Traquée par le régime islamique, Golshifteh Farahani a quitté l’Iran en 2008. Devenue Française, l’actrice de 39 ans, éternelle déracinée, a continué une brillante carrière internationale. Depuis la mort de Mahsa Amini, le 16 septembre, trois jours après son arrestation par la police des mœurs iranienne, elle affiche haut et fort son soutien au mouvement de révolte dans son pays d’origine.
Je ne serais pas arrivée là si…
Si, à force de harcèlement et de tracasseries, les services secrets iraniens ne m’avaient contrainte à l’exil. Je n’avais pas anticipé ce départ, je n’avais jamais imaginé construire une vie hors de mon pays, loin des miens. Ce fut infiniment douloureux, j’ai payé le prix fort. Mon âme est lourdement handicapée, et il n’y aura pas de retour en arrière. J’ai une nouvelle identité. Mais je crois au destin et aux défis qui obligent à grandir. Et peut-être cet exil forcé m’a-t-il finalement donné des ailes…
Vous êtes née en 1983, soit quatre ans après la révolution islamique…
Et en pleine guerre avec l’Irak. Autant dire dans une période de chaos. Observer les jeunes manifestants d’aujourd’hui, qui sont nés pour la plupart dans les années 1990 et 2000, me fait d’ailleurs comprendre à quelle point ma génération a été complètement brûlée. Notre petite enfance à nous, ce moment si crucial où se forgent l’esprit, la confiance, les réflexes, s’est déroulée sous les bombes et dans le vacarme des sirènes. On a connu la peur dans les yeux de nos parents, on a vu les maisons détruites dans notre rue de Téhéran. On a senti la mort avant de comprendre la vie. J’appartiens à une génération terrorisée. Elle n’a pas pris part à la révolution – c’était la grande affaire des parents –, mais elle a vécu l’après-révolution, le désastre après le tremblement de terre.
Avec quelles conséquences ?
Nous n’avons pas fait d’enfants. Ou très peu. C’est d’ailleurs ce qui pousse le gouvernement à intensifier sa propagande nataliste. Les anciens et les plus jeunes ont tendance à se moquer de nous. Mais c’est un fait : sur vingt-cinq filles de ma classe de conservatoire, six seulement ont eu des enfants. Cela raconte à quel point nous sommes traumatisés. Nous ne croyons pas dans l’avenir, nous n’avons aucune confiance en la vie. Le passé, c’est de la merde ; le futur n’existe pas.
Percevez-vous une grande différence avec la génération qui occupe aujourd’hui les rues, les lycées, les universités du pays ?
Enorme ! Cette génération Z n’a connu ni la révolution ni la guerre, elle est née dans le marasme, coincée dans un pays qui est une dictature. Mais elle a Instagram, TikTok, elle sait ce qu’il se passe dans le monde, elle est irrévérencieuse, sans complexe ni timidité. J’ai l’impression qu’elle ne craint rien. D’ailleurs, elle ne parle pas comme nous. Son ton, son vocabulaire, son langage corporel sont différents des nôtres.
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