Cotentin. Il décime soixante arbres sur un terrain qui n'est pas le sien... pour chasser

Sur un terrain qui ne lui appartenait pas à Saint-Georges-de-Bohon, un chasseur a arraché illégalement une soixantaine de peupliers qui gênaient sa pratique de la chasse au gabion.

Hier, sur la parcelle, Romain Montigny et Léon Morel ne pouvaient que constater l’étendue des dégâts.
Hier, sur la parcelle, Romain Montigny et Léon Morel ne pouvaient que constater l’étendue des dégâts à Saint-Georges-de-Bohon. (©Jean-Paul BARBIER)
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 « C’est un désastre. » Romain Montigny et son grand-père, Léon Morel, âgé de 90 ans, ne décolèrent pas.

La semaine dernière, une soixantaine de peupliers ont été abattus et une cinquantaine d’arbustes arrachés en toute illégalité sur leur terrain situé à Saint-Georges-de-Bohon (Manche), dans les marais du Cotentin.

Ils ont découvert le massacre ce vendredi 28 octobre 2022. L’alignement de troncs abandonnés leur donne mal au cœur.

"On a touché à notre patrimoine, c’est inadmissible. On ne peut pas laisser passer cela. Nous n’avions rien demandé. Trois rangées d’arbres plantés il y a une quarantaine d’années ont été coupées sans notre accord. Regardez le résultat !"

Romain MontignyLe propriétaire du terrain
Dans le champ dans les marais de Carentan, il ne reste que des alignements de troncs.
Dans le champ dans les marais de Carentan (Manche), il ne reste que des alignements de troncs. (©Jean-Paul BARBIER)

Un chasseur dans le viseur

Le propriétaire du terrain n’a pas tardé à identifier l’auteur de cet abattage sauvage. Ses soupçons se sont très vite portés sur un chasseur carentanais qui souhaitait depuis longtemps que quelques arbres soient coupés afin que les lumières de Carentan puissent éclairer la mare où il avait l’habitude de chasser au gabion, en bordure de la Taute.

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"Nous avons eu confirmation qu’il avait loué un coupeur abatteur dans une entreprise locale. Il avait demandé la présence d’un chauffeur, explique le propriétaire de la parcelle. Mon grand-père nous a cédé ce terrain, à moi et mes sœurs il y a quelques années. Le chasseur l’avait contacté à plusieurs reprises ces dernières années. Mon grand-père lui avait dit que dix arbres pourraient être coupés mais qu’il lui fallait l’accord du nouveau propriétaire, car il ne l’était plus. Ce qu’il a fait il y a quelques mois. Je lui ai formellement interdit de couper un seul arbre. Il voulait même acheter le terrain. J’ai refusé."

Romain MontignyLe propriétaire du terrain

Le jeune propriétaire ajoute : « Quand il a vu qu’il n’aurait pas gain de cause, il est revenu à la charge auprès de mon grand-père. Il a abusé de sa gentillesse, en y allant au culot en se disant, cela va passer. C’est intolérable. Il savait. Nous sommes ici dans une zone naturelle classée Natura 2000. On ne peut se permettre de détruire gratuitement pour tirer quelques canards. De nombreuses espèces y vivaient. Quelques cigognes, également protégées, nichaient à la cime de certains arbres. Tout a aujourd’hui disparu.« 

Le chasseur qui nous a joint depuis présente une version différente des faits. Il ne nie pas l’objectif lié à la chasse mais conteste le fait qu’il n’ait pas eu d’autorisation pour agir : 

« J’ai bien entendu que le petit-fils, qui est l’héritier, était opposé à l’abattage des arbres. Mais c’est le grand-père qui dispose de l’usufruit et j’avais son accord oral. J’avais déjà fait le même chantier de la même ampleur, il y a 5 ou 6 ans, pour enlever une trentaine de peupliers. J’avais fait le bois et Monsieur Morel l’avait récupéré. Il n’y a pas soixante arbres abattus comme c’est indiqué. Si on compte le nombre de souches, il y en a trente maximum.»

Le chasseur

Le chasseur poursuit : « Je suis aussi tombé des nues quand j’ai appris qu’il y aurait des cigognes ! Il n’y a pas de nids de cigognes dans ces peupliers, c’est n’importe quoi. Enfin, ces arbres ont été plantés pour faire du bois. Ce ne sont pas des chênes. Ce n’est pas une catastrophe écologique. »

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Une image satellite du site avant l'abattage. En bas à gauche, la mare et le gabion.
Une image satellite du site avant l’abattage. En bas à gauche, la mare et le gabion. (©Google Street View)

Le propriétaire du terrain s’est présenté hier après-midi à la gendarmerie de Carentan, accompagné de son grand-père, afin de déposer plainte. Il entend aller jusqu’au bout de la procédure. 

Une plainte a été déposée

Les services de l’Office français de la biodiversité (OFB), situés à Coutances, ont également été avisés. Un agent a fait le déplacement pour constater l’étendue des dégâts.

« Des autorisations sont nécessaires si on veut faire abattre autant d’arbres dans cet habitat d’espèces protégées. Le bocage accueille aussi une grande biodiversité. Il n’y a vraisemblablement pas eu de demande d’abattage mais cela nécessite des vérifications. Une enquête a été ouverte, précise l’agent. Certains arbres ont été tronçonnés. »

Le visiteur a attaqué quelques arbres à la tronçonneuse sans toutefois finir le travail.
Le visiteur a attaqué quelques arbres à la tronçonneuse sans toutefois finir le travail. (©Jean-Paul BARBIER)

Au milieu du terrain, un arbre tient sur à peine trois centimètres de tronc, et menace de tomber à la moindre rafale de vent. « C’est dangereux », ajoute l’agent. Il a depuis été coupé puis mis au sol. 

Joint par téléphone, le président de la fédération de chasse de la Manche, Gérard Bamas, s’est refusé pour le moment à tout commentaire, notamment concernant les sanctions qui pourraient être prises à l’encontre du chasseur indélicat.

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Jean-Pierre Lhonneur, maire de Carentan-les-Marais a quant à lui qualifié de « dégueulasse » le geste du chasseur. « C’est un secteur où j’aime me promener en famille. Cet abattage est inqualifiable. Je vais me rendre sur place pour me rendre compte. »

« L’arbre est un patrimoine à préserver »

Karine Marsilly, arboriste et présidente de l’Association pour la défense du patrimoinearboré des communes de la Manche, nous livre ses commentaires.

Que représente la perte d’une soixantaine de peupliers cinquantenaires ?

En évoluant pendant des dizaines d’années, les arbres créent une diversité au niveau de l’environnement autour d’eux. Ils ont une surface foliaire intéressante par rapport à la création d’oxygène et d’eau. On ne remplace pas comme ça pas des arbres qui ont cinquante ans par des jeunes. D’autant que les pépinières et surtout les jardineries ne fabriquent que de la bouture, c’est-à-dire des arbres avec peu de système racinaire et qui ne sont viables qu’une dizaine d’années. On parle ici de destruction d’un bien patrimonial qui est passible d’une très lourde amende.

Les arbres abattus étaient proches d’un cours d’eau dans les marais de Carentan…

Les peupliers maintiennent les berges. Ils permettent une amélioration dans les écoulements parce qu’ils puisent l’eau et ils transforment la molécule d’H2O en oxygène. Ils sont une formidable usine de recyclage.

Les propriétaires ont évoqué la présence de nids dans ces peupliers et notamment des nids de cigognes.

C’est grave. Déjà que ces cigognes ont été décimées au niveau du château de la Rivière à Saint-Fromont… L’ouverture d’une déchetterie à quelques kilomètres de là poussait les cigognes à s’y alimenter plutôt que d’aller chasser dans les marais. Elles ont nourri leurs petits avec des plastiques. Je crois que les cigognes ont un statut de protection. Il est strictement interdit de détruire un arbre qui abrite un nid de cigogne !

Cette situation intervient dans La Manche qui manque d’arbres.

La Manche est le département le moins boisé de France. Le département, qui compte 50 000 kilomètres de haies, voit ce patrimoine bocager drastiquement diminuer ! Il faut vraiment que les propriétaires fassent constater par huissier les dégâts et qu’ils portent plainte pour la destruction de leur patrimoine arboré. L’arbre est un patrimoine. Il a une importance environnementale qui grandit avec l’âge.

Comment connaître la valeur d’un arbre ?

Des experts forestiers peuvent estimer la valeur en fonction de l’âge et de l’essence. Ce qui pourra faire peur à ceux qui commettent ce type d’infractions, c’est le fait d’avoir à rembourser la perte et la replantation. Il faut que les gens arrêtent de se croire intouchables par rapport aux arbres même si, malheureusement, il n’existe toujours pas de texte juridique en France par rapport à la protection des arbres. Mais là, il s’agit d’un problème de respect de la propriété privée. Il faut soutenir les personnes qui ont subi cela.

Propos recueillis par Cedran DE SAINTE-LORETTE

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