« Théo et Adama nous rappellent pourquoi Zyed et Bouna courraient. » 17 ans après la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré, 17 ans après les révoltes urbaines provoquées par ces morts injustes. Chacune et chacun se souvient de la peine de leur famille, des voitures en flamme… Une colère légitime qui a jailli brutalement. Aussi brutalement que leur mort.

Le Bondy blog est né suite à ces révoltes. Modestement, ce média – par et pour les quartiers populaires – essaie de transformer cette colère légitime. Écrire pour ne pas brûler.

Nos blogueuses et nos blogueurs sont nés dans les années 2000. Enfants lors de ces émeutes, ils en gardent des souvenirs singuliers. Cinq d’entre eux nous racontent, ici, leur rapport aux révoltes urbaines de 2005.

Dounia Dimou, 23 ans étudiante

Je ne me souviens pas du jour de l’annonce de la mort de Zyed et Bouna. Je ne me souviens pas des circonstances ou même du climat du pays. Je ne me souviens que d’une chose : le poste électrique. Il y en avait un près de chez moi, en Normandie, là où je vivais avec ma mère et ma sœur.

Personne n’y avait jamais vraiment prêté attention avant. Ça faisait partie de notre décor, de notre terrain de jeu, de notre quartier. Puis, un jeudi 27 octobre est arrivé. Le samedi, j’ai rejoint mes copains pour aller jouer dehors. Ma mère, ou peut-être une autre mère de la résidence, sortait les poubelles. Là, pour la première fois, un élément de notre terrain de jeu est devenu un danger : le poste électrique.

On a tous été pris par une frayeur. À quoi ont- ils pensé pendant leurs derniers instants de vie ?

Elle nous a expliqué que deux jeunes, pas beaucoup plus âgés que nous, étaient morts dans un de ces postes, électrocutés. Je n’ai pas compris ce que ça voulait dire, comment c’était possible. Puis les grands m’ont dit que les deux garçons s’étaient fait courser par la police et qu’ils s’étaient donc réfugiés dans ce poste. J’allais bientôt avoir 7 ans et j’ai compris, à ce moment-là, ce qu’était une violence, policière.

On a tous été pris par une frayeur. À quoi ont- ils pensé pendant leurs derniers instants de vie ? Quelle peur ont-ils ressenti ? Ce poste électrique est devenu un symbole, pour nous. Une menace sur notre terrain de jeu.

Ayoub Simour, 21 ans étudiant

Ma mère n’est jamais totalement sereine quand je suis dehors. Même quand c’est juste pour manger au grec ou jouer au foot. Même quand je ne suis qu’à cinq minutes à pied de chez moi. Elle ne craint pas que je fasse une connerie ou que j’aie une grosse embrouille avec des gens. Elle sait que ce n’est pas mon genre.

Sa peur à elle : que j’aie affaire à la police et que ça tourne mal. C’est comme ça depuis aussi longtemps que je m’en souvienne. Ma mère me répète sans cesse de faire attention à la police. Elle m’explique que, pour certains, nous sommes leurs cibles idéales. Nous, les petits jeunes en survêts.

En 2005, nos mères se sont toutes mises à la place des leurs. Elles ont toutes imaginé un jour pleurer leurs enfants

Plus jeune, j’avais du mal à comprendre cette anxiété. Je pensais que si mes potes et moi ne faisions rien de mal, les policiers ne pouvaient rien nous reprocher. Mais il y a eu Zyed et Bouna. Eux aussi n’avaient rien fait, rien qu’un match de foot.

En 2005, nos mères se sont toutes mises à la place des leurs. Elles ont toutes imaginé un jour pleurer leurs enfants. C’est pour cela qu’elles ont si peur.

Félix Mubenga, 26 ans étudiant

J’avais neuf ans lorsque Zyed et Bouna sont décédés à Clichy-Sous-Bois. Cet évènement a mis fin à mes illusions. Non, la police n’est pas parfaite et refuse de l’admettre. En 2005, j’ai intégré, dans mon esprit d’enfant, que je pouvais être tué lors d’un contrôle de police.

« Fais attention, la police peut vous contrôler et vous tuer juste parce que vous êtes noirs », me disait mon père, à l’époque. Par la suite, je me suis documenté sur les violences policières. J’ai constaté qu’elles ne dataient pas d’hier.

Zyed, Bouna, j’aurais aimé vous dire qu’après le 27 octobre 2005, tout a été fait pour que ça n’arrive plus

J’en ai ressenti de la frustration, de la colère aussi. Comme quand Nicolas Sarkozy préférait se débarrasser de la “racaille” plutôt que d’améliorer les relations police-jeunes de quartiers populaires. Ou quand, malgré les promesses de campagne (comme celle de François Hollande en 2012), aucune réforme structurelle n’a été menée contre le contrôle au faciès.

Zyed, Bouna, j’aurais aimé vous dire qu’après le 27 octobre 2005, tout a été fait pour que ça n’arrive plus. La désillusion et la colère doivent un jour obtenir des réponses.

Kamélia Ouaïssa, 20 ans étudiante

17 ans ont passé depuis la mort tragique de Zyed et Bouna. Un événement qui a révolté nos quartiers et a laissé place à un deuil dans nos foyers. Aujourd’hui, nous sommes leurs héritiers.

Nous sommes les héritiers de cette lutte

L’héritage d’un abus de la police sur notre jeunesse. Des violences policières qui ne cessent de se répéter sous nos yeux. Nous sommes les héritiers de cette lutte démarrée avant même 2005.

Nos luttes visent justement à ce qu’il n’y ait plus de familles endeuillées, de marches blanches et d’émeutes. La réalité est tout autre. Pourtant, nous aimerions ne plus lutter. Notre combat pour cette utopie.

Emeline Odi, 23 ans étudiante

J’avais à peine 6 ans quand Zyed et Bouna sont décédés. J’étais très jeune et il est difficile de décrire, pour moi, ce drame. Pourtant, je sais que cela a provoqué un grand bouleversement dans les banlieues. Des quartiers se sont embrasés, il y a eu des émeutes et des rassemblements pour la mémoire des deux jeunes adolescents.

17 ans après, on a toujours du mal à reconnaître qu’il existe une violence systémique au sein de la police

En grandissant, j’en ai appris davantage. J’ai lu d’anciens articles et ce qui m’a frappé c’est la façon dont les médias, dits traditionnels, parlaient de la banlieue et de ses habitants. Moi qui vit en banlieue parisienne, j’y ai lu une conception très stéréotypée et déconnectée de la réalité des quartiers populaires. Aujourd’hui, on peut dire la même chose du traitement médiatique des violences policières.

Les violences policières sont toujours taboues dans les médias traditionnels. 17 ans après, on a toujours du mal à reconnaître qu’il existe une violence systémique au sein de la police. 17 ans après, il y a cette impunité qui persiste pour les policiers coupables de violences policières.

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