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EntretienSanté

Changement climatique : le virus de la dengue arrive en France

Moustique tigre.

Plus de 60 cas de dengue, transmis par le moustique tigre, ont été enregistrés en métropole. Une propagation due à un climat favorable après cet été très chaud, analyse le virologiste Yannick Simonin.

Yannick Simonin est virologiste à l’université de Montpellier, spécialiste des virus émergents.



Reporterre — 63 cas autochtones de dengue ont été enregistrés en métropole depuis juillet 2022. Est-ce une situation inédite ?

Yannick Simonin — Une telle augmentation de cas autochtones — donc de personnes qui ont contracté la maladie en France métropolitaine — est en effet inédite. 63 cas, c’est largement plus que le total cumulé des dix dernières années. Depuis le premier cas identifié en 2010, nous n’avions recensé qu’une trentaine d’infections. La maladie s’est par ailleurs déclarée dans cinq départements, dont certains où elle n’avait jamais été détectée jusqu’à présent.


Comment cette maladie tropicale est-elle arrivée sur le territoire hexagonal ?

À l’origine des cas autochtones français, nous avons des personnes qui reviennent de zones où circule le virus, et qui sont infectées. Une fois en France, elles peuvent être piquées par un moustique tigre [1], qui va ensuite le transmettre à d’autres personnes n’ayant jamais voyagé à l’étranger.


Comment expliquer cette explosion des cas de dengue en métropole ?

Cela fait plusieurs années qu’on s’attend à une augmentation des arboviroses — les maladies transmises par des piqûres d’insectes, comme la dengue, le chikungunya, Zika. C’est effectivement ce qui se passe. En plus de la dengue, l’Italie a connu cette année une recrudescence des cas de fièvre du Nil occidental [2].

La reprise du trafic aérien après le Covid-19 a eu un rôle. Mais ce sont surtout les conditions météorologiques favorables de cet été 2022 qui ont joué : l’alternance de chaleurs et d’épisodes pluvieux a entraîné une augmentation importante du nombre de moustiques. Or, plus on a de moustiques tigres, plus on a de risques de propagation de la dengue.

« On va être confrontés à de plus en plus de maladies de ce type. »

La hausse des températures associée à la multiplication des épisodes pluvieux intenses est favorable au développement des moustiques tigres et du virus de la dengue [3]. Autrement dit, le risque de transmission de la dengue est augmenté par le changement climatique.

D’autres changements écologiques sont également en jeu : avant, le virus de la dengue circulait principalement entre animaux et moustiques ; la destruction des habitats naturels a rapproché les animaux et les insectes des habitations, et ainsi facilité la transmission de la maladie aux humains.


Quels sont les moyens aujourd’hui disponibles pour lutter contre les moustiques tigres ?

Le traitement massif de l’environnement par des insecticides, comme on l’a fait autrefois, est aujourd’hui banni. Trop dangereux pour les écosystèmes. Maintenant, si un cas est identifié, des équipes sont dépêchées sur place pour éliminer les moustiques adultes et gîtes larvaires, au plus près des habitations concernées.

Le meilleur moyen pour prévenir la multiplication des moustiques reste de faire attention à l’eau stagnante. Chacun peut y prendre garde, en vidant les soucoupes des plantes notamment. À l’échelle des villes, il s’agit de réfléchir à la végétalisation et à l’écoulement des eaux afin de ne pas créer de zones stagnantes.

Il existe aussi des projets de stérilisation des moustiques. On lâche des moustiques infectés par une bactérie qui les rend stériles. C’est assez prometteur, mais ce n’est pas non plus une solution globale. Elle ne fonctionne que mise en œuvre dans de petits territoires.

Imaginer se débarrasser un jour du moustique n’est donc ni réaliste ni écologiquement pertinent. Car ces insectes servent à nourrir des oiseaux, des chauves-souris, ils participent en partie à la pollinisation. Ils font partie de notre environnement.


À quoi s’attendre dans les prochaines années ?

On va être confrontés à de plus en plus de maladies de ce type. Chikungunya, Zika. Sans envisager de grandes épidémies comme au Brésil, ces maladies virales qu’on estimait tropicales vont se développer chez nous.

Il faut dès à présent mettre en place des réseaux de surveillance pour anticiper ces maladies. Cela signifie surveiller ce qui se passe dans l’environnement, en amont, sans attendre que des humains soient touchés. Y a-t-il des moustiques, des tiques, des oiseaux, des animaux infectés ? On l’a vu avec Sras-CoV2, un virus qui circule parmi des espèces sauvages peut finir par contaminer les humains, car nous sommes étroitement liés.

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