer pendant leur navigation. L’accès à du contenu inapproprié (23 %), les clics sur un lien suspect (22 %), ou encore le partage d’informations personnelles (20 %) sont les activités qui tourmentent le plus les parents. Toutes les inquiétudes sont exacerbées par le fait que beaucoup de parents ignorent ce que font les ados sur leurs portables. « Il y a environ 75 % des parents qui déclarent ne pas savoir exactement ce que font leurs enfants sur Internet, souligne Michaël Stora. Quand on ne sait pas, soit on a une dérive culpabilisante qui va aller vers des interdictions un peu arbitraires, ou bien parce qu'on est absent ou qu’on n’a pas envie de s'y intéresser, on peut aussi laisser l'enfant seul face à ce type de situations. »

L'éducation numérique au collège, ce n’est pas mieux

Les parents ne sont pas vraiment aidés par l’éducation numérique faite dans les collèges. « Là aussi, on reste sur des injonctions très verticales, déclare le psychologue. On va parler du numérique uniquement sous le prisme de la protection d’identité, mais on n’aborde presque jamais les questions liées à la sexualité ou bien à l’accès aux images violentes. Or, c’est un enjeu central pour les ados qui sont concernés par des problématiques d’exhibitionnisme ou bien d’accès à des images montrant la mort. Il n’y a que les infirmières scolaires qui touchent éventuellement ces questions, mais c’est loin d’être suffisant. On a l’impression d’être dans un véritable désert. » 

Éduquer au numérique, c'est éduquer tout court

La solution parfaite n’existe évidemment pas, mais pour le psychologue, il est urgent que les parents partagent plus de temps d’écran avec leurs enfants. « Pendant le confinement, les parents étaient obligés de s’intéresser à ce que leur enfant faisait sur les écrans et ça a permis un partage et du dialogue, indique-t-il. Faisons des écrans des alliés dans la dynamique familiale. Les enfants aiment bien montrer ce qu’ils regardent sur YouTube et il faut saisir ces occasions pour amorcer un dialogue. Il faut valoriser les enfants dans le fait qu’ils nous montrent et qu’ils nous apprennent quelque chose. Il faut dédiaboliser l’écran pour ne plus en faire un objet de transgression ou de convoitise. » S’ajoute à cela, la conscience que le smartphone est devenu un objet central dans l’émancipation des adolescents au point que sa surveillance intrusive ou un contrôle trop strict peuvent être contreproductifs. « Beaucoup de parents ne veulent pas se rendre compte que l’adolescent a besoin de s’autonomiser. Or, dans ces rapports conflictuels, beaucoup de startups proposent une pléthore d’outils de contrôle parental ou de géolocalisation. On préfère enfermer les ados dans une forme de contrôle vis-à-vis de leur portable plutôt que d’instaurer du dialogue. » Surveiller sans être intrusif, dialoguer sans interdire… En fin de compte, l’éducation au numérique ressemble beaucoup à de l’éducation tout court ; et c’est sans doute pour cela que c’est si difficile. 

David-Julien Rahmil

David-Julien Rahmil

Squatteur de la rubrique Médias Mutants et Monde Créatif, j'explore les tréfonds du web et vous explique comment Internet nous rend toujours plus zinzin. Promis, demain, j'arrête Twitter.
premium2
commentaires

Participer à la conversation

  1. Avatar Anonyme dit :

    Bonjour ,le dialogue semble être la clef....avec nos ados .
    Mais nous parents devons aussi montrer l exemple . A table pas de portable et à partir de 20h30 on pose le tel ds le salon et reprise de l Objet au matin pour garder un sommeil réparateur ou se coucher avec la lecture de 2 chapitres d un bon.livre
    Au plaisir

  2. Avatar Dominique dit :

    Tout est toujours question d'équilibre, de dosage. L'éducation au numérique, indispensable, doit d'associer au développement de l'esprit critique, compétence essentielle du #savoirdevenir

  3. Avatar Anonyme dit :

    Un discours de plus sur l'apologie numérique.. qu'effectivement on ne peut plus écarter de l'éducation..
    Il serait plus utile de proposer des actions concrètes d'éducation plutôt que des incantations... pour les enseignants en termes de pédagogie et de conseils concrets aux parents et plus spécifiquement aux enfants....

Laisser un commentaire