Coupe du Monde au Qatar : pour Daniel Cohn-Bendit, « les seuls qui peuvent agir, ce sont les joueurs »

Daniel Cohn-Bendit, en mars 2020.

Daniel Cohn-Bendit, en mars 2020. ARNE DEDERT / DPA PICTURE-ALLIANCE VIA AFP

Entretien  L’ancien député européen, fan de foot, dit qu’il essaiera de ne pas regarder la Coupe du Monde. « Mais je connais mes limites. Serais-je capable de rater un France-Brésil ? »

A l’approche de la Coupe du Monde de Football au Qatar, qui débute le 20 novembre, le pays-organisateur est sous le feu des critiques, accusé notamment de traiter ses ouvriers comme des esclaves, de réprimer les homosexuels et de mépriser les enjeux environnementaux.

De quoi provoquer des cas de conscience chez les amateurs de ballon rond. A l’image de Daniel Cohn-Bendit, ancien député européen écologiste, et fan de foot – il fut plusieurs fois consultant foot lors de grands événements. Entretien.

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Regarderez-vous la Coupe du Monde au Qatar ?

Daniel Cohn-Bendit To be or not to be… C’est un problème lancinant depuis des années : fallait-il regarder les jeux Olympiques de Pékin ? La Coupe du Monde en Russie ? En 1970, lors du mondial Mexicain, la gauche appelait à boycotter l’équipe du Brésil, la plus belle pourtant de tous les temps. Quand j’ai réalisé mon documentaire sur le Brésil – « Sur la route avec Socrates », Gilberto Gil m’a dit ceci : « Quand le ballon roule, il emporte tout. » Mon fils m’a annoncé qu’il boycotterait la compétition. Moi aussi, j’ai décidé de ne pas regarder les matchs, mais en serais-je vraiment capable ? Serais-je capable de rater un France-Brésil ? Je connais mes limites. Quand le ballon roule, il emporte tout. On est pris au piège de notre addiction au football.

Un appel international au boycott aurait-il un sens ?

Non. Il y a encore deux ans, pourquoi pas, mais maintenant… Je ne vois pas aujourd’hui une fédération avoir le culot – et j’emploie ce mot dans son sens positif – de dire « non c’est inacceptable, nous refusons d’aller au Qatar ».

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Peut-être faudrait-il exiger des représentants des Etats de ne pas se rendre à Doha ?

Ça ne servira pas à grand-chose. L’événement, c’est le terrain. Que Macron ou le chancelier Scholz n’aillent pas au Qatar, les amateurs de foot n’en ont rien à cirer. Non, ce que j’espère à présent, c’est qu’il y ait des réactions de joueurs, des initiatives, qu’ils fassent exploser la situation. Au Brésil, en 1973 et 1974, les Corinthians [club de foot brésilien] entraient sur le terrain avec une banderole hostile à la dictature militaire. J’espérais déjà cela en Russie, il y a quatre ans, mais ce n’est pas arrivé.

Il faudrait déjà que les footballeurs soient sensibilisés à la situation du Qatar, ce qui ne semble pas être le cas…

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Les footballeurs seront d’autant plus sensibilisés que les médias parleront des violations des droits humains, des aberrations écologiques. On peut espérer les voir manifester leur soutien aux ouvriers népalais, ou aux homosexuels qui risquent d’être jetés en prison. Il peut très bien survenir lors de cette Coupe du Monde des événements qui détraquent la machine du Qatar. De petits événements auxquels le pouvoir, pris au dépourvu, répondrait violemment, de sorte que les délégations n’auraient pas d’autre choix que de quitter le pays. Je n’attends pas grand-chose de cette compétition, mais l’espoir n’est pas mort.

Comment expliquer la relative indifférence des opinions publiques, le silence des intellectuels, des artistes ? Lors du Mondial argentin de 1978, les réactions avaient été bien plus virulentes contre le régime du dictateur Videla ?

Le monde a changé. Il y a tant de problèmes aujourd’hui, les gens sont tellement angoissés par la crise que quand on leur parle de la situation au Qatar, ils se contentent de dire « oui c’est mal » en haussant les épaules. D’ailleurs, en 1978, ça n’avait pas marché non plus. Les Néerlandais avaient annoncé qu’ils refuseraient de serrer la main de Videla s’ils gagnaient le tournoi, mais ils ont été battus en finale [par l’Argentine].

Des intellectuels s’étaient mobilisés. BHL était parti en Argentine pour convaincre les joueurs français de manifester leur réprobation, Dominique Rocheteau s’était exprimé publiquement…

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Je crois qu’on s’est aperçu de l’inutilité de tout ça. Et puis n’oubliez pas que la Fifa contrôle les images du Mondial. Lors de la cérémonie d’ouverture de la Coupe du Monde 2014 [au Brésil], un petit indien était entré sur le terrain avec une banderole pour défendre la cause des Indigènes. Eh bien personne ne l’a vu à la télévision parce que la Fifa a supprimé les images. Quant aux journalistes, pour l’immense majorité, ils n’en ont pas parlé.

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En Allemagne, l’ancien capitaine Philipp Lahm a déclaré qu’il ne regarderait aucun match…

Oui, l’entraîneur allemand [Joachim Löw] aussi a eu des mots très durs contre le Qatar, mais ils vont quand même être obligés d’y aller. Pour le moment, personne ne sait ce qu’il va se passer lors de ce Mondial. Les joueurs vont-ils se mobiliser ? Comment va réagir le Qatar en cas d’incident ? Il faut que quelque chose arrive. Et les seuls qui peuvent agir, ce sont les joueurs. Eux seuls peuvent désormais faire basculer cet événement.

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