Accéder au contenu principal

La France toujours concernée par la sécheresse

L’automne et ses pluies sont arrivés sur l’hexagone, et pourtant la sécheresse est toujours bien présente. Après un été particulièrement caniculaire et sec, le niveau des nappes phréatiques métropolitaines reste préoccupant. Quatre-vingt-quatre départements sont toujours placés en vigilance plus ou moins renforcée, 42 d’entre eux sont même considérés en crise.


Le lit asséché du lac des Brenets, dans le Doubs, frontière naturelle entre l'est de la France et l'ouest de la Suisse. Ici en juillet 2022.
Le lit asséché du lac des Brenets, dans le Doubs, frontière naturelle entre l'est de la France et l'ouest de la Suisse. Ici en juillet 2022. © AFP/Fabrice Coffrini
Publicité

L’hiver et le printemps qui viennent vont être déterminants pour reconstituer les stocks d’eau, mais la tendance à venir incite à repenser les usages.

Tous les mois, le bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) publie un bulletin de situation des nappes phréatiques française. Le dernier en date confirme que l’année écoulée a été très dure pour elles. Hiver 2021-2022 sec, printemps du même acabit, canicule et sécheresse record durant l’été. Globalement, les niveaux sont toujours très bas, et ce malgré les premières pluies automnales.  

« Les sols sont toujours très secs et la végétation n’est pas encore en dormance », explique Violaine Bault, hydrogéologue au BRGM et responsable du bulletin mensuel. L’eau a toujours du mal à passer la barrière du sol et à s’infiltrer en profondeur. »  Cela dit, dans certaines régions françaises, la baisse du niveau des nappes phréatiques commence à s’infléchir. Nous sommes cependant loin d’une situation normale. « Il faudrait qu’il continue de bien pleuvoir tout cet hiver et surtout au printemps », espère Violaine Bault.

S’il est encore trop tôt pour disposer de données claires sur la pluviométrie escomptée, on peut en revanche paradoxalement avoir une tendance à plus long terme

S’ils n’ont pas la finesse nécessaire pour pouvoir tirer des enseignements à l’échelle d’une région française, les rapports du Giec, le groupe d’experts intergouvernementaux sur le climat, fournissent cependant une bonne base. « On pourrait avoir tout autant de pluie, mais elle sera différente. Il y aura par exemple des épisodes plus longs où il ne pleuvra pas, puis soudainement des grosses pluies diluviennes », anticipe Violaine Bault. Ce phénomène est un effet anticipé du dérèglement climatique provoqué par l’émission de gaz à effet de serre par l’homme. « Ce ne sont pas les meilleures pluies pour recharger les nappes. Surtout que l’eau, en tombant violemment sur un sol sec, rebondit et à du mal à s’infiltrer. Nous nous attendons à avoir des recharges hivernales moins bonnes », dit-elle aussi.

Le stockage de l’eau, question centrale

C’est notamment pour ces raisons que la question du stockage de l’eau devient de plus en plus pressante. L’une des solutions mise en avant, notamment par le ministère français de l’Agriculture, est d’installer des bassines. Ces étangs artificiels, étanches, sont remplis par l’eau de pluie ou par pompage des nappes phréatiques. Elles sont cependant très décriées, car elles entrent en conflit avec d’autres usages.

►À lire aussi : France: les agriculteurs touchés de plein fouet par la sécheresse de cet été 2022

« Mon rôle de scientifique n’est pas de dire : “Il ne faut jamais faire de tel projet”, indique Bernard Barraqué, chercheur émérite CNRS, spécialiste des politiques de l’eau au Cired. Pour chaque projet, il faut faire les calculs, voir si ça vaut ou pas le coup. Souvent, les inconvénients l’emportent sur les avantages. Tout d’abord, on va perdre un peu d’eau, car elle va s’évaporer. C’est le cas notamment en Australie, où beaucoup de ces retenues de substitution se retrouvent sans pluie et le peu qu’il y a s’évapore. On n’en est pas là en France, mais on peut dire qu’une bassine pleine au début de la saison d’irrigation perdre 10 % de son eau par évaporation. Ce qui est plus ennuyeux, c’est que dans beaucoup de cas, ce remplissage des bassines va se faire au détriment des eaux souterraines. Ça peut être un grave problème de privilégier un stockage de surface qui s’évapore à une recharge de nappe qui produira plus tard des sources et des ruisseaux. C’est beaucoup plus compatible avec la biodiversité. »

Les bassines sont cependant toujours plébiscitées, notamment par le monde agricole pour l’irrigation. Après le problème de « l’entrée » de l’eau dans le système, il faut donc aborder celui de sa « sortie », des usages qui en sont faits et par qui. Avec à l’avenir une ressource de plus en plus contrainte, faire l’économie de ce débat sera lourd de conséquences.

Réflexion sur les usages agricoles

Bernard Barraqué avance quelques pistes. « L’agriculture est le plus gros consommateur d’eau en été, et cette eau s’évapore, c’est le principe de d’évapotranspiration des plantes. Elle est perdue. À l’inverse, lors du refroidissement d’une centrale électrique, l’eau est certes réchauffée, mais elle est rendue, explique-t-il. Il y a un problème de qualité, mais pas de quantité, alors que pour les agriculteurs, c’est un problème de quantité. Ainsi, si eux pouvaient faire des économies dans leurs usages de l’eau, ça libérerait beaucoup d’eau pour les autres usages. Ces derniers sont d’ailleurs souvent considérés comme plus prioritaire que l’agriculture irriguée, car ils apportent plus de valeur ajoutée. »

Or, c’est aujourd’hui le secteur primaire qui a le plus accès à ces retenues d’eau. « Les bassines sont financées par de l’argent public, à 70 % par les agences de l’eau. Il ne faut donc pas que les agriculteurs aient le monopole sur l’affectation des ressources. Il faut partager avec tous les usagers, et si une ville en a besoin, elle devrait être prioritaire, car la valeur de l’eau potable est bien supérieure à celle de l’agriculture irriguée. » Bernard Barraqué insiste et plaide pour considérer l’eau comme un bien commun : « Il y a des usagers diversifiés, qui font des choses différentes, cela fait de la ressource en eau un bien commun. On ne peut donc exclure personne, même si des rivalités apparaissent ».

Ce phénomène a été théorisé par l’économiste américaine Elinor Ostrom, qui a reçu le prix Nobel en 2009 pour ces travaux. « On a intérêt à réunir les usagers autour d’une table pour qu’ils déterminent quelle valeur ajoutée est apportée par l’eau à tel ou tel type d’activité. On partage ensuite l’eau en conséquence, quitte à ceux qui perdraient des droits soient indemnisés par les autres. L’idée, c'est d’organiser un jeu à somme positive. On peut imaginer payer les agriculteurs pour qu’ils laissent de l’eau aux villes, en les indemnisant pour qu’ils se rabattent sur des cultures moins gourmandes en eau », poursuit le chercheur.

 Selon lui, on ne pourra ainsi pas faire sans une réflexion sur l’utilisation des sols agricoles. « Le maïs n’est par exemple pas très bien placé, même si c’est une plante géniale pour les agriculteurs. C’est une plante qui consomme beaucoup d’eau en août et en septembre, dit-il. L’évolution des assolements, ce n’est pas nouveau : on peut déjà utiliser une variété de maïs moins gourmande en eau. On peut changer à l’échelle d’une ferme. On peut envisager un nouveau partage de l’eau à l’échelle d’un groupement : les agriculteurs décident alors qui va faire du sorgho, qui va faire du colza, etc. »

Malheureusement, note Bernard Barraqué, ces discussions sont encore trop peu fréquentes. De plus, si la prise de conscience de l’enjeu par les pouvoirs publics est réelle, ce débat n’est qu’embryonnaire. Ainsi, par exemple, le Varenne agricole de l’eau organisé par le gouvernement début 2022 l’a été sous l’égide unique du ministère de l’agriculture. Le ministère de la Transition écologique, qui a pourtant la tutelle sur l’eau, n’avait alors pas participé aux échanges.

À lire aussiFace au manque d’eau, les experts cherchent des alternatives pour l’agriculture

NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail

Suivez toute l'actualité internationale en téléchargeant l'application RFI

Partager :
Page non trouvée

Le contenu auquel vous tentez d'accéder n'existe pas ou n'est plus disponible.