« Si Poutine continue de bombarder l’Ukraine à ce rythme-là, il n’aura bientôt plus de munitions »

Un secouriste dans les rues de Kiev bombardées, le 10 octobre 2022.

Un secouriste dans les rues de Kiev bombardées, le 10 octobre 2022.  ROMAN HRYTSYNA/AP/SIPA

La Russie a pilonné l’Ukraine ce lundi, dans un déluge de feu qui n’avait pas été vu depuis des mois. Décryptage de la politologue Hélène Blanc, spécialiste de la Russie au CNRS.

Vladimir Poutine a ordonné des bombardements massifs sur de nombreuses villes ukrainiennes, ce lundi 10 octobre, au surlendemain de l’attaque sur le pont de Crimée, symbole de l’annexion par Moscou de la péninsule en 2014 et infrastructure essentielle pour le ravitaillement des troupes russes. Comment interpréter les actes du président russe ? Voici quelques éléments de réponse avec Hélène Blanc, politologue au CNRS, spécialiste de la Russie et du monde slave, également autrice du livre « les Enfants de la garde blanche » (Ginkgo, 2022).

Les frappes russes de ce lundi matin sont-elles une vengeance ?

Ce sont des représailles par rapport au pont de Kertch [aussi appelé pont de Crimée, sérieusement endommagé par une explosion samedi 8 octobre, NDLR], le trésor de Poutine. Le président russe l’avait inauguré lui-même lors d’une mise en scène [en 2018]. Il a probablement été fou de rage et ne s’attendait pas à ce que la résistance ukrainienne réussisse un tel coup.

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Cette opération a été aussi lancée pour terroriser les Ukrainiens. Pour leur faire comprendre que peu importe où ils se trouvent sur le territoire, ils ne sont pas à l’abri d’un missile.

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Ce regain de tensions marque-t-il un tournant dans le conflit ?

Depuis les contre-offensives ukrainiennes de septembre, il est clair que la guerre a pris un tournant [les troupes de Moscou ont notamment dû se retirer de la région de Kharkiv (nord-est) et reculer dans celle de Kherson (sud)]. L’armée russe fait la guerre à la soviétique avec un seul commandement auquel il faut toujours tout référer, ce qui prend du temps. Elle n’est pas équipée comme il le faudrait, mal nourrie, sans uniformes, etc. En face, l’armée ukrainienne est rapide avec plusieurs commandements qui s’adaptent. Elle reçoit des armes plus performantes de l’Europe et des Etats-Unis. C’est le choc de deux armées : l’une qui fait la guerre comme on la faisait dans le passé ; l’autre est moderne, presque du futur.

Pourquoi les bombardements ont-ils également concerné des infrastructures énergétiques ?

Tout d’abord car les hivers ukrainiens sont rudes et froids. Si ce pays n’a plus d’électricité, de télécommunication ou de chauffage, Vladimir Poutine espère peut-être que [le président ukrainien] Volodymyr Zelensky va demander un cessez-le-feu.

Vladimir Poutine a-t-il les capacités de maintenir ce rythme offensif ?

S’il continue de bombarder à ce rythme-là, bientôt il n’aura plus de munitions. De plus, pour le moment, fabriquer de l’armement est presque impossible en Russie. D’abord à cause des sanctions occidentales, il leur manque des matériaux. Ensuite, dans certaines usines, il peut y avoir un peu de mauvaise volonté car le mécontentement est en train de monter dans le pays.

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Lundi, Alexandre Loukachenko a accusé Kiev de préparer une attaque contre la Biélorussie et annoncé que Minsk et Moscou allaient déployer un groupement russo-bélarusse, sans préciser sa localisation. Peut-on dire que la Biélorussie entre en guerre ?

C’est un effet d’annonce. Le président biélorusse est poussé par Poutine qui aurait bien besoin que quelqu’un envahisse l’Ukraine par le Nord et aille vers Kiev. Mais relativisons : l’armée de Loukachenko, c’est rien du tout. Elle est faible numériquement et n’a pas fait la guerre depuis longtemps.

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De plus, il y a une énorme colère contre Loukachenko qui est un président illégitime [sa réélection frauduleuse pour un sixième mandat en août 2020 avait suscité une contestation d’une ampleur inédite]. Je doute beaucoup que les Biélorussies aillent se faire tuer pour Poutine et pour Moscou.

Propos recueillis par Manon Bernard

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