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ReportageLuttes

Palestine, Colombie, Irak... Des femmes s’engagent pour l’écologie

L'activiste Jeana De Zoysa, au Sri Lanka.

De nombreuses activistes à l’intersection des luttes pour l’écologie, les droits des femmes et la justice sociale participaient au festival Les Peuples veulent, à Montreuil. Rencontre avec quatre d’entre elles.

Montreuil (Seine-Saint-Denis), reportage

Au rez-de-chaussée de la Maison ouverte, l’un des tiers lieux situés à Montreuil (Seine-Saint-Denis) qui accueille le festival internationaliste Les Peuples veulent, l’agitation monte. Une émission de radio est en train d’être enregistrée. Des organisateurs collent aux murs des affiches annonçant le programme du week-end des 21 au 23 octobre, tandis que de premiers curieux passent une tête à l’entrée. C’est dans une pièce plus calme, à l’étage, que quatre invitées prennent le temps d’expliquer, chacune à leur tour, la lutte qu’elles sont venues présenter au public français.

Lina Ismail (Palestine) : « Sans autonomie alimentaire, il n’y a pas d’émancipation possible »

Lina Ismail. © Maïa Courtois / Reporterre

« En Palestine, l’enjeu est de nous reconnecter à la terre, et de revendiquer notre identité au travers de ce travail », martèle Lina Ismail, d’une voix aussi déterminée que tranquille. Cette activiste palestinienne, formée aux sciences de l’environnement, anime le Forum agroécologique palestinien. Créée en 2018, cette plateforme accompagne chaque année des dizaines de paysans vers des pratiques agroécologiques et promeut la souveraineté alimentaire.

Car en Palestine comme ailleurs, un modèle domine : celui de l’agriculture intensive et exportatrice. Un modèle « défendu par certaines ONG internationales qui viennent en Palestine au nom d’une approche du développement qui est, en fait, néolibérale », dénonce Lina Ismail. Les autorités israéliennes entravent les alternatives : « En saisissant des surfaces agricoles ou en interdisant à des habitants de les cultiver, mais aussi en restreignant l’accès à l’eau, l’occupation israélienne pousse la jeunesse et les agriculteurs à quitter leurs terres pour aller travailler ailleurs. »

Et d’ajouter : « Tout cela a affecté les mentalités de beaucoup de Palestiniens, pour lesquels aller travailler dans un bureau ou dans une banque, c’est parvenir à un statut social supérieur. » Ces dernières années cependant, des initiatives fleurissent en Palestine, autour de coopératives agricoles et d’agroécologie. Et une partie de la jeunesse refuse de suivre la voie qu’on leur assigne. « Ils tentent de se reconnecter à ces terres qui appartenaient à leur père, à leurs grands-pères… C’est une manière de s’interroger — Qui sommes-nous ? —, et d’avancer sur cette question de leur identité. » Lina Ismail en est persuadée : « Sans autonomie alimentaire, il n’y a pas d’émancipation possible. C’est un besoin fondamental. »

Yoana Acosta (Colombie) : « Des femmes sont formées à la protection de la Terre-Mère »

Yoana Acosta . © Maïa Courtois / Reporterre

Yoana Acosta aime découper son prénom en deux mots : Yo-Ana. Yo signifie « moi » en espagnol. Ana, c’est le prénom de sa mère. Cette dernière n’est plus de ce monde, mais elle demeure « un être spirituel. Elle m’embarquait dans ses actions de défense des droits des femmes et des peuples indigènes. Ma lutte vient d’elle », explique d’une voix douce celle qui est aujourd’hui coordinatrice des Conseils autochtones du nord de Cauca (département colombien). En charge de la section féministe de ce réseau, Yoana Acosta a à cœur de lier la lutte contre le patriarcat à la défense de la Terre.

« Nous l’appelons Terre-Mère, parce que c’est elle qui nous a donné la vie et c’est elle qui nous nourrit », précise la responsable, issue du peuple amérindien Nasa. Posé à côté d’elle, son téléphone ne cesse de recevoir des sollicitations. Parmi ses multiples activités, son organisation forme les « gardiennes » des terres. « Dans nos territoires, il n’y a pas de police. Mais nous avons des femmes formées au contrôle et à la protection de la Terre-Mère. »

Yoana travaille aussi sur l’accès aux terres des femmes. « C’est toujours l’homme qui a les documents officiels de possession du lopin de terre, explique-t-elle, empoignant un carnet et un stylo pour schématiser ses propos. Si nous travaillons à deux sur la terre, mais que nous nous séparons et que mon compagnon s’en va, je me retrouve démunie. Pourtant c’est moi qui me retrouve avec la responsabilité de nourrir mes enfants. » L’une de ses priorités est de visibiliser l’apport économique des femmes, leur lien profond à la culture de la terre. « Nos cycles menstruels sont liés à ceux de la Lune, qui est liée à la Terre. Cela ne concerne pas seulement les femmes indigènes, mais toutes les femmes. Peu importe les cosmologies : les femmes sont celles qui sont les plus liées à la terre. Or, ce lien n’est pas reconnu. »

Jeana De Zoysa (Sri Lanka) : « Le bon moment pour l’autonomie alimentaire »

Jeana De Zoysa. © DR

À seulement 26 ans, Jeana De Zoysa a déjà une longue expérience dans les différentes formes d’activisme du mouvement écologiste au Sri Lanka. Elle a observé des militants de classes sociales élevées mener des actions en justice, et du lobbying au plus près du gouvernement : « Mais cette voie n’est pas accessible à tout le monde, contrairement à l’action directe. » L’action directe, elle l’a expérimentée en devenant coordinatrice nationale de la branche sri lankaise d’Extinction Rebellion en 2019. Sauf que cet activisme-là « est considéré comme antigouvernemental, et nous met en danger. Parce qu’il est anticapitaliste, et que les actions directes non violentes sont des façons de perturber le bon déroulement des affaires… » En outre, l’action directe rassemblait trop peu de monde, et reçoit peu de soutien de l’opinion publique. « La majorité des Sri Lankais vivent en zone rurale, avec des revenus très bas. La première de leurs préoccupations est de mettre de la nourriture sur la table pour leurs enfants. »

Mais les manifestations massives et populaires du printemps au Sri Lanka, portées en grande partie par la jeunesse et qui ont abouti au départ du chef d’État en juillet, ont été l’occasion de rassembler ces enjeux sociaux, économiques et environnementaux. « Lors des occupations, nous tenions des stands pour sensibiliser à l’urgence écologique. Nous répertorions les problématiques et les revendications des gens dans plusieurs localités. Mais il est difficile de savoir ce qu’est devenu ce travail de recensement, car beaucoup de choses ont été détruites par les militaires », regrette l’activiste. Aujourd’hui, elle déploie son énergie dans un nouveau collectif, Samsthana. Il a pour but de mettre sur pied un modèle communautaire d’autonomie alimentaire, et d’y former des citoyens de toutes les régions. ​​« Vu la crise alimentaire que traverse le pays actuellement, il nous semble que c’est le bon moment. »

Manal Hameed (Irak) : « L’exode rural va affecter essentiellement les femmes »

Manal Hameed. © DR

Il existe au sud de l’Irak, là où le Tigre et l’Euphrate se croisent et se jettent dans le golfe Persique, une zone marécageuse qui ne l’est plus tant que ça. À cause du réchauffement climatique, la région s’assèche. « Ses habitants se retrouvent coupés des grands centres urbains où ils se rendaient pour vendre leurs produits laitiers et agricoles », décrit Manal Hameed, avocate irakienne, membre d’un collectif féministe fondé dans la foulée des manifestations antigouvernementales d’octobre 2019.

Pourquoi une militante féministe s’intéresse-t-elle à ce qui se passe dans cette région ? Parce que « l’exode rural va affecter essentiellement les femmes. Celles-ci ont passé leur vie dans les champs, à cultiver et récolter. En ville, les hommes vont avoir accès à des métiers manuels. Les femmes vont se retrouver dans le meilleur des cas à faire des ménages, et dans le pire, dans des réseaux de prostitution », alerte Manal Hameed.

Chaque fois qu’elle parle, l’avocate avance son buste, pose les coudes sur la table, soupèse chaque argument d’un geste de la main, pour mieux convaincre. Au bout de ses doigts, ses ongles sont peints de l’exacte couleur du féminisme international : le violet. Elle se désespère du peu d’intérêt du gouvernement irakien pour ces enjeux écologiques et sociaux. « Ils accusent l’Iran de provoquer la sécheresse en construisant des barrages. Mais en même temps, ils laissent des entreprises iraniennes venir prospecter pour de futures voies de chemin de fer reliant l’Iran aux villes du centre de l’Irak. » La jeune femme sort son téléphone pour montrer quelques vidéos : partout, des étendues de plus en plus désertiques. Ici, le crâne d’un buffle, un animal « qui n’arrive malheureusement pas à survivre s’il manque d’eau ».

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