Un ex-diplomate russe raconte la « poutinisation des esprits » qui a conduit à la guerre d’Ukraine

Poutine, Staline, souvenirs en vente à l’aéroport de Moscou. ©AFP - Philippe ROYER / ONLY WORLD / Only France via AFP
Poutine, Staline, souvenirs en vente à l’aéroport de Moscou. ©AFP - Philippe ROYER / ONLY WORLD / Only France via AFP
Poutine, Staline, souvenirs en vente à l’aéroport de Moscou. ©AFP - Philippe ROYER / ONLY WORLD / Only France via AFP
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Boris Bondarev, un diplomate russe qui a fait défection, raconte dans la revue « Foreign Affairs » comment il a vu la loyauté s’imposer à la place de la compétence, et comment le mensonge remonte jusqu’au sommet et explique l’échec de Poutine en Ukraine.

Nous ne saurons sans doute jamais ce qu’il y a « dans la tête de Vladimir Poutine », pour reprendre une question cent fois posée depuis l’invasion de l’Ukraine. Mais au moins, nous avons aujourd’hui la possibilité de jeter un œil derrière la façade du « système Poutine », grâce à un diplomate russe qui a claqué la porte.

Boris Bondarev a démissionné au printemps dernier de la mission diplomatique russe à Genève ; et il vient de publier dans la revue américaine « Foreign Affairs » un long texte, très personnel, dans lequel il raconte son parcours, l’évolution de sa pensée et la lente transformation du système qu’il a longtemps servi.

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Le tableau qu’il présente n’est pas tant celui d’une idéologie imposée par la force, que d’une lente « poutinisation » des esprits, au moins dans le cadre du Ministère des affaires étrangères, son employeur pendant vingt ans – quasiment la même durée que le pouvoir de Poutine. Il raconte comment la liberté intellectuelle de ses débuts a cédé le pas à l’obéissance aveugle, puis à la nécessité de se montrer loyal, puis enfin au mensonge pour dire « en haut » ce qu’ils avaient envie d’entendre.

Boris Bondarev raconte comment ses collègues et lui-même ont progressivement compris qu’il fallait répéter « comme des perroquets » la propagande dictée par le Kremlin, non pas pour en convaincre le reste du monde, mais pour conforter le Kremlin lui-même de la justesse de ses positions.

Selon lui, les diplomates russes savent tous que Poutine apprécie son Ministre des Affaires étrangères, Sergei Lavrov, parce qu’il lui répond toujours « oui », et dit au Président ce qu’il a envie d’entendre. De même, les télégrammes diplomatiques russes doivent rapporter à Moscou à quel point les positions du Kremlin sont comprises à l’étranger, et surtout minimiser toute information contraire.

Il n’est pas surprenant, écrit-il, que Poutine ait cru que la conquête de l’Ukraine serait facile. Il aurait su que c’était une mission impossible s’il avait demandé à son gouvernement une évaluation honnête. Ce diplomate qui a travaillé sur les questions militaires, écrit que beaucoup savaient que l’armée russe n’était pas aussi puissante que ce qu’en pensaient les Occidentaux, mais personne n’osait le dire.

Le diplomate ne révèle pas de secrets d’État ; il illustre simplement la faille majeure des régimes totalitaires : la loyauté passe avant la compétence. C’est devenu la règle dans la Russie de Poutine ; ça l’est aussi dans la Chine de Xi Jinping, qui se fait introniser cette semaine pour un troisième mandat.

Qui aurait osé dire à Vladimir Poutine que son armée n’était pas aussi opérationnelle qu’il croyait ? Qui osera tenir tête à Xi Jinping sur sa politique défaillante du zéro Covid ?

Les systèmes verticaux, un seul chef et des courroies de transmission, ont parfois l’apparence de l’efficacité. Mais ce sont aussi des machines à obéir, pas à réfléchir.

Le témoignage de Boris Bondarev fait immanquablement penser au « Rhinocéros », la pièce de Ionesco, où le conformisme conduit au totalitarisme : il donne ainsi une des clés de l’échec de Poutine en Ukraine.

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