Aboubakar Soumahoro, premier député italo-ivoirien au Parlement italien

Aboubakar Soumahoro pose devant la Chambre des députés, il est élu pour la première fois et sous les couleurs de la coalition « Vert/Gauche » ©Radio France - Bruce de Galzain
Aboubakar Soumahoro pose devant la Chambre des députés, il est élu pour la première fois et sous les couleurs de la coalition « Vert/Gauche » ©Radio France - Bruce de Galzain
Aboubakar Soumahoro pose devant la Chambre des députés, il est élu pour la première fois et sous les couleurs de la coalition « Vert/Gauche » ©Radio France - Bruce de Galzain
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En Italie, la droite et l'extrême droite ont gagné les élections. Mais parmi les nouveaux entrants à la Chambre des députés, Aboubakar Soumahoro, ivoirien, n’a la nationalité italienne que depuis dix ans. Il est aujourd'hui le seul député noir du Parlement.

Il jongle avec l'italien, le français, la nuit dernière il a rêvé en bambara, une des nombreuses langues de Côte d'Ivoire mais Aboubakar Soumahoro ne veut pas tout de suite se livrer. Il ressent d'abord le poids de la responsabilité de devenir député.

"Ce n'est pas mon histoire mais c'est l'histoire de tous les damnés de l'ère de l'économie digitale, du capitalisme digital. Ce sont les précaires, les exploités, les sans-abri, toute personne discriminée. Je suis l'expression d'un parcours collectif."

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Le défenseur des migrants et des travailleurs exploités devenu député

Aboubakar Soumahoro joue collectif depuis près de vingt ans. Aujourd'hui, il en a 42 et vient de siéger pour la première fois ce jeudi dans un parlement dominé par l'alliance des droites. Diplômé d'un master en sociologie, syndicaliste d'abord, défenseurs des "bracciante", ceux qui travaillent avec leurs bras, il a créé plusieurs comités pour ces immigrés exploités dans les champs de tomates et autres légumes en Italie. Lui l'a vécu dans sa chair quand il est arrivé à l'âge de 19 ans.

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"On est plongé directement dans les difficultés de la vie, dans l'exploitation, dans les discriminations ; tous genres de difficultés du point de vue du travail. J’étais sans abri, je me suis retrouvé en Italie et j’ai dormi dans les champs, dans la rue. Et en même temps j’ai lutté pour sortir de cette boue de l'exploitation."

Le 18 mi 2021 Aboubakar Soumahoro manifeste devant la Chambre des députés pour défendre les travailleurs des champs exploités
Le 18 mi 2021 Aboubakar Soumahoro manifeste devant la Chambre des députés pour défendre les travailleurs des champs exploités
© AFP - Alberto Pizzoli

Ce n'était pas vraiment l'Italie qu'il imaginait avant de quitter la Côte d'Ivoire lui le cireur de chaussures plein de rêves.

"Chaque chaussure que je cirais, les jours où je n'allais pas à l'école, je voyais dans le reflet de ces chaussures un rêve, celui d'aller un jour dans ce pays, l'Italie. Pour moi, c'était comme Alice au pays des merveilles. J’avais un amour fou pour l'Italie et les revues de mode. J'avais un album dans lequel j’encadrais des photos de magazines de mode italienne, de vêtements que j’avais découpés avec des ciseaux. Et en même temps j’avais aussi de l'amour pour la langue de Baudelaire, pour Aimé Césaire, pour Fanon et les Damnés de la terre."

Changer les mentalités pour contrer le racisme en Italie

S'il se dit préoccupé par les possibles retours en arrière du futur gouvernement Meloni sur les droits civiques notamment, Aboubakar Soumahoro veut mener un combat législatif sur ce qu'il connaît par cœur : l'exploitation par le travail, la discrimination dans un pays où la différence n'est pas vraiment bien acceptée.

"L'Italie n'est pas un pays raciste, mais il y a le phénomène du racisme en Italie. Pourtant, peu importe que l’on soit blanc, noir, rouge, homosexuel, lesbienne, musulman, chrétien ou non-croyant dans un État laïque, il faudrait qu'on ait la pluralité à l'intérieur du débat public, politique et au sein même du Parlement. Mais je me rends qu'en Italie, on n’est pas dans la normalité."

Car il n'y a qu'un député noir au Parlement italien. Ce Parlement qui surgit juste derrière nous et devant lequel il s'était enchaîné il y a quelques mois pour obtenir un rendez-vous avec Mario Draghi et défendre les travailleurs exploités.

"On est là où je me suis enchaîné la dernière fois devant le Parlement. Aujourd’hui, j’entends la police me dire : 'Son Excellence, honorable député'. Ce sont les mêmes policiers qui hier surveillaient nos manifestations."

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Aboubakar Soumahoro n'oubliera personne, dit-il. Ni ces policiers, ni les riches qui ne doivent pas pleurer selon ces mots, mais surtout pas les invisibles, ceux pour qui et par qui il a été élu. Lui, le migrant, va défendre le droit à migrer, le droit à travailler dans la dignité sans jamais oublier les paroles de sa mère. "Je viens d'une famille nombreuse. Le conseil que notre mère nous a toujours donné, c’est de ne jamais tourner le dos aux personnes qui expriment un besoin. C'est avec ce bagage que je suis parti. Ma force, c'est ce que notre mère nous disait : 'La pauvreté, ce n'est pas seulement la pauvreté matérielle, c'est aussi la pauvreté culturelle et spirituelle'."

Et c'est ce qu'il enseigne à son fils qui, à chaque fois qu'il partait manifester, disait : "Papa, il va faire la liberté !"

La Revue de presse internationale
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