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EnquêteViolences sexistes

Affaire Julien Bayou : les femmes parlent

Julien Bayou à Paris, le 17 mai 2022.

Reporterre s’est entretenu avec plusieurs femmes qui reprochent à Julien Bayou des violences psychologiques. Elles révèlent les blessures liées à leur relation avec l’ex-secrétaire national d’Europe Écologie-Les Verts.

Il n’est jamais facile de prendre la parole pour une femme qui s’estime victime de violences psychologiques. C’est encore plus compliqué quand votre histoire a été déballée dans toute la presse sans que personne n’ait connaissance des faits. Depuis plusieurs mois, Reporterre enquête sur « l’affaire Julien Bayou », député Europe Écologie-Les Verts (EELV) et ex-secrétaire national du parti. Nous avons rencontré plusieurs de ses anciennes compagnes qui lui reprochent des faits d’emprise, d’humiliations et de mensonges. Malgré la pression qu’elles ont subie ces dernières semaines, ces femmes ont accepté de nous livrer leur témoignage afin que leurs voix soient entendues. Contacté par Reporterre, Julien Bayou n’a pas répondu à nos questions.

L’une des femmes interrogées, qui a fait deux tentatives de suicide, évoque des violences psychologiques. Une autre femme nous raconte sa violente dépression après sa relation avec Julien Bayou. D’autres encore, qui préfèrent rester anonymes, nous ont témoigné de leur malaise face à un homme qui leur semble instrumentaliser sa position dans un objectif de prédation. Car il ne s’agit pas d’une simple histoire privée de rupture malheureuse. Cela révèle les mécanismes de domination à l’œuvre dans de nombreux couples.

Nous avons d’abord rencontré Agathe [*], l’ex-compagne de Julien Bayou évoquée par Sandrine Rousseau dans l’émission « C à Vous » le 19 septembre. Agathe croise d’abord Julien Bayou début 2016. Elle a sept ans de moins que lui et vient tout juste d’adhérer aux Verts. Alors qu’elle l’annonce sur Twitter, Julien Bayou lui écrit un message privé pour lui proposer un verre. À l’époque, il est en couple avec Jeanne [*], qu’il dénigre et surnomme « la goudou refoulée » [1], selon un courriel que nous avons pu consulter. Il explique également qu’il n’aime pas Jeanne, qu’elle n’est pas la femme de sa vie ni la future mère de ses enfants.

Un an et demi plus tard, Agathe et Julien Bayou commencent à se fréquenter. Il est toujours avec Jeanne dans ce qu’il assure être une relation libre. Agathe se trouve embarquée dans un ascenseur émotionnel. « Il me disait que je l’obnubilais, puis disparaissait, revenait, me faisait grimper sur les toits de Paris pour une soirée ô combien romantique sous les étoiles. Il me disait qu’il n’y avait qu’avec moi qu’il se sentait comme ça, qu’il n’avait jamais connu ça, puis il disparaissait de nouveau. »

En août 2018, après deux mois sans nouvelles, il lui annonce sa rupture avec Jeanne. Le mois suivant, il présente Agathe à des amis du collectif Jeudi noir [2] comme « sa chérie ».

Très rapidement, Agathe a l’impression de devenir folle. « Il jouait avec ma mémoire, sur ce qu’il me disait, sur ce que j’avais entendu. » Elle s’en ouvre à Julien Bayou dans divers SMS et courriels que nous avons pu consulter. « Pendant un temps, poursuit Agathe, je me suis dit qu’il devait avoir un Alzheimer précoce. Mais, petit à petit, c’est de mes souvenirs à moi, de ma réalité à moi, que je commençais à douter. » La jeune femme estime aujourd’hui avoir été mise sous emprise. « Je supportais de moins en moins ses contradictions, j’essayais d’argumenter, d’expliquer en quoi telle situation me faisait souffrir, pourquoi je vivais telle autre chose comme une humiliation… »

Agathe explique qu’elle se heurtait systématiquement à de la froideur, à une absence de réponse et d’empathie de Julien Bayou, et que ce comportement incompréhensible, versatile et déstabilisant pouvait la plonger dans des scènes d’angoisse, de détresse ou de colère. « Et face à l’absence de réponse, d’empathie, je partais de plus en plus vite au quart de tour », poursuit Agathe.

Le confinement réveille ses traumatismes

L’un des évènements les plus traumatisants de sa relation a lieu au printemps 2020. Quelques années auparavant, en 2017, Agathe travaillait en prison et a subi une altercation tellement violente avec un détenu radicalisé qu’elle a cru « mourir ce jour-là » [3].

Avant le confinement, elle est retrouvée sur les réseaux sociaux par un djihadiste. Elle redoute qu’il s’agisse de l’homme qui l’a agressée à l’époque. Complètement paniquée, elle cherche à fuir Paris. Une amie, Florence [*], lui prête sa maison. Julien Bayou demande à Agathe qu’un couple d’amis vienne se confiner avec eux. Alors qu’ils sont réunis, Agathe apprend que la femme est l’une des survivantes du Bataclan. Le traumatisme de cette dernière fait écho à celui d’Agathe, qui dès lors se sent incapable de sortir de sa chambre. Elle se heurte à l’indifférence de Bayou qui, d’après elle, lui dit avoir « oublié » qu’elle a besoin de fuir le sujet. « Il me dit que puisque c’était fait, il fallait que ça me glisse dessus », raconte Agathe.

« Elle m’envoyait beaucoup de SMS pour me dire qu’elle souffrait. Elle avait si peur que parfois, la nuit, elle se réveillait en entendant ce qu’elle pensait être des bruits de pas sur le gravier », raconte Florence. À l’époque, Agathe ne peut pas quitter cette maison. « Mes revenus étaient ridicules comparés à ceux des trois autres [Julien Bayou et le couple d’amis]. J’étais la seule sans permis. J’étais coincée. Et je ne voyais pas pourquoi j’aurais dû moi quitter une maison que Florence m’avait prêtée alors que je cherchais à fuir Paris. »

Nicolas [*], qui connaît Julien Bayou de longue date, témoigne qu’à l’automne dernier, le député s’est longuement épanché sur sa relation avec Agathe. « Il me disait que leur relation était devenue très difficile. Qu’Agathe était devenue bipolaire à la suite d’une agression vécue en prison dans le cadre de son travail quelques mois auparavant. » Cela expliquerait qu’ils n’aient jamais eu d’enfant ni de relation stable : « Dû à la maladie [la bipolarité] [4] et à l’âge d’Agathe […], il disait qu’il était trop tard pour imaginer avoir des enfants dans de telles conditions. »

Un autre évènement a bouleversé la jeune femme. Durant les élections régionales de 2021, Julien Bayou demande à Agathe son avis sur son site internet de campagne [5]. Elle ouvre la page et découvre parmi les soutiens le nom d’un homme qui l’aurait violée quelques années auparavant. « Quand je lui ai fait remarquer, il m’a dit qu’il avait vu, oui, mais qu’il avait visiblement oublié d’enlever le nom. Je lui ai demandé d’écrire à cet homme pour lui dire qu’il ne voulait pas de son soutien. Mais il a refusé. J’étais sidérée. Comment pouvait-il avoir oublié une chose pareille ? Pourquoi n’avait-il pas vérifié plutôt que de prendre le risque de me violenter ? J’en suis venu à me demander s’il ne faisait pas exprès de me faire revivre mes traumatismes. »

Pour Agathe, il est désormais clair qu’il s’agit de « faux oublis », tels que présentés par la psychiatre Marie-France Hirigoyen dans son livre Le harcèlement moral — La violence perverse au quotidien, comme caractéristiques des violences psychologiques.

La psychologue qui suit Agathe depuis janvier 2022, et qui est spécialisée en neuropsychologie et psychotraumatologie, confirme : « Avoir son conjoint qui “oublie” le nom de notre violeur, comment est-il possible de faire une bourde pareille ? Ces comportements ne peuvent pas être balayés sous cette excuse de l’oubli. Ce sont des violences psychologiques. »

Agathe est sortie de cette relation très abîmée psychologiquement. « Ses symptômes correspondent à de nombreux critères d’un état de stress post-traumatique », assure sa psychologue. La jeune femme souffre de comportements dissociant qui s’accompagnent de conduites autoagressives, lesquelles ont commencé quelques mois avant sa rupture. « Dans des moments d’angoisse très forts, elle se fait du mal en se frappant la tête. C’est le seul moyen de faire disjoncter son cerveau émotionnel, pour produire des hormones qui l’anesthésient et qui lui permettent de supporter la douleur psychique », poursuit sa psychologue [6].

Dans son entretien au journal Le Monde, deux semaines après que l’affaire a pris un tour médiatique, Julien Bayou s’est défendu : « Je n’ai jamais commis de violence psychologique à l’égard de mon ex-compagne. »

La fausse couche et l’impossible deuil

À l’automne 2021, Agathe tombe enceinte, mais fait une fausse couche avant d’avoir eu le temps de l’annoncer à son compagnon. Elle ne lui en dit rien sur le moment. « J’avais peur qu’il m’en veuille, et surtout qu’il minimise ma souffrance, comme il le faisait à chaque fois. Alors j’ai géré toute seule, convaincue que ce serait moins violent que s’il me refusait son aide. » Mais la jeune femme va très mal et Julien Bayou finit par la quitter par un message sur WhatsApp fin novembre. Un mois plus tard, alors qu’ils sont séparés, Julien Bayou invite sur Twitter sa communauté à prendre soin de leurs proches.

Atterrée, elle lui annonce sa fausse couche avant de réclamer un petit rituel pour le bébé. Il met plusieurs mois à accéder à sa requête. « Je souffrais atrocement. Je l’ai relancé, je cherchais à lui expliquer en quoi c’était important pour moi. Il promettait, puis me disait qu’il fallait que je respecte ses limites, qu’on n’était plus ensemble. Alors, je culpabilisais. Il dit qu’il n’avait pas compris, que j’avais mal expliqué les choses. C’était une torture psychologique. Je n’avais pourtant pas l’impression de demander la lune. Je voulais juste poser un acte, quel qu’il soit, pour pouvoir enfin faire mon deuil de ce bébé. » Julien Bayou finit par se joindre à elle pour un rituel d’adieu.

Alexis, qui a passé six ans en couple avec Agathe, confirme qu’avant de rencontrer Julien Bayou elle était une jeune femme « très solaire et joyeuse. De ces personnes qui aiment sauter dans les flaques d’eau et qui ont gardé leur côté enfantin. C’est la personne la plus résiliente que j’ai rencontrée dans ma vie. Qu’elle soit ainsi aujourd’hui montre que des choses violentes lui sont arrivées ». Alexis a cherché à comprendre pourquoi Agathe n’arrivait pas à quitter Julien Bayou, alors qu’elle semblait si malheureuse avec lui. « Elle lui avait fait une promesse, celle de ne jamais l’abandonner. Elle avait du mal à expliquer pourquoi, mais c’était indépassable. »

Cette promesse, Agathe la fait à Julien Bayou en février 2019. À l’époque, elle se croit en couple exclusif. Il l’invite chez lui pour célébrer la Saint-Valentin. Elle tombe alors sur une culotte qui ne lui appartient pas et s’emporte. Plusieurs confidents d’Agathe nous ont raconté la scène, qu’elle évoque à différentes reprises dans des messages que nous avons pu consulter. Julien Bayou lui avoue fréquenter « cinq à dix » autres femmes sans forcément se protéger. Agathe se réfugie en pleurs chez des amis, qui lui conseillent de faire rapidement des tests et de ne plus le voir. Mais Julien Bayou dit croire, lui, qu’il était en relation libre, évoquant la mort de sa mère lorsqu’il était jeune. « Il m’expliqua que cela avait créé chez lui une peur de l’abandon puis a fondu en larmes. Il me dit que j’allais l’abandonner comme elle, explique Agathe. Et je me suis retrouvée à promettre que non, ce ne serait pas mon cas. »

La mort de sa mère est un épisode qui revient souvent dans les témoignages des femmes que nous avons interrogées. Les sociologues spécialistes des violences conjugales Pierre-Guillaume Prigent et Gwénola Sueur [7] parlent d’un « chantage affectif basé notamment sur la mort de sa mère ».

Agathe n’est pas la première femme à s’être inquiétée des relations sexuelles non protégées que Julien Bayou a eu avec d’autres femmes. L’une des femmes que Reporterre a interrogées se croyait également en relation exclusive, et avait arrêté de se protéger. « Ce n’était pas clair qu’il couchait avec d’autres femmes. » Elle a contracté une infection sexuellement transmissible (IST) : le papillomavirus, qui dans certains cas, peut déclencher des cancers. Dans 90 % des cas, ce virus est éliminé spontanément par l’organisme dans les deux ans de la contamination. Mais, parfois, cela peut être plus grave. « J’ai été opérée deux fois [en lien avec le papillomavirus], car j’ai des antécédents de complications dans ma famille et je suis encore suivie tous les six mois. Il est clair que cet homme ne fait pas attention à la santé sexuelle de ses partenaires. Pourtant, je ne considère pas cela comme une violence au sens strict », nous confie cette femme.

Deux tentatives de suicide

En avril 2022, Agathe fait une première tentative de suicide après avoir appris que des militantes s’inquiètent pour les nouvelles fréquentations de Julien Bayou. Peu après, la porte de l’immeuble de celui-ci est taguée : « Julien Bayou ta bite c’est un égout à MST » [8].

Selon un échange SMS que nous avons pu consulter, Julien Bayou écrit à Agathe ne pas comprendre de quoi il s’agit. Agathe lui rafraîchit la mémoire : « Moi, on m’en avait déjà parlé en 2018 des IST. Donc ça [les contaminations] doit remonter à avant ça. Protège-toi et essaye vraiment d’être “sérieux” niveau meufs. Ça va se tasser. »

Le 30 juin 2022, elle fait une seconde tentative de suicide après avoir envoyé une lettre à plusieurs membres d’EELV dans laquelle elle fait part de sa volonté de « mourir pour protéger les autres. Pour que quelqu’un se décide à poser les questions, écouter les réponses. Ne pas nous isoler nous. Et l’éloigner des lieux de pouvoir et de militance ».

Ce soir-là, la militante féministe Caroline De Haas échange des messages avec Fatima Benomar, autre militante féministe. Toutes les deux connaissent bien Agathe. « À 22 h, Fatima m’a demandé d’appeler les pompiers, car Agathe avait avalé sa boîte d’antidépresseurs, dit Caroline De Haas. Je l’ai alors appelée vers 22 h 10 et je lui ai parlé jusqu’à l’arrivée des pompiers. Elle venait d’apprendre quelque chose et elle était en totale crise de panique. » Le lendemain, Caroline De Haas reçoit un courriel envoyé par Julien Bayou à plusieurs personnes, dont Jeanne, son ex-compagne. Il écrit : « J’ai immédiatement prévenu les pompiers et les voisines, elle est entre de bonnes mains, elle a été emmenée consciente à [l’hôpital le plus proche] pour des analyses. » Reporterre a contacté les voisins, qui confirment avoir été appelés par Julien Bayou le soir de la tentative de suicide.

Agathe, qui subit un lavage d’estomac et passe une semaine à l’hôpital, y voit une « tentative de minimiser » son acte. Très en colère, elle lui envoie un courriel dans lequel elle écrit : « Je vais m’arranger pour que tu sois mis hors d’état de nuire. Tu as oublié qui j’étais mais puisque je ne suis pas morte ne t’inquiète pas, ou plutôt inquiète toi. Je vais revenir, et en force […]. La chute va être douloureuse. »

Il n’empêche que c’est également le courriel de Julien Bayou qui convainc Jeanne de témoigner dans cette enquête. « Lorsque je l’ai reçu, j’ai demandé à Fatima qui avait géré la tentative de suicide d’Agathe. Elle m’a répondu : “Moi et Caroline De Haas”. J’ai alors réalisé la monstruosité de l’affaire. Instrumentaliser la tentative de suicide de quelqu’un pour se faire passer pour héros, ce n’est pas juste préserver son image dans une rupture. Là, c’est carrément dégueulasse. Il y a vraiment quelque chose de machiavélique », estime Jeanne.

Jeanne : entre privé et professionnel

Jeanne rencontre Julien Bayou en 2015 dans un cadre professionnel. Elle a 25 ans et est encore étudiante juriste. Il est déjà élu régional, a 35 ans. Jeanne s’est engagée pour la cause climatique et s’intéresse à la politique, mais elle hésite entre le Parti socialiste, Génération écologie et EELV. Un soir, Julien Bayou lui propose d’aller dîner. Elle accepte et commence alors une relation qui devient officielle à l’automne 2015. Rapidement, il lui confie souhaiter construire une famille, avoir des enfants, mais qu’il n’a jamais pu y arriver à cause de la mort de sa mère. Il lui promet qu’elle est la bonne personne pour lui après de nombreuses relations amoureuses sans succès.

Au cours de leur relation, Jeanne se rend compte qu’il la trompe. L’épisode qui la marque durablement se déroule lors d’un rassemblement écologiste. Elle le surprend en train d’embrasser une autre femme, Claire [*], durant une soirée organisée au logement qu’ils ont loué avec d’autres militants. Niant d’abord en bloc, Julien Bayou lui jure ensuite que c’est la dernière fois. Quelques mois plus tard, alors que ce souvenir est encore douloureux, Julien Bayou intègre Claire à son équipe de campagne des législatives de 2017.

Jeanne, qui travaille aussi bénévolement pour la campagne, le supplie de ne pas le faire. « C’était une espèce de torture psychologique permanente pour moi de me souvenir de sa trahison et surtout de savoir qu’en fait, ils avaient sûrement encore une histoire. Je lui ai dit que cette situation n’était pas tenable, il m’a répondu que j’étais folle, excessive et paranoïaque. » Une pression d’autant plus difficile à supporter qu’elle s’implique à 200 % dans la campagne. « Cette situation entretenait un état de fébrilité chez moi, dont il était parfaitement conscient. Je n’en dormais plus, il me poussait à des extrêmes, émotionnellement parlant. »

À l’été 2018, durant une soirée, elle surprend Julien Bayou en train de draguer ostensiblement une autre femme en sa présence et devant tous leurs amis. Ce fut l’humiliation de trop. Jeanne songe à se séparer, mais peine à franchir le pas. « En le quittant, j’avais peur de devenir une paria chez les Verts, d’être blacklistée. Je devais choisir entre continuer à subir cette souffrance émotionnelle ou perdre tout ce pour quoi j’avais travaillé ces dernières années passées dans son ombre à écrire les recours et soutenir ses campagnes. »

En effet, durant toute la durée de leur relation, Jeanne contribue largement à la rédaction des nombreux recours juridiques lancés par Julien Bayou. « Nous mélangions le travail et les sentiments. Il y avait une forme de collaboration qui s’est mise en place parce qu’on est tous les deux passionnés de droit, et que ce qui me motive, c’est d’agir pour défendre les causes qui me tiennent à cœur. Mais en même temps, c’est lui qui engrangeait tous les honneurs, faisait les interviews avec la presse et il y avait une forme d’invisibilisation de mon travail et de mon engagement peut-être trop candide à ses côtés. »

Jeanne a d’ailleurs parfois l’impression d’être utilisée comme un pion. « Je cumulais certains postes au sein du parti et je ne savais même pas pourquoi. J’ai réalisé que j’avais été placée pour défendre les positions de Julien. J’étais un simple pion sur son échiquier politique. »

À la fin de leur relation, en 2018, le couple part en vacances pour tenter de recoller les morceaux à la suite de leurs nombreuses disputes quant aux infidélités de Julien Bayou. Pendant leur voyage, il décide de lancer un recours contre un industriel de l’agrochimie et demande l’aide de Jeanne. « On a passé des heures devant l’ordinateur, enfermés dans la chambre d’hôtel, à écrire le recours. Je l’ai écrit en pleurant toutes les larmes de mon corps. Alors que, pour lui, la décision était prise [de se séparer à cause de son incapacité à s’engager], moi je me disais que si je l’aidais, peut-être que ça nous rapprocherait… »

La relation entre Jeanne et Julien Bayou s’est forgée sur une inégalité dans leur relation, estiment les chercheurs Gwénola Sueur et Pierre-Guillaume Prigent : « Il exploite le travail de militantes, qui sont d’autant plus isolées que leur travail n’est pas reconnu et approprié par Bayou. Si elles le quittent, elles savent qu’elles seront encore plus isolées : par contre, Julien Bayou n’aura pas de mal à trouver d’autres conquêtes. »

Jeanne et Julien Bayou finissent par rompre en 2018, mais, au lieu de se sentir soulagée, la jeune femme plonge dans une profonde dépression. « C’était la descente aux enfers. Je ne mangeais plus, je passais mes journées à pleurer de manière frénétique et je me disais que j’aimerais bien que ça s’arrête, car je ne savais pas si je réussirais à remonter la pente. »

À l’époque, son père l’appelle plusieurs heures par jour pour l’aider à voir le bout du tunnel. « J’avais peur qu’elle fasse une tentative de suicide, dit son père. D’autant que Julien Bayou lui envoyait sans cesse des messages qui la faisaient replonger. Il lui avait demandé de partir et en même temps, il voulait la garder. C’est très destructeur : on ne peut pas recontacter une personne pour lui donner rendez-vous et redonner ainsi espoir à son partenaire. »

Après cet épisode, Jeanne peine à continuer à s’investir dans le parti écologiste, dégoûtée. « De nombreux cadres, hommes et femmes, connaissent depuis des années le cas de Bayou et ne réalisent pas à quel point c’est extrêmement important de mettre en place des garde-fous qui permettent à ceux qui ont un pouvoir et une emprise sur les autres de ne pas les manipuler et d’en obtenir des faveurs sexuelles. C’est une affaire grave dans un parti qui, de facto, ne permet pas aux femmes de militer sereinement. »

Pourtant, dès 2016, un dispositif de prévention et de lutte contre le harcèlement et les agressions sexuelles a été mis en place dans le parti. Une cellule d’enquête et de sanction sur le harcèlement et les violences sexuelles et sexistes a de surcroît été créée en 2018. « Nous sommes l’un des rares partis à essayer de se doter de moyens de prendre en charge et de protéger les victimes », déclarait Sandra Regol dans Reporterre en 2020.

Claire : une emprise sentimentale

Jeanne n’est pas la seule ex-compagne de Julien Bayou à avoir quitté la vie politique. C’est également le cas de Claire, avec qui Julien Bayou a trompé Jeanne. Ils se rencontrent en 2015 lors d’un évènement professionnel où il explique vouloir « hacker le parti écologiste ». Le lendemain de cette soirée, elle publie un tweet où elle exprime son espoir de changer la politique et tague Julien Bayou. Il la contacte en message privé quelques minutes après. Elle se sent flattée qu’il lui écrive en privé, car il est alors porte-parole du parti et elle simple militante. Elle décide dans la foulée de prendre sa carte au parti et de participer à l’effort de transformation promis par Bayou, qu’elle juge « inspirant et loin des stéréotypes des hommes politiques traditionnels avec ses cheveux ébouriffés, son jean et sa jeunesse ».

Ils ont dix ans d’écart et Julien Bayou est à l’époque en couple avec Jeanne. Ce qui ne l’empêche pas de draguer ouvertement Claire. Jusqu’à cette soirée militante où il l’embrasse par surprise devant Jeanne. « Ce geste m’a à la fois sidérée et m’a rassurée, précise Claire. Je n’étais pas folle, il y avait bien une ambiguïté latente entre nous depuis plusieurs mois. Dans ce contexte de séduction, je n’ai pas perçu cela comme une agression sexuelle. Et puis, il est venu s’excuser deux jours plus tard. »

Quelques mois après, on lui propose de prendre un poste à responsabilité dans la campagne des législatives de 2017. Elle est assez novice en politique et s’étonne de cette offre. « Me nommer à ce poste, où j’étais sans cesse en rapport avec lui, c’était peut-être aussi un moyen d’avoir une influence énorme sur moi et de développer une certaine emprise. »

Claire finit quand même par accepter et demande alors un rendez-vous avec Julien Bayou pour définir les contours de leur future collaboration. « J’ai alors eu l’impression de subir un interrogatoire étrange, pas du tout professionnel. Il m’a demandé si je voulais des enfants, si je faisais du sport. Quand il a compris que je ne voulais pas d’enfants, j’ai pensé qu’il me classait dans la catégorie “potentiel plan cul”. »

Claire travaille de façon bénévole pour la campagne de décembre 2016 à juillet 2017 et déplore une ambiance assez machiste, ce qui s’explique notamment par la surreprésentation des hommes à la tête de la campagne. Selon elle, les femmes subissent souvent des remarques sur leur physique, sur leurs tenues. Les décisions se prennent souvent le soir tard ou au bar, de manière informelle, entraînant un mélange des genres permanent entre militantisme et relations intimes. Mais pour un cadre du parti interrogé par Reporterre, « nous ne sommes pas exempts de sexisme, même si nous sommes moins mal placés que d’autres. Mais les décisions ne se prennent pas dans un bar le soir. Elles sont prises en contradictoire, avec les votes des adhérents ».

Claire sait également que Jeanne, la compagne officielle de Julien Bayou à l’époque, la déteste. « Elle voyait très clairement que Julien me tournait autour. Et quand j’ai appris qu’elle avait utilisé les mots “torture psychologique” en me désignant, cela m’a fait du mal. Je me suis rappelé tous les moments où il ne la respectait pas. Par exemple, lorsqu’il m’embrassait et qu’elle nous a surpris. Lorsqu’elle lui parlait et qu’il ne la regardait pas, mais qu’il me regardait, moi. Forcément, elle piquait des crises et passait pour une “hystérique”. »

En définitive, Claire et Julien Bayou ont une relation de novembre 2017 à avril 2019 sans violences psychologiques, mais non dénuée d’emprise sentimentale. « Aux moments romantiques succédaient des déceptions, des promesses non tenues, des négligences. À plusieurs reprises j’ai tenté de clarifier notre relation, ou de l’arrêter en attendant ces clarifications. Lors de ces discussions, il confiait avoir peur de l’abandon à la suite de la mort de sa mère. » Une confession qu’il réitère à plusieurs autres femmes pour justifier son incapacité à prendre des décisions dans ses relations.

Dans son journal intime, Claire écrit avoir l’impression d’avoir été « une petite souris prise au piège, que tout le monde regardait évoluer à travers les grilles de la cage dorée, mais la porte n’était pas fermée et le chat avait la gueule grande ouverte […]. Je suis tombée dans ses filets de mec professionnel de la séduction au discours féministe et progressiste bien rodé, de serial trompeur, de manipulateur qui utilise les femmes comme des objets sexuels et des doudous : on rassure son égo, on l’écoute, on le câline ». Pour Claire, Julien Bayou est simplement un homme misogyne : « Pour lui, les femmes sont des objets à posséder, que ce soit pour le sexe ou pour le travail. Parfois, les deux en même temps. De façade, il a l’air très déconstruit. Mais, en fait, il méprise les femmes et le cache très bien. »

Après cette expérience, Claire, comme Jeanne et Agathe, quitte le parti. « Dans la garde rapprochée de Bayou, sous des prétextes de liberté sexuelle, on a tendance à tout mélanger. Pourtant, une fois que tu as été consommée en tant qu’objet, tu perds toute crédibilité. Tu es bonne à jeter. » Elle écrit dans son journal intime : « Je crois que la fréquentation de ce groupe nuit à ma santé mentale. Entre attentes, déceptions, lâcheté et sexisme latent. »

L’attitude de Julien Bayou envers les femmes dans un cadre militant est critiquée en juin 2022 sur le compte Instagram Balance ton élu. On peut y voir une photo d’un bulletin de vote d’un bureau de la 5e circonscription de Paris, où Julien Bayou est candidat, sur lequel il est écrit « Prédateur ». Dans la légende du post, il est précisé : « Bayou n’est pas féministe... »

D’autres femmes nuancent les accusations

Nous avons contacté d’autres ex-compagnes de Julien Bayou, afin de savoir si elles ont également été victimes de certaines violences. Julie [*] a eu une relation suivie d’un an avec lui, qu’elle pensait exclusive. Elle assure n’avoir jamais été humiliée ou sous emprise. Au contraire, il la complimentait souvent. Cependant, elle déplore en même temps un comportement « de connard ». « C’est quelqu’un qui est fuyant, qui met des heures à répondre aux textos. Il avait une personnalité évitante, impossible de lui faire le moindre reproche, il fallait qu’on le flatte. J’avais l’impression que mes besoins essentiels n’étaient pas du tout pris en compte, je me sentais en insécurité, car il était toujours en train de draguer n’importe quelle nana. Mais pour moi, cela relève plus du privé que du politique. »

Julie a d’ailleurs été contactée par Agathe après sa rupture avec Julien Bayou. « Elle était dans une détresse totale et il y avait des choses dans son histoire qui ressemblaient à ce que j’avais vécu et que je trouvais très dures. Même si cela n’était pas répréhensible dans la loi, à ma connaissance. »

De toute façon, Julie considère que cette manière de traiter les femmes est inhérente au monde politique. « Tous les hommes politiques sont comme ça car, pour réussir en politique, il faut avoir une faille narcissique très forte. Ils ont tous à un moment fait des choses un peu limite. Julien Bayou n’est pas pire qu’un autre. Est-ce qu’on n’est pas en train de lui faire le procès qu’on pourrait faire à tous ceux qui occupent ce genre de fonction ? »

« Le fait de se revendiquer comme homme féministe, est-ce que ça veut forcément dire qu’il faut être fidèle dans son couple ? Je n’ai pas de réponse à cette question », s’interroge Sophie [*]. Cette femme a également été la compagne de Julien Bayou pendant un an et demi. Elle assure n’avoir jamais subi d’emprise ou de violences psychologiques, mais constate plutôt une grande lâcheté de sa part. « Il ne supporte pas d’être seul et passe de conquête en conquête. Dans une relation stable, dès qu’il a un petit problème, au lieu d’y faire face, il va voir ailleurs. Mais pour moi, ce n’est pas de la violence psychologique. » Si ce comportement qu’elle estime « immature » peut sans doute blesser certaines femmes, il n’est selon elle pas prémédité. « Bien sûr, il a la réputation tout à fait justifiée d’être séducteur, d’avoir de nombreuses conquêtes et de tromper ses compagnes, mais cela n’en fait pas pour autant quelqu’un de mauvais ou une proie à abattre médiatiquement. »

Sophie s’interroge sur le sens de l’éthique en politique. « Dans l’idéal, on attendrait un respect de la parole des hommes qui se revendiquent féministes. Mais j’ai constaté plus globalement dans le milieu militant que les hommes qui se disent féministes dans le discours ne le sont pas toujours dans leur comportement. »

Sophie n’est pas la seule à soutenir Julien Bayou. D’autres femmes que nous avons contactées lui apportent leur soutien, comme Margaux Leduc-Leroy : « Je connais Julien depuis douze ans. Sur les séparations, ce n’est peut-être pas l’homme le plus courageux de la Terre, mais des violences psychologiques, vraiment, cela ne colle pas avec le Julien que je connais. Je n’ai jamais vu ou entendu parler de tels faits. Bien sûr, c’est un dragueur, mais cela n’a rien d’illégal. » Même constat chez Mariannick Saout, également camarade de l’époque de Jeudi noir : « Je n’ai jamais vu un comportement problématique de sa part. Toutes les compagnes que je lui ai connues avaient l’air plutôt contentes. Il plaisait beaucoup et je lui ai connu plusieurs relations, mais je n’ai jamais eu de retour concernant une rupture qui se serait mal passée. »

Julien Bayou n’a pas toujours enchaîné les « conquêtes », comme l’explique Juliette Melba, le nom qu’elle utilise en tant que militante, qui le rencontre en 2006 au tout début de sa carrière militante, à l’époque de Jeudi noir et de Génération précaire. « Au tout début, il repoussait même pas mal de filles », se rappelle-t-elle. Après une courte relation en 2008, ils deviennent amants réguliers, mais non exclusifs entre 2010 et 2012. Mais la jeune femme se méfie, elle a comme le sentiment diffus que quelque chose cloche avec les femmes. En 2008, après une première rupture, elle lui envoie un courriel dans lequel elle explique : « Ce rapport que tu as aux femmes, il est pas terrible. Y’en a marre de te voir systématiquement faire l’autruche. C’est pas les femmes qui se font des films, c’est toi qui joues et qui assume pas. Je suis loin d’être la seule à te le dire. » Julien Bayou répond qu’il est « désolé que [ça] se soit passé comme ça ».

Au fil des années, Juliette Melba continue de lui écrire pour dénoncer un comportement qu’elle considère comme problématique. En 2016, elle écrit : « Julien, tu n’es pas le pire, mais comprends que tu fais partie du problème. Peut-être que tu n’en es pas conscient, mais l’inconscience ne te dédouane en aucun cas. » À chaque fois, il botte en touche et assure « regretter de l’avoir fait souffrir », tout en continuant à accumuler les conquêtes, si nombreuses que Juliette en perd le compte. Durant l’été 2022, elle apprend que la cellule de signalement du parti s’est saisie, à la suite de la tentative de suicide d’Agathe.

Quelques semaines plus tard, elle échange également avec Jeanne, une autre ex-compagne qui lui raconte son expérience : « J’en étais malade. Ce que je pouvais ressentir depuis le début s’est traduit dans des choses plus graves. Je pense que cela correspond à son ascension politique [9]. Car il y a une forme d’ébriété liée au pouvoir. Mais ce qui me met encore plus en colère dans cette histoire, c’est qu’il fait du féminisme un étendard, c’est insupportable. » Elle pose alors la question de l’éthique en politique. « Peut-être que cette affaire traduit une évolution sociétale où il ne serait plus acceptable qu’un homme — surtout féministe — puisse commettre des violences psychologiques sur ses compagnes, au point de les conduire au suicide. »

Pour Elen Debost, écofeministe, conseillère départementale (Sarthe), qui a aussi eu une histoire avec Julien Bayou, cela fait dix ans que le scénario se répète systématiquement. « Il sort avec des femmes qui se ressemblent. Souvent plus jeunes que lui, très intelligentes, équilibrées, plutôt discrètes. Elles se font toutes larguer comme des merdes, il les laisse au bord du gouffre. Il ne sait pas être dans l’exclusivité amoureuse, mais n’en prévient ni ses compagnes ni ses maîtresses occasionnelles. Certes, ce n’est pas pénalement répréhensible. Mais son statut d’homme politique qui monte lui donne une aura plus grande et lui facilite l’accès à des aventures courtes avec de jeunes militantes en même temps qu’il a des relations plus longues avec des jeunes femmes qu’il abîme durablement. »


Les dessous de l’enquête

Nous avons rencontré à plusieurs reprises Agathe, Jeanne et Claire pour recueillir leurs témoignages. À cause de l’emballement médiatique et des pressions, d’autres femmes ont préféré ne plus témoigner et nous avons respecté leur choix.

Nous avons contacté Julien Bayou par SMS mercredi 12 octobre. Il nous a renvoyé vers son avocate Marie Dosé, que nous avons rencontrée dans son bureau le lundi 24 octobre. Elle nous a ensuite répondu par courriel que son client ne souhaitait pas répondre à nos questions. « Julien Bayou a pris la décision de ne pas répondre à vos questions. Il s’est suffisamment exprimé dans le journal Le Monde et « C à Vous », et ne s’est pas engagé en politique pour voir sa vie privée et celle de son entourage étalées, disséquées et salies sur la place publique. »

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