« Liberté dans le hidjab » : cette gauche qui trahit la cause des femmes

CHRONIQUE. Les députés européens ont torpillé un amendement de François-Xavier Bellamy (PPE) visant à empêcher la promotion du voile sur fonds publics.

Par Djemila Benhabib*

Campagne d'affichage de la Commission européenne pour inciter à participer à la conférence sur l'avenir de l'Europe qui s'est déroulée du 11 au 13 février 2022.
Campagne d'affichage de la Commission européenne pour inciter à participer à la conférence sur l'avenir de l'Europe qui s'est déroulée du 11 au 13 février 2022. © DR

Temps de lecture : 3 min

Dans la foulée de la résistance héroïque des femmes iraniennes contre le régime islamique, François-Xavier Bellamy, député européen Les Républicains (groupe du Parti populaire européen), a saisi le Parlement à Strasbourg, la semaine dernière, avec l'intention d'y faire modifier le ronron habituel sur un sujet qui fâche : le voilement des femmes.

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Déjà, en novembre 2021, lorsque le Conseil avait créé un grand ramdam sur le thème de « la liberté est dans le hidjab », le député de droite fulminait. Comment était-ce possible de confondre liberté et aliénation avec une telle désinvolture ? Mais là, avec la mort tragique de Mahsa Amini en Iran, plus question pour lui de rester assis sur son banc, silencieux. À LIRE AUSSI Le double discours d'une association proche des Frères musulmansLe temps des choix est arrivé. Chacun son camp. Le sien est tout trouvé. Il se range du côté des vivantes excessives qui occupent la rue tête nue. Après tout, n'est-ce pas le moment d'établir (enfin) des liens entre ce qui se passe en Europe et ce qui se joue en Iran autour de cette obsession que constituent l'invisibilisation des filles et des femmes, la détestation de leur corps et de leur sexualité ?

Son raisonnement est limpide : ce qui peut conduire là-bas à la mort ne peut être promu ici avec de l'argent public en affichant le logo d'une institution dont la charte des droits fondamentaux dispose clairement le respect de la dignité humaine. En théorie, du moins.

Le parlement du silence

Le 6 octobre dernier, à Strasbourg, le député a explicité sa pensée. Pour lui, il est temps de lever les ambiguïtés qu'entretient l'Union européenne sur le sujet. « J'ai demandé, explique-t-il, qu'on vote un amendement pour que plus jamais [le financement d'une telle campagne, NDLR] ne se reproduise et, à ma sidération, des élus de gauche, des écologistes, de La France insoumise se sont levés pour que cet amendement soit rejeté. Cette gauche-là […] trahit la cause des femmes. »

La réaction d'une partie de ses collègues est glaciale : des députés de gauche et écologistes font barrage pour tuer dans l'œuf sa proposition. L'amendement oral ne passe pas la rampe. C'est simple, il n'est même pas pris en considération. Le sujet est clos. Il n'y a plus de sujet. Pas l'ombre d'un début de questionnement. Rien. Le silence. Circulez, il n'y a rien à voir !

« Nous n'avons jamais été aussi libres que sous l'occupation allemande », écrit Jean-Paul Sartre alors que la France est à peine libérée. Le philosophe rédige un article intitulé « La République du silence » dans lequel il exprime sa pensée sur l'existence et la liberté. Sous l'occupation allemande, les contraintes sont terribles et multiples, l'individu fait face à des choix radicaux de vie ou de mort : la résistance, la collaboration ou l'indifférence. Pour Sartre, choisir, et même ne pas vouloir choisir, est un choix en soi, car il considère que, quelle que soit la situation vécue par une personne, il lui reste toujours la possibilité de choisir. En ce sens, la liberté ne tient qu'à notre seule volonté de s'en réclamer pour l'incarner. Libre de choisir, pour qui n'a plus peur et ose vivre.

Ambiguïtés

Ces ambiguïtés de la gauche en 2022 nous mènent au début de la révolution islamique iranienne, en 1979, qui voit en l'ayatollah Khomeini un « révolutionnaire » en mesure de renverser la table. La fibre d'une révolte un peu rance et, plus prosaïquement, d'un antiaméricanisme viscéral précipite une partie de la gauche dans les bras de Khomeini. Aujourd'hui encore, ceux qui s'opposent aux desseins du fascisme islamiste ne sont pas considérés comme l'étaient, autrefois, les républicains espagnols. Il y a fascisme et fascisme.

À LIRE AUSSI Fillette voilée : enfin un « contrôle politique » des images de l'UE

Aux yeux de cette gauche, le fascisme vert est bien pâle. Le mouvement de résistance des Iraniennes n'est qu'une simple rébellion de petites « bourgeoises », une banale accumulation de malheurs individuels. Pour celles et ceux qui se sont entichés du voile pour le faire passer comme un accessoire, la liberté est dans le hidjab. Ceux-là n'ont jamais risqué un cheveu de leur tête. Les Iraniennes, elles, affrontent la mort, la regardent en face, droit dans les yeux, sans jamais baisser la tête. Ces femmes sont libres, immensément, dans un pays où la mort rôde à chaque coin de rue. En Europe, la liberté ne signifie plus rien.

* Politologue et écrivaine, Djemila Benhabib travaille à Bruxelles, au Centre d'action laïque (CAL). Elle est née à Kharkiv (Ukraine) et a grandi en Algérie, pays qu'elle a dû quitter en 1994 après une condamnation à mort du Front islamique du djihad armé. Elle s'est d'abord réfugiée avec sa famille en France, puis a vécu au Québec, où elle a milité en faveur d'une loi sur la laïcité de l'État. Autrice de plusieurs essais, parmi lesquels Ma vie à contre-Coran (VLB, 2009), elle a reçu plusieurs récompenses internationales. Son dernier ouvrage, Islamophobie, mon œil !, est paru chez Kennes Éditions en avril 2022.

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Commentaires (50)

  • Freedom

    Courageux, même. Ce qui est un comble de dire ça en France, mais face à la lâcheté de cette gauche on ne s’étonne plus de rien.

  • Icaps

    Je pense qu'il ne faut pas tout mélanger.

    Si l'Iran agi de façon tyrannique envers les femmes l'union Européenne doit faire des sanctions contre le régime en Iran.

    Après en Europe chaque pays a ses propres façons de voir.
    Quand j'étais étudiant en Angleterre j'ai eu un excellent professeur d'informatique à l'université.
    Il était habillé en habit traditionnel sikh avec le turban et le couteau d'apparat (ce qui évidemment en France nous semblerait impossible).

    Au départ cela m'a pris de court mais en le côtoyant tous les jours cela ne m'a plus de tout choqué. Au contraire on a échangé sur nos différences.

    Je pense qu'il faut plutôt créer des ponts que des divisions.

    Belle journée à vous

  • LIBREPENSEUSE98

    Hier soir, G. DARMANIN était invité, durant plus de trois heures chez Hanounha, ce qui s'est passé plutôt correctement, c'était à Tourcoing.
    Les conversations on été rendues impossibles avec une véritable agression-accusation de la part d'une " journaliste " LFI, parlant-criant empêchant de répondre, même Hanounha ne parvenait pas à la faire taire, il a dû clore ce qui n'était pas un échange de points-de-vue.
    Elle a refusé de répondre à la question posée par DARMANIN qui lui demandait son avis sur les résistantes iraniennes.