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"Elle le surprit en train de draguer une autre femme" : l'enquête douteuse de Reporterre sur Julien Bayou
Julien Bayou
AFP

"Elle le surprit en train de draguer une autre femme" : l'enquête douteuse de Reporterre sur Julien Bayou

Linge sale

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Le site web écolo Reporterre a publié mardi les témoignages d'ex-compagnes de Julien Bayou, qui l'accusent de « violences psychologiques ». Une suite aux propos de Sandrine Rousseau qui avait commencé à dévoiler le dossier fin septembre à la télévision. Mais l'enquête n'établit aucun fait répréhensible pénalement et suscite le malaise par ses méthodes.

Sandrine Rousseau l'affirme : « Le privé est politique. » Un bon alibi pour justifier tous les voyeurismes ? Un article paru mardi 25 octobre sur le site d'information écolo Reporterre, rapporte les témoignages de trois ex-compagnes de Julien Bayou, qui l’accusent de « violences psychologiques ». Des faits déjà partiellement rapportés par Sandrine Rousseau elle-même sur le plateau de C à vous fin septembre. L'écoféministe avait évoqué le témoignage d'une des ex-compagnes de l'ancien secrétaire national d'Europe Ecologie-Les Verts (EELV), victime de « faits de nature à briser la santé morale des femmes » avant de reconnaître, hors antenne, qu'il n'y avait rien de pénal. « Une enquête [journalistique] est en cours », avait-elle également annoncé.

La voilà, cette « enquête de plusieurs mois », comme l'annonce le premier paragraphe de l'article. Mais qui révèle quoi ? Qu'il n'y a, effectivement, rien de pénal ; que Julien Bayou est accusé d'avoir été « infidèle », « froid », « lâche »…

Racontant leur relation avec le député EELV, ces anciennes compagnes décrivent un homme infidèle, multipliant les aventures, assurant tour à tour être dans des « relations libres » ou traitant l'une de ses compagnes de « goudou refoulée ». Jeanne, qui dit avoir fait une dépression après sa rupture, l'accuse aussi de s'être servi de ses compétences pour faire avancer sa propre carrière. Une autre femme raconte avoir contracté une infection sexuellement transmissible (IST) avec celui qui reconnaît fréquenter « cinq à dix autres femmes » en même temps, selon Reporterre.

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Au-delà de ce déballage ad nauseam, l'enquête interloque aussi par forme. L'usage hasardeux du passé simple accentue l'impression d'un mauvais roman de gare. Exemples choisis : « Durant une soirée, elle surprit Julien Bayou en train de draguer ostensiblement une autre femme en sa présence et devant tous leurs amis. Ce fut l’humiliation de trop. Jeanne songeait à se séparer, mais peinait à franchir le pas. » ; « Il l’invita chez lui pour célébrer la Saint-Valentin. Elle tomba alors sur une culotte qui ne lui appartenait pas et s’emporta. »

Dossier médical

Question sources, ce travail éditorial est tout aussi déroutant. L'auteure donne ainsi la parole à la psychologue d'une des témoins, qui déballe son dossier médical. « Dans des moments d’angoisse très forts, elle se fait du mal en se frappant la tête. C’est le seul moyen de faire disjoncter son cerveau émotionnel, pour produire des hormones qui l’anesthésient et qui lui permettent de supporter la douleur psychique », détaille-t-elle. La jeune femme serait même en « état de stress post-traumatique » depuis sa rupture.

D'autres expertises laissent songeur. Deux sociologues sont invités à disséquer les mécanismes psychologiques à l'œuvre dans la vie intime de Julien Bayou. Bilan ? « La mort de [la mère de Julien Bayou] est un épisode qui revient souvent dans les témoignages des femmes que nous avons interrogées. Les sociologues spécialistes des violences conjugales Pierre-Guillaume Prigent et Gwénola Sueur parlent d’un "chantage affectif basé notamment sur le décès de sa mère". » Notons la richesse de leurs analyses : « La relation entre Jeanne et Julien Bayou s’est forgée sur une inégalité dans leur relation, comme estiment les chercheurs Gwénola Sueur et Pierre-Guillaume Prigent. » Sociologue, psychologue… au fond, quelle différence ?

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Et lorsqu'elle ne peut pas convoquer d'expert, l'auteure de l'article mobilise des concepts fumeux pour noircir le trait. « Claire et Julien Bayou eurent une relation de novembre 2017 à avril 2019 sans violences psychologiques, mais non dénuée d’emprise sentimentale », écrit-elle. D'où provient ce concept d'« emprise sentimentale » pour décrire la relation déséquilibrée entre une femme amoureuse et un homme infidèle ? S'agit-il d'une façon de palier le fait qu'il n'y a, dans toute l'enquête de Reporterre, aucun acte de nature à intéresser la justice ?

Jugements personnels

Dans ce même article, d'autres femmes réduisent d'ailleurs à néant cette succession de concepts flous. L'une, qui a contracté une IST, déclare : « Il est clair que cet homme ne fait pas attention à la santé sexuelle de ses partenaires. Pourtant, je ne considère pas cela comme une violence au sens strict.» Julie, quant à elle, assure n’avoir jamais été humiliée ou sous emprise : simplement, Julien Bayou drague constamment, un « comportement "de connard" ». Le terme a l'air moins scientifique qu’ « emprise sentimentale », certes, mais il a du sens.

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Enfin, l'auteure de l'enquête parsème sa prose de jugements très personnels. On peut lire qu'« ils avaient dix ans d’écart et Julien Bayou était à l’époque en couple avec Jeanne. Ce qui ne l’empêcha pas de draguer ouvertement Claire » ou encore que Julien Bayou cherche à « justifier son incapacité à prendre des décisions dans ses relations ».

Sur les réseaux sociaux, certains internautes s'interrogent d'ailleurs sur la proximité entre la rédactrice et les options politiques de Sandrine Rousseau. Sur son compte Twitter, la journaliste a pris plusieurs fois la défense de l'écoféministe, quitte à céder à l'outrance et aux raccourcis. Les critiques adressées à la candidate pendant la primaire écolo ? Du « sexisme », une « diabolisation ». Le portrait enquêté, très documenté et – précisons-le – très bien écrit, du Monde ? Un travail « qu’on pourrait lire dans Valeurs actuelles ». Des anathèmes faciles qui interrogent quant aux motivations exactes de cette enquête.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne