Témoignage - Negzzia, mannequin iranienne : un corps libre

Negzzia mannequin iranienne le 28 mai 2019 ©Maxppp - Philippe Labrosse
Negzzia mannequin iranienne le 28 mai 2019 ©Maxppp - Philippe Labrosse
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Negzzia mannequin iranienne le 28 mai 2019 ©Maxppp - Philippe Labrosse
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En 2017, le mannequin Negzzia fuyait l'Iran après avoir été menacée de coups de fouets. Son tort : transgresser l'interdit en posant en lingerie. Aujourd'hui en France, elle témoigne de la répression qui s'abat sur les femmes en Iran.

Il y a trois semaines, Masha Amini décédait après avoir été arrêtée par la police des mœurs iranienne. Des mèches de cheveux dépassaient de son voile. Aujourd'hui, France Inter reçoit experts et témoins pour comprendre la situation en Iran. La répression iranienne, Negzzia la connait bien. Le mannequin a quitté l'Iran en 2017 après avoir été menacée pour des photos dénudées. Réfugiée en France, elle est notre invitée.

Extraits de l'entretien

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La danse comme instrument de liberté

Negzzia raconte l'oppression des femmes : "Petite, à l’école, je pensais être à l’armée. Le premier jour, ma mère a enfermé mon visage dans un hijab très serré. J’ai beaucoup pleuré. Je me sentais laide avec ce manteau trop épais, l’uniforme… Dans ma génération, le rêve était de porter des chaussettes de couleur, mais c’était interdit, elles devaient être blanches. Nos vêtements étaient contrôlés tous les jours à l’entrée de l’école. Et s’ils n’étaient pas conformes, on ne pouvait pas aller en classe.

Je voulais danser. Mais dans mon pays, lorsqu’on est une femme, même quand on est enfant, on est entravé. Mais je ne pouvais pas danser ni dans la rue, ni à l’école, mais seulement pour mon père ou ma mère ou devant le miroir. Même si je n’étais peut-être pas douée, c’était mon rêve."

Une famille pourtant non pratiquante

La mannequin iranienne raconte d'où elle vient : "Notre famille est éduquée. Elle déteste ce gouvernement, et s’informe auprès des chaînes étrangères, ce que font beaucoup d’Iraniens en cachette. Mais malgré cela, la peur politique persiste. Beaucoup de révoltes ont été réprimées par la violence. Et les habitudes persistent : pour ma mère, une femme doit se marier et arriver vierge au mariage. Je voulais faire une école d’art. Mais elle s’y est opposée. D’après elle, ce n’est pas une voie correcte pour les femmes, elles risquent de devenir des prostituées. Elle n’a donc pas voulu, ni que je fasse de danse, ni que je fasse du cinéma…"

Le corps contrôlé par la famille

La pression sur le corps des femmes vient des proches explique Negzzia  : "Ma mère a passé toute mon enfance à me faire très peur sur tout ce qui relève du corps, et de la sexualité… Lors de ma première relation sexuelle, j’ai eu peur d’avoir à me marier. J’ai demandé au garçon d’arrêter, mais c’était trop tard. Quand ma mère l’a appris, elle est venue me frapper avec mon père, mes oncles. C’était violent : ils m’ont cassé le nez, mon visage était tuméfié, je ne pouvais plus respirer à cause du sang qui coulait. Mon oncle me répétait que j’étais une honte pour ma famille. À ce moment, ma mère est morte pour moi. Je ne l’ai plus jamais revue. J’ai, ensuite, expérimenté beaucoup de choses. J’ai fait des erreurs. Mais j’étais seule sans personne pour me guider sans être trop stricte."

Un risque de 148 coups de fouet

En ensuite ? Negzzia : "J’étais très déprimée. J’avais peu de connaissance vu que mes parents étaient divorcés et que c’était mal vu. Un jour, un chanteur m’a ouvert les portes des milieux artistiques. Là, j’ai découvert un tas de personnes comme moi qui n’avait plus de contact avec leur famille, car ils avaient été maltraités par elle. Puis, un jour, une marque iranienne de vêtements m’a demandé d’être son mannequin. J’ai donc posé dénudée, sans voile… Je l’ai fait pour me révolter et montrer que je n’étais pas une mauvaise personne, mais que je voulais disposer de mon corps. J’ai failli être violée par un photographe. J’ai compris qu’il était en fait un agent du gouvernement. J’ai pris mon sac à main, et j’ai fui à Istanbul.

Je pensais passer quelques jours en Turquie. Mais j’ai compris que si je rentrais dans mon pays, je risquais 148 coups de fouet. Je suis ensuite partie à Paris. Là, je n’avais pas ni argent, ni papier pour travailler. J’ai dormi dans la rue, le métro, ou dans des parkings… À l’époque, comme personne ne me comprenait car je ne parlais pas français, je trouvais les Français méchants. Depuis que je peux m’exprimer dans leur langue, ils me comprennent, et je les trouve très gentils."

Aujourd'hui

Negzzia : "J’ai pensé que ma génération était courageuse, mais la suivante l’est encore plus. Mais il me semble que ce n’était pas une histoire de féminisme qui est en train de se jouer dans les rues iraniennes, mais de liberté. Les hommes sont aussi concernés. J’ai aujourd’hui une petite fille née en France. Elle pourra choisir ce qu’elle veut faire. Et je suis reconnaissante envers ce pays qui me donne la sécurité et la liberté."

📖 Son livre  : Dis adieu à ton corps  au Cherche-midi

Pour en savoir plus, écoutez l'émission...

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