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L’acte moral d’Angela Merkel

ÉDITORIAL. Ce lundi, l’ex-chancelière allemande se voit décerner le Prix Nansen à Genève. A une époque où moral et politique ne font pas bon ménage, la décision de Merkel d’accueillir près d’un million de réfugiés syriens en 2015 restera inscrite dans les livres d’histoire

Anas Modamani montre son selfie réalisé avec la chancelière allemande Angela Merkel en août 2015. Cette photo a fait de ce Syrien l'un des réfugiés les plus connus d'Allemagne. Berlin, le 12 juin 2021. — © Gordon Welters/laif pour Le Temps
Anas Modamani montre son selfie réalisé avec la chancelière allemande Angela Merkel en août 2015. Cette photo a fait de ce Syrien l'un des réfugiés les plus connus d'Allemagne. Berlin, le 12 juin 2021. — © Gordon Welters/laif pour Le Temps

On peut émettre des critiques sur la politique énergétique d’Angela Merkel envers la Russie. Mais il est une décision de la chancelière allemande, à la retraite depuis l’automne dernier, qui restera inscrite en lettres d’or dans les livres d’histoire: celle d’accueillir, en 2015, près d’un million de réfugiés syriens en pleine crise migratoire. C’est tout le sens du Prix Nansen que le Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés lui décerne ce lundi à Genève, soixante-huit ans après Eleanor Roosevelt.

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Cette décision a été décriée par les populistes de tout poil. Elle constitue pourtant un acte moral rare et courageux commis à contre-courant du climat ambiant. En 2015, l’Europe refusait d’ouvrir ses portes de l’asile, mue par la peur d’une invasion de Moyen-Orientaux qu’on connaissait mal. Même si elle n’a pas toujours fait preuve du même courage politique pour réformer l’Allemagne, Merkel a, en 2015, montré la politique dans ce qu’elle a de plus noble. Une action ancrée dans les valeurs démocratiques qui rappelle des Nelson Mandela ou Vaclav Havel. On aimerait voir la même solidarité aujourd’hui des pays européens envers les Russes qui refusent d’aller se battre en Ukraine et qui fuient la dictature de Poutine.

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Aux quelques dirigeants européens qui ont fustigé, voilà sept ans, l’Alleingang de l’Allemagne, Angela Merkel a tendu un miroir. Face à la faillite du système de Dublin sur l’asile par lequel l’UE a laissé des pays comme la Grèce et l’Italie empêtrées dans les tourments de la migration contemporaine, elle a insufflé dans son pays une «culture de l’accueil». Les victimes qui vivent sur sol allemand après avoir échappé à l’enfer du régime de Bachar el-Assad, lui en sont encore reconnaissantes. Même si les sentiments xénophobes outre-Rhin n’ont pas été éradiqués d’un coup de baguette magique – la montée de l’Alternative pour l’Allemagne en étant une illustration –, Angela Merkel a placé son action politique au-dessus des contingences politiciennes pour assumer une responsabilité empreinte d’éthique et d’humanité.

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Bien que certains peinent encore à trouver un travail, plus de 40% des réfugiés de 2015 ont trouvé un emploi en Allemagne. Les Syriens sont par ailleurs le groupe ethnique qui se naturalise le plus. La décision de Merkel était aussi un choix pragmatique. L’économie allemande était en manque de main-d’œuvre. L’Europe devrait s’en inspirer. Le vieillissement démographique du continent, qui induit une disproportion croissante entre les retraités et les actifs, est en train de saper la solidité de nos filets sociaux. Il est temps que l’Europe, la Suisse y compris, change de paradigme et s’attelle à organiser une immigration ordonnée au lieu de laisser des destins humains se noyer dans les eaux sombres de la Méditerranée.