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Moyen-Orient - Éclairage

Des familles de disparus du naufrage de Tartous accusent Damas de les détenir

« 71 % des habitants des zones gouvernementales souhaitent émigrer, dont une majorité de jeunes, en particulier des hommes, avec un niveau d’éducation élevé ou bon ».

Des familles de disparus du naufrage de Tartous accusent Damas de les détenir

Une vue au large de Tartous où le naufrage a eu lieu, le 21 septembre 2022. Archives AFP

Cela fait un mois qu’ils sont sans nouvelles de leurs proches, alors ils ont décidé de frapper un grand coup. Depuis 2019, des Syriens issus des zones du régime tentent de fuir à tout prix des conditions de vie misérables. En dépit des risques sécuritaires qui pourraient suivre leur geste, 24 familles de disparus du naufrage au large des côtes de Tartous le 21 septembre dernier ont signé et publié un communiqué mercredi appelant « toutes les parties concernées à révéler le sort de leurs fils ». « Ce sont tous des jeunes gens qui ont de bonnes capacités physiques et qui savent nager (...) et nous sommes certains qu’ils ne font pas partie des noyés parce que leurs corps auraient été retrouvés comme cela a été le cas des femmes, des enfants et des personnes âgées », précise le texte. « Est-ce que la mer engloutit uniquement les corps des jeunes hommes ? » Si la plupart des 150 passagers syriens, libanais et palestiniens ont péri lors du naufrage, plusieurs dizaines auraient été secourus.

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Certains ont pu rentrer chez eux sans encombre, mais, au fil des semaines, une théorie de plus en plus plausible a grandi dans l’esprit des familles : celle d’une détention dans les geôles syriennes ou libanaises. D’autant que certaines ont eu des preuves concrètes qu’ils sont en vie. Pendant des semaines, Mona* a tout fait pour retrouver son oncle en postant sa photo sur les réseaux sociaux. « Nous avons écumé les hôpitaux, les morgues, et même avons été soumis à un test ADN, mais on ne sait toujours rien de Omar* », écrivait-elle, par message WhatsApp à L’Orient-Le Jour début octobre. Le 10 du mois, elle affirme que Omar a été retrouvé. « Vivant ? » « Oui, mais en prison. » « On nous a dit qu’il y a quelques procédures pour le faire sortir », précisait Mona. Depuis, la famille a perdu toute trace de lui. Puisque les disparus comme Omar ont fui le pays illégalement, ils font face à des répercussions judiciaires, et risquent de croupir en prison. La majorité des 24 noms qui figurent sur la liste des disparus ont entre 17 et 30 ans, et pourraient être accusés, pour certains, d’avoir cherché à fuir le service militaire obligatoire. « La plupart sont originaires de Lattaquié, en particulier des quartiers sunnites, mais aussi des gouvernorats de Homs et de Hama », soutient le communiqué, mettant ainsi en exergue une répression ciblée par le pouvoir alaouite.

Victimes d’extorsion

Les familles affirment avoir appelé à l’aide le gouverneur, qui aurait ensuite envoyé deux lettres : l’une adressée au Comité de sécurité militaire de la côte syrienne et la seconde au ministère des Affaires étrangères afin qu’il prenne langue avec les autorités libanaises. « L’ambassade de Syrie au Liban aurait affirmé qu’il n’y a aucun des 24 disparus au Liban », raconte Mazen*, 30 ans, originaire de Lattaquié. « On ne pense pas qu’ils soient entre les mains des moukhabarat libanaises, mais peut être entre celles du Hezbollah », estime le jeune homme. « Franchement, même les Israéliens l’auraient annoncé, s’ils les détenaient », ironise-t-il.

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Alors que certains parents affirment avoir été victimes d’extorsions de la part de sources non fiables, moyennant des informations contre « d’énormes sommes d’argent », Mazen, lui, explique ne pas avoir été contacté par des informateurs de ce type, mais avoir entendu depuis des semaines des rumeurs contradictoires sur son petit frère disparu Mohammad*, 18 ans, qui rêvait de rejoindre l’Europe. La dernière version indique que les jeunes seraient emprisonnés dans la branche Palestine, la section 235, l’une des pires prisons du pays, située à Damas et gérée par les services secrets syriens. « Si c’est le cas, nous ne les reverrons jamais », désespère Mazen.

Ce drame qui continue d’avoir des suites n’a pas découragé les candidats au départ puisque des bateaux continuent de quitter la côte libanaise. Sur la page créée sur Facebook suite au naufrage du 21 septembre, des internautes cherchaient à savoir ce qu’il est advenu d’une embarcation ayant quitté le pays du Cèdre le 2 octobre. « Mourir en mer est mieux que vivre en Syrie », confiait il y a deux semaines un proche de disparu, originaire de Tartous.

Fuir la misère

Les départs de Syriens résidant dans les zones contrôlées par le régime se seraient accentués ces deux dernières années en raison de la situation économique désastreuse. « 71 % des habitants des zones gouvernementales souhaitent émigrer, dont une majorité de jeunes, en particulier des hommes, avec un niveau d’éducation élevé ou bon », explique à L’Orient-Le Jour Samir al-Abdallah, chercheur syrien au centre Harmoon pour les études contemporaines, basé en Turquie. Il vient de publier un rapport complet intitulé « Migration depuis les zones contrôlées par le régime syrien après 2019, motifs, destinations, effets ». « Pour les jeunes, le choix d’immigrer est principalement lié au fait qu’ils veulent éviter de rejoindre le service militaire », poursuit l’expert.

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Malgré l’arrêt des opérations militaires majeures, et alors que beaucoup espéraient une amélioration de la qualité de vie, la situation n’a fait qu’empirer. Les familles qui choisissent le départ par la mer doivent débourser jusqu’à 6 000 dollars par tête, ce qui indique qu’elles sont plutôt issues de la classe moyenne appauvrie au gré de la crise. « Ahmad* a vendu sa maison pour pouvoir financer son départ. Ses enfants et sa femme vivent aujourd’hui chez des proches. Dans leurs rêves, il allait apparaître sain et sauf à Chypre ou en Grèce, il aurait trouvé un travail, galéré un temps certes, mais il aurait fini par tous les faire venir en Europe », raconte une proche. « Le prix des maisons et de l’immobilier ont baissé dans certaines régions en raison de l’offre importante due au désir de voyager et d’immigrer en famille, ou d’assurer l’immigration des jeunes issus de la famille », confirme Samir al-Abdallah

Sur l’embarcation de la mort, se trouvait une grande majorité de sunnites, mais aussi des alaouites, et deux chrétiennes, Christiane Salibi et sa petite fille Rose, originaires du village de Kfarbo, près de Hama, dont les corps ont été retrouvés à dix jours d’intervalle. « Ces départs comportent des risques pour la société, à commencer par celui du déséquilibre démographique. Cela peut menacer certaines composantes syriennes telles que les chrétiens, les druzes et les ismaéliens. Le pays risque également de se retrouver dépouillé de sa main-d’œuvre compétente, on l’observe déjà dans certaines professions, comme chez les médecins », explique Samir al-Abdallah.

Afin d’enrayer ce phénomène de départs de Syriens depuis la côte libanaise, la Sûreté générale libanaise a resserré les conditions d’entrée début octobre en interdisant aux Syriens ayant obtenu des rendez-vous dans des ambassades étrangères sur le territoire de s’y rendre. De fausses preuves de rendez-vous seraient vendues par les passeurs entre 200 et 300 dollars aux migrants pour pouvoir venir au Liban pour ensuite fuir par la mer depuis Tripoli. « Ceux qui ont des rendez-vous à l’ambassade de Turquie ne sont pas concernés parce que celle-ci envoie ses listes à la Sûreté générale libanaise », assure un bon connaisseur du dossier.

« Quant au régime, même s’il veut enrayer ce phénomène, il n’en a pas la capacité. Le mieux qu’il puisse faire est de ne pas accorder de passeports, qui sont devenus pour lui une ressource financière importante. Il ne lui est pas possible d’améliorer les conditions économiques et le niveau de vie actuellement », ajoute Samir al-Abdallah.

Le trafic illégal de migrants est une aubaine pour les passeurs, mais aussi et surtout pour leurs complices au sein de l’appareil d’État, en Syrie comme au Liban. « La quatrième division, certains des chefs de milices affiliées au régime, mais aussi des factions de l’opposition sont les plus grands bénéficiaires de ce trafic. Ils ne permettront pas qu’il s’arrête même si le régime le veut », conclut l’expert.

*Les prénoms ont été modifiés

Cela fait un mois qu’ils sont sans nouvelles de leurs proches, alors ils ont décidé de frapper un grand coup. Depuis 2019, des Syriens issus des zones du régime tentent de fuir à tout prix des conditions de vie misérables. En dépit des risques sécuritaires qui pourraient suivre leur geste, 24 familles de disparus du naufrage au large des côtes de Tartous le 21 septembre dernier ont...

commentaires (1)

L’AVANTAGE DU JOURNALISTE, C’EST QU’IL/ELLE PEUT ÉCRIRE N'IMPORTE QUOI ET SE TROMPER SUR TOUT ; CELA NE CHANGE RIEN. POUR INFORMER, IL FAUT AVANT TOUT S'INSTRUIRE , COMPRENDRE ET S’ASSURER DES FAITS. MERCI

aliosha

10 h 23, le 21 octobre 2022

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Commentaires (1)

  • L’AVANTAGE DU JOURNALISTE, C’EST QU’IL/ELLE PEUT ÉCRIRE N'IMPORTE QUOI ET SE TROMPER SUR TOUT ; CELA NE CHANGE RIEN. POUR INFORMER, IL FAUT AVANT TOUT S'INSTRUIRE , COMPRENDRE ET S’ASSURER DES FAITS. MERCI

    aliosha

    10 h 23, le 21 octobre 2022

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