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Journée spéciale RFI

Iran: un mois de contestation et de répression meurtrière

Le 13 septembre 2022, Mahsa Amini, étudiante de 22 ans, était arrêtée pour un voile jugé « mal porté ». L'annonce de son décès, trois jours plus tard, a provoqué le soulèvement de la population iranienne contre son régime islamique et des vagues de contestation à travers tout le pays. Depuis, le mouvement ne faiblit pas, mené avant tout par des femmes et suivi par l’ensemble du peuple, malgré la répression meurtrière. RFI consacre une journée spéciale à l’Iran, un mois après le début des manifestations. 

Les forces de l'ordre dispersent les manifestants iraniens à Téhéran, lors d'une protestation contre le régime, le 19 septembre dernier.
Les forces de l'ordre dispersent les manifestants iraniens à Téhéran, lors d'une protestation contre le régime, le 19 septembre dernier. AP
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« Femme, vie, liberté ». Le slogan est devenu le cri de ralliement de la population iranienne depuis un mois. Une façon de clamer haut et fort que réprimer les femmes, c’est réprimer la vie de tous. L’Iran s’embrase depuis le vendredi 16 septembre. Ce jour-là, l’annonce de la mort de Mahsa Amini, jeune étudiante de 22 ans arrêtée par la police des mœurs pour un foulard jugé « mal porté », a allumé la mèche d’une révolte qui grondait déjà depuis des années. 

Cette rage contre le régime théocratique iranien a entraîné, dès lors, l'insurrection de la jeunesse iranienne et de toutes les couches de la société, parfois au prix de leur vie. En un mois de contestation, le dernier bilan dressé mercredi 12 octobre par l'ONG Iran Human Rights décompte au moins 201 morts, dont au moins 28 enfants, selon des défenseurs des droits humains dans le pays et à l'étranger.

Malgré tout, les rassemblements dans des universités et les manifestations de rues ont toujours lieu dans plusieurs villes du pays, ainsi que des mouvements de grève d'ouvriers dans des sites de l’industrie énergétique. Une nouvelle journée de contestation massive est annoncée pour lundi prochain, le 17 octobre. Preuve que le mouvement de révolte est loin d’être paralysé. 

► À écouter aussi : Mahsa Amini, symbole de l'oppression des femmes en Iran

Le décès irrésolu de Mahsa Amini, l’effet d’un électrochoc   

La mort troublante de Mahsa Amini a servi d’étincelle. La jeune femme était venue à Téhéran avec son frère pour visiter la capitale depuis sa ville d’origine, Saqqez, dans le Kurdistan iranien. Elle est interpellée le 13 septembre par la police des mœurs, une brigade qui surveille le strict respect des règles, entre autres vestimentaires, notamment le port du hijab obligatoire, pour un foulard laissant apercevoir des mèches de cheveux. 

Détenue par la police, elle est ensuite transportée à l’hôpital, puis sa mort est annoncée trois jours plus tard. La police de Téhéran affirme n’avoir aucun lien avec son décès et un rapport médical datant du 7 octobre défend que la jeune femme a succombé d’une maladie, et non de coups. Sa famille réfute pourtant fermement cette version. Une photo d’elle sur son lit d’hôpital prise par une journaliste montre clairement des traces d’ecchymose sur le visage et le cou. Mahsa Amini est enterrée le lendemain, dans sa ville natale. 

La fougue de la résistance iranienne

Immédiatement, la population s’insurge, et la mort de Mahsa Amini devient un catalyseur de la colère. Dès l'annonce de sa mort, des protestations éclatent dans plusieurs villes à l’Ouest du pays. Deux jours plus tard, les contestataires se rassemblent dans les rues de Téhéran, puis le soulèvement se propage rapidement dans le pays entier. Les universités deviennent le théâtre des manifestations, à Tabriz (nord-ouest du pays), Yazd (centre), Ispahan (centre), bien d’autres villes et dans la capitale. Les Iraniens battent le pavé dans plus d’une quarantaine de villes, bravant la répression de la police.   

« Mort à la République islamique ! », « Mort à Khamenei ! » [en référence à Ali Khamenei, la plus haute autorité du pays, NDLR], « Non au foulard, non au turban, oui à la liberté et à l'égalité ! » martèlent les protestataires, dans de violents affrontements contre les forces de l’ordre. Selon l’Autorité judiciaire, 125 « émeutiers » ont été inculpés, dont 60 à Téhéran. Alors que de nouvelles manifestations ont lieu ce mercredi dans la capitale, réfrénées par des tirs de gaz lacrymogènes de la police. 

Au centre des contestations, les femmes, qui réclament la fin d’un régime liberticide et profondément discriminatoire à leur égard. Malgré la censure d’internet et des réseaux sociaux, les images venant du pays montrent des femmes arrachant leur voile, découvrant leur cheveux, brûlant leur hijab ou défiant la police. Aussi des hommes, protestant contre un régime qui les oppresse tous. « La situation actuelle ne se cantonne pas qu’aux femmes. C’est au contraire la question de toute la société, et c’est ça qui est en train d’éclater au grand jour », déclarait à RFI le 22 septembre Chahla Chafiq, écrivaine et sociologue iranienne, exilée en France.

Des mouvements de contestation, l’Iran en a connu beaucoup d’autres. Mais la durée et l’ampleur que prend le soulèvement de ce dernier mois, ainsi que la participation massive de la jeunesse et des femmes, restent impressionnantes. Pour les jeunes, « C'est la Mahsa Amini de trop, assurait le 6 octobre Mariam Pirzadeh, journaliste franco-iranienne et rédactrice en chef à France 24. Et pour cette génération, manifester, contester le pouvoir est plus fort que tout. La jeunesse est prête à faire face à la mort et à l'arrestation plutôt que de continuer à vivre avec le régime. »

► À écouter aussi : Manifestations en Iran: une simple révolte ou un vrai changement ?

Une riposte meurtrière de la police

La police iranienne a en effet mis en garde les manifestants le 28 septembre. « Les membres des forces de l’ordre s’opposeront de toute leur force aux conspirations des contre-révolutionnaires et agiront fermement contre ceux qui perturbent l’ordre public et la sécurité », a averti la direction de la police iranienne. Une analyse de Amnesty International datant du 30 septembre révèle les manœuvres des autorités iraniennes pour écraser systématiquement les révoltes. L’ONG y décrit le déploiement des pasdaran (Gardiens de la révolution), la force paramilitaire des bassidjis, ainsi que la police anti-émeutes et des membres des forces de sécurité en civil.

Des vidéos témoignent largement de cette violence. D’autres jeunes filles décédées sont devenues les martyrs de cette répression meurtrière. Sarina Esmaeilzadeh, jeune lycéenne de 16 ans qui figure selon Amnesty International parmi les personnes tuées par les forces de sécurité iraniennes entre le 19 et le 25 septembre.

Nika Shakarami, 16 ans aussi, disparue le 20 septembre alors qu’elle manifestait à Téhéran puis retrouvée morte et enterrée le jour de son dix-septième anniversaire, le 1er octobre. Pour les deux lycéennes, les circonstances de leur mort restent troubles. La justice iranienne dément les informations d’Amnesty International et affirme qu’il s’agit, dans les deux cas, de suicides sans aucun lien avec des coups de police. 

Le 25 septembre, les médias iraniens annonçaient l'arrestation de près de 1 200 manifestants, dont 60 femmes, dans le nord du pays. À Zahedan, capitale de la province de Sistan-et-Balouchistan et à Sanandaj, capitale de la province du Kurdistan iranien, des dizaines de protestataires ont été tués, là où la répression est devenue particulièrement brutale. « La foule a pris presque toutes les rues de Sanandaj. Les forces de répression ont alors ouvert le feu directement sur les gens en utilisant des mitrailleuses lourdes », racontait Awyar Shekhi, de l'ONG kurde Hengaw, à Oriane Verdier, journaliste au service international de RFI.

Une bataille pour l’information sur internet 

La répression perpétrée par le régime islamique est sanglante et physique, mais elle est aussi virtuelle. Les autorités censurent les connexions internet, surveillent les médias et restreignent l’accès aux réseaux sociaux, principale arme et canal d’information des Iraniens pour exposer ce qu’ils vivent, et ce qu’ils dénoncent. De telles restrictions empêchent et entravent d’ailleurs le travail d’enquête des associations sur la réalité de la répression. Le 12 octobre au matin, le site NetBlocks, qui observe les blocages d'internet dans le monde, a constaté « une perturbation majeure du trafic internet en Iran ». L’incident « limitera probablement encore davantage la libre circulation d'informations », indique-t-il sur Twitter. 

► À lire aussi : Trop loin, trop proches: les Iraniens face aux difficultés de se mobiliser et de communiquer

Une guerre de l’information se joue entre le peuple et le pouvoir en place. Samedi 8 octobre, lors du journal de 21 heures, la chaîne de télévision IRINN a été piratée en direct pendant une dizaine de secondes. À l'écran, le visage du guide suprême iranien est représenté en flamme, dans un viseur de fusil. Sur le bas de l’image, les photos de quatre femmes tuées ces dernières semaines, avec un appel lancé aux Iraniens à descendre dans la rue pour renverser le pouvoir islamique.

Soutien de la diaspora iranienne

Vaincre ce système oppressif, aussi depuis l’étranger. La diaspora iranienne se mobilise largement, en participant aux manifestations de solidarité qui se tiennent dans plus de 150 villes du monde.   

► À écouter aussi : «Femme, vie, liberté», trois mots et toujours des manifestants à Paris pour soutenir les Iraniennes

Des célébrités, des joueurs de football, des exilés, tous issus de la diaspora ont apporté leur soutien à la lutte de leurs confrères et consœurs. « Je ne dors pas, je ne mange pas, je ne quitte pas des yeux les écrans ni mon téléphone. Ce qui se passe en Iran est tellement historique ! J’essaie d’être un pont entre l’Orient et l’Occident, de décrypter les vidéos et la psychologie iraniennes pour que personne ne soit indifférent à ce qui se joue là-bas », souligne l’actrice iranienne Golshifteh Farahani dans un entretien au Monde.

« Les femmes iraniennes qui se soulèvent aujourd’hui sans aucune arme portent ma voix. C’est le combat de plusieurs générations de femmes qui explose, le combat pour la liberté, le plus beau des combats », défend, quant à elle, la peintre iranienne Nazanin Pouyandeh dans une tribune du Monde

► À lire aussi : Quel soutien politique au mouvement de protestation iranien?

Les réactions des dirigeants internationaux 

La diaspora n'est pas seule. De nombreux artistes du monde entier, comme les actrices françaises Marion Cotillard ou Juliette Binoche, ont exprimé leur soutien dans des vidéos où l'ont peut les voir se couper une mèche de cheveux, en hommage aux femmes iraniennes. 

La communauté internationale s’indigne également de l’oppression des Iraniens. Dimanche 25 septembre, l'Union européenne a jugé « injustifiable et inacceptable » l'usage « généralisé et disproportionné de la force » contre les protestataires en Iran. Les sanctions de l’Occident à l’encontre des responsables iraniens commencent d’ailleurs petit à petit à se dessiner.

La France a annoncé le 5 octobre travailler avec l'Union européenne pour préparer des « mesures restrictives » contre les haut placés du régime islamique, comme le gel de leurs avoirs et leurs droits de voyager. Le lendemain, les États-Unis ont eux aussi affirmé ajouter des sanctions économiques contre sept haut responsables du gouvernement.  

Mais la communauté iranienne en attend plus des dirigeants occidentaux, pour ne pas rester seuls face à la brutalité des Gardiens de la révolution, l’armée idéologique du régime. Pour la sociologue Chahla Chafiq, le soulèvement du peuple iranien resterait vain s’il se heurtait à « l’indifférence de l’Occident » et à la non-réaction des institutions internationales.

Pour l’heure, des manifestations de soutien sont prévues dans plus de 70 villes du monde ce samedi. À Berlin, un rassemblement pour la liberté de l’Iran, le 22 octobre prochain, prévoit d’être l’une des manifestations de solidarité les plus considérables d’Europe, et doit réunir un très grand nombre d’Iraniens issus de la diaspora.

 


Réécoutez notre édition spéciale présentée par Arnaud Pontus sur la situation en Iran un mois après la mort de Mahsa Amini, avec des témoignages et deux invités : Chowra Makaremi, chercheuse en anthropologie à l’Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux, et Farid Vahid, directeur de l’observatoire de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient à la Fondation Jean Jaurès. 

18:59

Édition spéciale - Un mois après la mort de Mahsa Amini en Iran 7h10 - 7h30

18:59

Édition spéciale - Un mois après la mort de Mahsa Amini en Iran 7h30 - 8h

 

► Aujourd'hui l'économie : En Iran, la rue se soulève aussi contre une économie en crise

► Appels sur l'actualité de Juan Gomez consacrée à ce mois de contestation en Iran, avec Firouzeh Nahavandi, professeure à l'Université libre de Bruxelles, et Nasser Etemadi, journaliste à la rédaction en persan de RFI.

► Invité international : Massoud Salari, journaliste à la rédaction en persan de RFI : 

Iran: une contestation «inédite» car elle implique «toutes les villes», «toutes les classes sociales»

Revue de presse internationale : À la Une: le mois de colère en Iran qui déstabilise le régime des mollahs

► Rendez-vous de la rédaction donne la parole à Mahmoud Amiry-Moghaddam, directeur de l'ONG Iran Human Rights, l'ONG basée en Norvège et régulièrement citée pour ses bilans de la répression du mouvement de contestation. Contestation en Iran: «Les autorités ont privé le peuple des droits humains fondamentaux»

Le Débat du jour s'interroge sur une éventuelle évolution de la situation politique en Iran avec

Fariba Hachtroudi, écrivaine et journaliste franco-iranienne et Mariam Pirzadeh,  journaliste à France 24, ancienne correspondante àTéhéran.

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