Jusqu’au 18 octobre, l’UGC Ciné Cité Les Halles, en soutien au combat des femmes iraniennes, projettera chaque jour le film d’un grand réalisateur de ce pays cinéphile. Une bonne raison pour ceux qui ne l’ont pas encore vu de découvrir, entre autres, le percutant « Les Nuits de Mashhad » (le 24 octobre) en présence de son actrice principale Zar Amir Ebrahimi, Prix d’interprétation au dernier festival de Cannes. Mais aussi « Leïla et ses frères » de Saeed Roustaee ou encore le mythique « Une séparation » d’Asghar Farhadj. L’occasion pour nous d’interviewer Mina Kavani, grande actrice née à Téhéran, dont le film « No Bears » (sortie le 23 novembre) de Jafar Panahi, réalisateur condamné dans son pays à six ans de prison, vient d’obtenir le Prix spécial du jury à la Mostra de Venise. Son mantra : la force et le pouvoir du 7ème art, véritable fenêtre ouverte sur la liberté.

ELLE. Que vous inspire ce mouvement pour la liberté des femmes dans votre pays ?
Mina Kavani. J’ai grandi dans cette République islamique, et ma génération, comme celle de ma mère et de ma grand-mère, en avons toutes souffert, et nous sommes encore aujourd’hui toutes victimes de ce régime. Cela fait tellement longtemps que cette révolte couve, que cela ne m’étonne pas, et la mort de Masha Amini, n’est que la goutte d’eau qui a fait tout exploser. Je suis partagée entre la peur pour toutes celles qui sont là-bas, et l’espoir que ce mouvement suscite.

ELLE. Vous avez grandi dans une famille d’intellectuels, votre oncle, Ali Raffi est un grand metteur en scène iranien, quelle enfance avez-vous eu ?
M.K. Ma famille était très ouverte, très artiste, et j’avais la sensation d’avoir deux vies : une à l’intérieur, chez moi, totalement libre, et à l’extérieur, j’étais obligée de me soumettre aux lois de la République islamique.

J'admirais Geena Rowlands ou Isabelle Adjani. Je voulais juste faire du cinéma.

ELLE. Vous avez toujours voulu être actrice ?
M.K. Oui, depuis l’âge de douze ans, j’ai su que je voulais monter sur scène, incarner des rôles forts, jouer tout simplement. Mais je n’avais pas l’idée d’être une actrice militante, j’admirais des femmes comme Geena Rowlands ou Isabelle Adjani. Je voulais juste faire du cinéma.

ELLE. En 2014, votre rôle dans « Red rose », un film de Sepideh Farsi montré dans les festivals du monde entier, a précipité votre exil. En aviez-vous conscience lorsque vous avez accepté de le tourner ?
M.K. Pas du tout. J’étais jeune, j’avais lu le scénario et je voulais absolument jouer ce rôle qui correspondait à la réalité de beaucoup de femmes iraniennes. Je ne voulais pas passer à côté. Je me suis montrée nue, j’étais comme une bête sauvage que rien n’arrêtait. C’était un rôle magnifique. La réalité m’a rattrapée.

À partir du moment où on décide d’être des artistes libres, nous sommes tous condamnés à l’exil.

ELLE. Vous avez été obligée de quitter votre pays ?
M.K. J’ai demandé le statut de réfugiée politique, et je suis venue en France, j’ai d’ailleurs maintenant la nationalité française, car j’étais en danger dans mon pays. Ce fut une descente aux enfers : l’exil, la solitude, le fait de ne plus pouvoir y retourner, de ne plus voir ma mère. C’est le prix à payer. À partir du moment où on décide d’être des artistes libres et sans censure, dans notre corps et notre tête, nous sommes tous condamnés à l’exil. À cause des hommes qui sont au pouvoir et de leur fascisme. C’est la tragédie de notre destinée.

ELLE. Le film « The bears » de Jafar Panahi, dont vous êtes l’actrice principale vient de remporter le prix spécial du jury à la Mostra de Venise. Le réalisateur a écopé de six ans de prison en Iran, il est enfermé, et c’est vous qui le représentez sur scène. C’est une responsabilité...
M.K. C’est un honneur, je suis comme son ambassadrice, et celle de son cinéma, mais c’est aussi une immense tristesse car c’est lui qui devrait être là plutôt que de croupir dans une cellule. Mais c’est dans ces moments-là où je dois être forte pour eux, et où je suis heureuse d’être un symbole.

ELLE. Cette semaine, à Paris, un festival du film iranien a lieu et chaque jour un film est projeté à l’UGC des Halles. C’est important pour vous ?
M.K. C’est essentiel. C’est une façon de faire un bras d’honneur à ceux qui nous oppressent. De leur montrer que nous existons. Ils ne veulent pas de nous en Iran, c’est donc important que d’autres pays soit un relais de notre art. Plus il y a de films, d’artistes, d’actrices et d’acteurs qui peuvent exercer leur métier et le montrer, et plus je suis heureuse.