« 20 MINUTES » AVEC« La bonne masculinité n’existe pas », affirme Aline Laurent-Mayard

Mouvement #MeToo : « La bonne masculinité n’existe pas », affirme Aline Laurent-Mayard

« 20 MINUTES » AVECDans son nouveau livre, « Libérés de la masculinité », la journaliste indépendante Aline Laurent-Mayard s’intéresse aux stars telles que Timothée Chalamet qui semblent incarner « l’homme nouveau ». Mais tout n’est pas si simple
La journaliste indépendante Aline Laurent-Mayard, autrice de « Libérés de la masculinité » paru en octobre 2022 chez JC Lattès.
La journaliste indépendante Aline Laurent-Mayard, autrice de « Libérés de la masculinité » paru en octobre 2022 chez JC Lattès. - Vincent Ferrane / JC Lattès
Fabien Randanne

Propos recueillis par Fabien Randanne

L'essentiel

  • Tous les vendredis, 20 Minutes propose à une personnalité de se livrer sur son actualité dans son rendez-vous « 20 Minutes avec… »
  • Dans son livre Libérés de la masculinité, la journaliste Aline Laurent-Mayard explique « comment Timothée Chalamet m’a fait croire à l’homme nouveau ». Elle analyse ainsi ce que des personnalités telles que l’acteur de Call Me By Your Name, le comédien Tom Holland ou le chanteur Harry Styles, à contre-courant des codes de la virilité traditionnelle, représentent dans le paysage médiatique actuel.
  • « #MeToo a réveillé et a été l’accélérateur de l’expression d’une colère préexistante, avance Aline Laurent-Mayard à 20 Minutes. On a atteint une période où le ras-le bol a atteint un niveau jamais égalé dans l’époque moderne. On se demande de quoi [nous, les femmes], on a encore envie et ce que pourrait être un mec qui n’est pas un connard. »

Quand elle a eu le feu vert de son éditrice pour signer un livre sur Timothée Chalamet, Aline Laurent-Mayard imaginait d’abord un ouvrage « drôle », en forme de « recueil de tweets et de conversations WhatsApp ». Puis, en se penchant de plus près sur la « Chalamania », l’engouement suscité par la star franco-américaine depuis la sortie Call Me By Your Name en 2017, elle a constaté que le sujet était peut-être plus sérieux qu’elle le pensait. « Je trouve intéressant que la société valorise maintenant, tout à coup, un petit maigrichon au physique étrange, qui se comporte de façon très différente des beaux gosses d’avant », explique la journaliste indépendante à 20 Minutes.

« Entre le moment où j’ai commencé à penser ce livre, pendant le premier confinement, et aujourd’hui, il y a eu beaucoup de changements, que ce soit dans la notoriété de l’acteur ou dans le discours sur les masculinités, qui s’est élargi », souligne-t-elle. Dans son livre, Libérés de la masculinité, paru mercredi chez JC Lattès, elle rapproche Timothée Chalamet de Harry Styles et de Tom Holland, d’autres stars de sa génération qui, connus pour leur gentillesse, semblent remettre en question les codes liés à la virilité. Des hommes parfaits ? Pas si sûr…

Timothée Chalamet, Harry Styles et Tom Holland sont donc des hommes « libérés de la masculinité » ?

Avec le sous-titre du livre, Comment Timothée Chalamet m’a fait croire à l’homme nouveau, on a essayé de faire régner un petit flou. Evidemment, ce n’est pas si simple que ça. Ces trois personnalités sont des hommes qui représentent quelque chose de nouveau. Comparés à ceux des générations précédentes, ils parlent plus facilement de leurs sentiments, de leurs émotions, de leur santé mentale. Ils s’engagent pour les droits des femmes et des minorités, notamment des personnes LGBT+. Ils portent la gentillesse comme une force, très loin des « bad boys » d’il y a vingt ans qui devaient avoir l’air méchant, et même des hommes en général qui ne disent pas bonjour, ne sourient pas, essaient d’avoir l’air mystérieux. Ils reprennent des choses habituellement assignées au féminin et, ce faisant, disent qu’ils ne pensent pas que le féminin craint ni qu’il soit inférieur au masculin.

Timothée Chalamet est devenu le mois dernier le premier homme à faire la couverture, seul, de l’édition britannique de Vogue. Il y a deux ans, le Vogue américain a réservé le même honneur à Harry Styles. C’est un changement de paradigme ?

J’en rêve ! Il reste à savoir si ça va s’ancrer dans une réalité où le masculin et le féminin vont toujours plus se mélanger, où l’on va prendre conscience qu’il n’y a pas de grosse différence entre la mode femme et la mode homme et que les frontières sont plus floues. C’est peut-être juste un petit coup de pub pour dire qu’on est woke et dans l’air du temps…


L’accès à ce contenu a été bloqué afin de respecter votre choix de consentement

En cliquant sur« J’accepte », vous acceptez le dépôt de cookies par des services externes et aurez ainsi accès aux contenus de nos partenaires.

Et pour mieux rémunérer 20 Minutes, n’hésitez pas à accepter tous les cookies, même pour un jour uniquement, via notre bouton« J’accepte pour aujourd’hui » dans le bandeau ci-dessous.

Plus d’informations sur la pagePolitique de gestion des cookies


La valorisation de ces figures masculines aurait-elle été possible sans le mouvement #MeToo ?

#MeToo a réveillé et a été l’accélérateur de l’expression d’une colère préexistante. Ce serait arrivé dans tous les cas, pas forcément à travers un hashtag. Il était inévitable que cette colère s’exprime. Les femmes ont commencé à réfléchir à comment lutter contre ça - et pas seulement sur le fait de mettre les agresseurs en prison. Par exemple, en disant : « Je ne veux plus voir d’agresseur à la télé, je ne veux plus donner de l’argent à des misogynes, je ne veux plus regarder des histoires romantiques où le mec harcèle une nana en bas de chez elle avec une radio et des pancartes… » On se demande de quoi on a encore envie et ce que pourrait être un mec qui n’est pas un connard ?

Et il serait comment cet homme ?

Aujourd’hui, que ce soit dans la réalité ou la fiction, de plus en plus de femmes et d’hommes queers disent « Je veux un mec qui soit bien, qui soit gentil et ne fasse pas juste semblant, qui soit à mon écoute, qui prend en charge sa part du boulot, etc. » C’est ça la grosse différence en fait, on le voit dans les séries et les films : les mecs sont hyper cute [mignons], ils sont gentils. Je parle souvent d’A tous les garçons que j’ai aimés, sorti en 2018 sur Netflix, et de son héros qui pense à enlever le bol de chips du canapé pour ne pas faire de miettes… Le fait que cette scène ait autant marqué les personnes qui l’ont vue prouve qu’on ne veut plus juste un mec gentil de façade mais qu’on veut des hommes qui sont réellement, dans le quotidien, dans les détails, à l’écoute, à l’initiative et dans une approche égalitaire de la société.

Timothée Chalamet, Harry Styles et Tom Holland correspondent à cet idéal ?

Dans la façon dont ils se tiennent, dans ce qu’ils disent, ils sont définitivement des hommes. Ils sont dans une situation de pouvoir. Ils profitent du fait que le masculin est perçu comme supérieur au féminin, du fait qu’un homme blanc, cis [non trans] et hétéro - ou en tout cas perçu comme tel - va être invité sur la couverture d’un grand magazine féminin, va avoir accès aux meilleurs rôles, va gagner plein d’argent. Il y a plein d’autres hommes qui font des choses incroyables, je pense à Billy Porter, à Lil Nas X, à Jonathan Van Ness, dont je parle beaucoup dans le livre. Eux et iel obtiennent moins de succès et de respect et de validation de la part du grand public et de la presse masculine alors qu’ils font, mieux, tout ce que font Chalamet, Styles et Holland, et depuis bien plus longtemps. Sans eux, Chalamet, Styles et Holland ne pourraient pas faire ce qu’ils font à l’heure actuelle. Je dirais qu’ils essayent de s’arranger avec leur masculinité pour qu’elle soit plus agréable à vivre et pour profiter de la vie.

C’est-à-dire ?

Il faut bien comprendre que le sexisme et le patriarcat empêchent les hommes de plein de choses : d’exprimer leurs sentiments, de veiller à leur bien-être mental, de choisir d’exercer des professions ou d’effectuer des activités perçues comme féminines. Il y a quelque chose d’assez égoïste dans leur approche, je ne pense pas qu’ils cherchent à faire tomber le patriarcat mais juste à faire ce qui les fait kiffer - et en cela, ils sont très masculins.

Vous dites refuser la notion de « masculinité toxique ». Pour quelles raisons ?

Il y a quelque chose d’essentialisant dedans, comme s’il y avait une masculinité toxique et une autre positive, et qu’une personne naîtrait comme ça. Ce n’est pas le cas, la « bonne masculinité » n’existe pas. La masculinité est problématique chez tout le monde. Il n’y a pas d’essence masculine : la masculinité se définit en opposition au féminin, comme son contraire et, surtout, en situation de supériorité. La masculinité n’existe que pour pouvoir opprimer et profiter du féminin. Il y a quelque chose à changer de façon structurelle. Il y a des personnes super sympas, qu’on adore avoir comme amis, comme compagnons, comme collègues, mais qui restent des personnes en situation de domination. Tant que ces individus continuent à être perçus comme « hommes », ils vont continuer à profiter de tous les avantages de la masculinité.

Vous abordez aussi la question du « wokefishing ». Ce néologisme désigne le fait de faire croire que l’on est bien plus progressiste que l’on est afin d’en retirer un bénéfice, au détriment des valeurs et causes que l’on dit défendre. Timothée Chalamet ou Harry Styles sont-ils au-dessus de tout soupçon de ce côté-là ?

On ne sait jamais ce qui motive les gens. On n’est jamais à l’abri qu’il y ait des révélations. Pour leur carrière, leur gentillesse et leur écoute sont très positives, c’est pour cela qu’ils sont connus. Ils ont donc tout intérêt à être irréprochables à l’heure des smartphones et des réseaux sociaux. Mais on voit très bien que, dans la société, de plus en plus d’hommes se disent déconstruits et féministes. Il y en a beaucoup qui en profitent et s’en vantent ouvertement à leurs potes en leur disant qu’ils font ça juste pour s’amuser, pour prouver que les féministes se laissent avoir. Il y a des hommes réellement gentils, qui veulent vraiment bien faire pour s’émanciper des carcans de la masculinité, j’en ai interviewé dans le livre. Ils disent bien qu’ils font de leur mieux mais que ce n’est pas si facile. J’aimerais que ce soit ça qui ressorte de mon livre : les hommes peuvent et doivent essayer de faire mieux, ne serait-ce qu’égoïstement, pour leur bien, mais aussi plus largement pour une volonté d’égalité. Il faut avoir pleinement conscience que personne n’est parfait, qu’on a grandi avec plein de clichés et que la route est longue pour réussir à se défaire de ces idées bien ancrées.

Les personnalités dont nous parlons ici sont anglo-saxonnes. Qui sont leurs équivalents en France ?

En écrivant ce livre, je me disais que je ne pouvais pas ne parler que des américains… Mais, je n’avais pas grand-chose sous la main. La dernière couverture du Film Français [la Une titrant sur la « reconquête » du cinéma français ne montrait que des acteurs blancs] nous le rappelle bien : on est dans un pays où aucun acteur ou chanteur connu n’est pas quelqu’un de sexiste et/ou profitant de sa situation de domination. On a toujours les mêmes têtes, moins de changements, moins de jeunes connus. On valorise toujours les mêmes acteurs qui vivent dans l’entre-couilles, pour utiliser une expression populaire. Après, il y a quand même des personnes qui expriment un changement. Eddy de Pretto ne renvoie pas particulièrement une image de mec gentil, mais il exprime une certaine féminité. Bilal Hassani, avant son coming-out non binaire, exprimait déjà quelque chose de très féminin et révolutionnaire. J’ai préféré parler des jeunes et moins jeunes qu’on croise dans la rue. Je n’ai jamais vu autant d’hommes porter des jupes ou du vernis que cette année. Il se passe quelque chose au niveau de la masculinité.

Sujets liés