Vers le pays «où la guerre ne se termine jamais»
Depuis le début de l’offensive russe en Ukraine lancée le 24 février, «90% de nos clients viennent pour trouver des preuves de leurs origines juives», révèle à l’AFP Tatiana Kalajnikova, qui travaille dans un centre de démarches administratives dans l’ouest de Moscou. «Ils veulent quitter la Russie en guerre pour Israël, où la guerre ne se termine jamais», lance-t-elle avec sarcasme, en référence au conflit isaélo-palestinien.
Au cours des cinq premiers mois du conflit, les demandes d’immigration depuis l’Ukraine et la Russie ont triplé, selon le Bureau central des statistiques d’Israël, qui a comptabilisé 20 000 arrivants de Russie et plus de 12 000 d’Ukraine.
La Russie a, elle, ordonné en juillet la dissolution de l’Agence juive Sokhnout, qui s’occupe notamment d’aide à l’immigration, en l’accusant d’infractions à la loi. Nombre de célébrités russes, dont la vedette de variété Alla Pougatcheva et son mari le comédien Maxime Galkine, ou la star du rock Andreï Makarevitch, sont partis en Israël dès le début de l’offensive russe en Ukraine.
Vague due à la mobilisation
L’annonce d’une mobilisation souvent chaotique et aléatoire a provoqué une nouvelle vague d’exil, des dizaines de milliers de Russes se pressant depuis des semaines aux frontières de la Géorgie et du Kazakhstan notamment.
Signe de l’exode, cinq nouvelles agences privées offrant leurs services pour faciliter les départs vers Israël ont ouvert ces derniers mois à Moscou.
Spécialiste reconnu de la généalogie juive en Russie, Vladimir Paley, 55 ans, enquête depuis trente ans sur les origines de ses clients. Depuis le début du conflit, il reçoit «dix fois plus de requêtes», tant de Russes que d’Ukrainiens. Ironie de l’histoire: alors qu’être juif était mal vu du temps de l’URSS, avoir de telles origines est devenu aujourd’hui un luxe pour les Russes voulant obtenir un passeport israélien et fuir l’isolement de leur pays. «Avec la mobilisation, je réponds surtout aux appels de mères cherchant à expatrier leurs fils», raconte entre deux coups de téléphone Vladimir Paley.
«Peur panique»
Contrairement à l’exode économique des années 1990 d’un million d’habitants d’ex-URSS vers l’Israël, la vague actuelle est une émigration «de peur et de dégoût», estime l’un des clients de Vladimir Paley, Mikhaïl, 40 ans. Professeur d’histoire et auteur de livres, Mikhaïl n’avait jamais pensé à l’émigration. Mais avec la mobilisation, «le pas est franchi» pour cet historien, qui se dit «prêt à émigrer» avec femme et enfant.
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Souvent prise dans l’urgence, la décision d’émigrer provoque aussi l’éclatement de familles. Ancien fonctionnaire du ministère russe de l’Intérieur, Andreï Troubetskoï, entrepreneur de 58 ans, raconte à l’AFP avoir compris dès février qu’il «ne voulait plus avoir affaire» à son pays natal. Avec sa femme historienne, il fouille les archives pour découvrir que son arrière-grand-père était juif hassidique. Le couple préparait leur dossier et apprenait l’hébreu… mais au dernier moment, l’épouse refuse et le couple divorce. Andreï partira donc seul.
«Pour la plupart des ces émigrés russes, leur décision de partir est impulsive», analyse la sociologue Lioubov Boroussiak, professeure à la Free Moscow University. «Leur but n’est pas de déménager dans un autre pays, mais de quitter la Russie», souligne la sociologue qui a sondé 150 familles ayant fait le choix du départ depuis février. «C’est une émigration de peur panique».