le 14 octobre 1964, Le prix Nobel de la paix est décerné à Martin Luther King

Son discours historique reste d'actualité dans une Amérique toujours divisée par les tensions raciales.

Votre Majesté, Monsieur le Président, Excellences, Mesdames, Messieurs,

J’accepte le prix Nobel de la paix à un moment ou vingt-deux millions de Noirs, aux États-Unis d’Amérique, sont engagés dans une bataille créatrice pour mettre fin à la longue nuit d’injustice raciale.

J’accepte cette récompense au nom du mouvement pour les droits civiques qui avance avec détermination, avec un mépris souverain du danger et des risques, pour établir le règne de la liberté et l’autorité de la justice. Je n’oublie pas que, hier encore, à Birmingham, en Alabama, nos enfants qui imploraient un sentiment de fraternité ont été accueillis par des lances à incendie, des chiens féroces et même la mort. Je n’oublie pas que, hier encore, à Philadelphie, dans le Mississippi, des jeunes gens désireux d’exercer leur droit de vote ont été brutalisés et assassinés.

Je n’oublie pas que mon peuple est affligé par une pauvreté qui le mine, l’use et l’enchaîne au barreau le moins élevé de l’échelle économique. C’est pourquoi il me faut poser la question de savoir pourquoi ce prix est décerné à un mouvement harcelé, voué à une lutte incessante, un mouvement qui n’a pas encore obtenu cette paix et cette fraternité dont le prix Nobel est la consécration.

Après réflexion, je conclus qu’en attribuant ce prix au mouvement dont je suis le représentant, les jurés ont voulu manifester leur sentiment profond et reconnaître dans la non-violence la réponse à la question cruciale de notre temps en matière de politique et de morale : le besoin pour l’homme de vaincre l’oppression et la violence sans recourir lui-même à la violence et à l’oppression.

Les Noirs des États-Unis ont prouvé que la non-violence n’était ni stérile ni passive, mais constituait une puissante force morale au service de l’évolution sociale.

Civilisation et violence sont des concepts antithétiques. À l’instar du peuple  indien, les Noirs des États-Unis ont prouvé que la non-violence n’était ni stérile ni passive, mais constituait une puissante force morale au service de l’évolution sociale. Tôt ou tard, tous les hommes du monde devront découvrir le moyen de vivre pacifiquement les uns avec les autres et de transformer ainsi notre lamentation cosmique en un psaume novateur à la fraternité.

S’il faut y parvenir, l’humanité doit imaginer, pour résoudre tous les conflits entre les hommes, une méthode qui exclut la vengeance, l’agression et les représailles. Le fondement de cette méthode est l’amour.

Au plus profond de mon cœur, je sais que ce prix est tout autre chose et bien plus qu’un honneur décerné à ma personne.

Chaque fois que je monte dans un avion, j’ai toujours une pensée pour tous ceux qui ont rendu possible l’heureux déroulement de mon voyage : le pilote dont le nom est connu mais également l’anonyme personnel au sol.

Aussi honorez-vous les pilotes dévoués qui se sont trouvés aux commandes au moment où notre mouvement pour la liberté décollait pour se mettre en orbite. Vous honorez une fois encore le Chef Albert Luthuli, en Afrique du Sud, dont les combats pour et avec son peuple se heurtent toujours à la plus brutale expression de l’inhumanité de l’homme envers l’homme.

Vous honorez les équipes au sol, car sans leur travail et leurs sacrifices les réacteurs n’auraient jamais pu faire décoller l’avion de la liberté.

La plupart de ces hommes et de ces femmes n’auront jamais leurs noms dans les titres des journaux ni dans les pages du who’s who. Et pourtant les années passent et quand les projecteurs éblouissants de la vérité se poseront sur l’époque merveilleuse où nous vivons, tous sauront, et les enfants apprendront que notre pays est plus beau, sa population meilleure, sa civilisation plus noble parce que ces humbles enfants du Bon Dieu avaient accepté de souffrir pour la cause de la justice.

Je suis sûr qu’Alfred Nobel aurait compris ce que je veux exprimer quand je déclare n’accepter ce prix qu’en qualité de dépositaire d’un précieux héritage pour en prendre grand soin et afin de le remettre à ses légitimes propriétaires – à tous ceux pour qui la beauté se confond avec la vérité et la vérité avec la beauté, à tous ceux qui considèrent la beauté de la véritable fraternité et de la paix comme plus précieuse que les diamants, l’argent ou l’or.

Je refuse d’admettre que l’humanité soit si tragiquement vouée à la nuit privée d’étoiles du racisme et de la guerre.

La route sinueuse qui m’a mené à Montgomery (en Alabama) jusqu’à Oslo peut témoigner de cette vérité. C’est un chemin sur lequel avancent des millions de Noirs en quête d’un sentiment nouveau de leur dignité. Cette même route a permis à tous les américains d’entrer dans une nouvelle ère de progrès et d’espoir. Elle a conduit à une nouvelle loi sur les droits civiques et elle sera élargie, agrandie aux dimensions d’une autoroute de justice à mesure que les Noirs et les Blancs en nombre croissant multiplieront leurs alliances pour venir à bout de leurs problèmes communs.

J’accepte aujourd’hui ce prix avec une foi immuable en l’Amérique et une foi hardie dans l’avenir de l’humanité. Je refuse d’admettre l’idée que les lacunes actuelles de la nature humaine rendent l’homme moralement incapable de remplir les devoirs éternels qu’il doit affronter à jamais.

Je refuse d’admettre que l’humanité ne soit qu’une épave ballottée par l’océan de la vie. Je refuse d’admettre que l’humanité soit si tragiquement vouée à la nuit privée d’étoiles du racisme et de la guerre, que l’aube brillante de la paix et de la fraternité ne puisse jamais poindre.

Je crois que, même au milieu du fracas des mortiers et du sifflement des balles, il y a une place pour l’espoir de lendemains plus lumineux.

Je refuse d’admettre l’affirmation cynique que chaque nation tour à tour sera aspirée  vers le bas par la spirale militariste jusque dans l’enfer de la destruction  thermo-nucléaire. Je crois que la vérité désarmée et l’amour désintéressé auront le dernier mot dans le monde des réalités. C’est pourquoi, même s’il est provisoirement bafoué, le bon droit sera plus fort que le mal triomphant.

Je crois que, même au milieu du fracas des mortiers et du sifflement des balles, il y a une place pour l’espoir de lendemains plus lumineux. Je crois que la justice blessée, gisant inerte dans les rues ensanglantées de nos nations, couverte de poussière et de honte, peut encore être relevée pour régner en souveraine suprême sur les enfants des hommes.

J’ai l’audace de croire que partout les peuples peuvent avoir trois repas par jour pour nourrir leur corps, une éducation et une culture pour nourrir leur pensée, la dignité, l’égalité et la liberté pour nourrir leur esprit. Je crois que des hommes inspirés par l’amour du prochain pourront reconstruire ce qu’ont détruit des hommes inspirés par l’amour de soi.

Je crois que des hommes inspirés par l’amour du prochain pourront reconstruire ce qu’ont détruit des hommes inspirés par l’amour de soi.

Je continue de croire qu’un jour viendra où l’humanité s’inclinera devant les autels de Dieu pour recevoir la couronne de la victoire sur la guerre et l’effusion de sang, où la bonne volonté animée par la non-violence rédemptrice dictera la loi sur la terre. « Et le lion habitera avec l’agneau et chaque homme s’assoira sans crainte sous sa propre vigne ou son propre figuier et nul n’aura rien à redouter. » Je continue de croire que nous vaincrons.

La foi peut nous donner le courage de faire face aux incertitudes du futur. Elle donnera à nos pieds fatigués une force nouvelle pour poursuivre notre route vers la cité de la liberté. Quand nos jours seront obscurcis par la menace de nuages bas et lourds, quand notre ciel nocturne se fera plus noir qu’un millier de minuits, nous saurons que nous sommes pris dans le tourbillon créateur d’une civilisation authentique qui se débat pour naître.

Je me présente aujourd’hui à Oslo en mandataire inspiré, rempli d’un dévouement renouvelé envers l’humanité.

J’accepte ce prix au nom de tous les hommes épris de paix et de fraternité.

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