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Avocates et voilées : la question qui embarrasse la profession
Des avocats au palais de justice de Valence, en janvier 2020. Image d'illustration.
Hans Lucas via AFP

Avocates et voilées : la question qui embarrasse la profession

Extension du domaine du voilement

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Le Conseil de l'Ordre de Cherbourg a planché sur l'autorisation du voile pour les avocates. Un phénomène encore marginal qui pose néanmoins des difficultés à la profession. Le Conseil national des barreaux réfléchit, depuis juin dernier et en toute discrétion, à ce sujet.

Après l'école, le sport, les plages et les piscines, l'islam politique a trouvé son prochain terrain de jeu : les tribunaux. Ces derniers mois, certains barreaux de France ont eu à se prononcer sur la question du port du voile par les avocates. Dernier en date : Cherbourg, comme le rapportent nos confrères du Figaro. Sollicités par la Conférence nationale des bâtonniers, les membres du Conseil de l’ordre de Cherbourg se sont réunis à huis clos pour débattre de la question d’autoriser ou non la possibilité de porter le voile islamique avec la robe d’avocat, lors des audiences et de leurs plaidoiries. Le résultat du vote, qui n'est pas encore connu, a été « très serré », rapporte aussi Le Figaro.

Mais ce n'est pas la première fois, ni le premier barreau où la question s'est posée. Lors de la prestation du « petit serment », qui se fait dès l'entrée de l'école des avocats, à Paris en janvier 2022, une jeune élève voilée a été priée de retirer son voile. Une consigne critiquée par l'intéressée, qui avait estimé sur les réseaux sociaux avoir vécu un « cauchemar » et une « humiliation ». À Lille, dès juin 2019, les membres du Conseil de l'Ordre ont tranché pour l'interdiction du port de signes religieux avec la robe d'avocat. Selon eux, « l’avocat ne peut porter avec la robe ni décoration, ni signe manifestant ostensiblement une appartenance ou une opinion religieuse, philosophique, communautaire ou politique ».

Une atteinte à la liberté religieuse ?

Une décision contre laquelle une avocate lilloise, Sarah A., a déposé un recours. La jeune femme insiste en effet pour pouvoir plaider voilée, estimant auprès du Bondy Blog, que « dire qu’on se peut départir de tout ce qui nous est personnel est dangereux. Il y a plein de choses qui nous sont personnelles et dont on ne peut se départir : un accent, un niveau de langage, un engagement politique, syndical… ». Car si le sujet est complexe, c'est qu'il interroge la place et la nature de la profession d'avocat : des auxiliaires de justice, qui ne sont pas des agents publics à proprement parler (ce qui les soumettrait à la loi de 1905 et trancherait la question) puisqu'ils demeurent indépendants par rapport à l’autorité judiciaire.

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Ce recours aura donné l'occasion à la Cour de cassation de se prononcer sur ces affaires, sans prendre de décision à la place des différents barreaux mais en répondant à deux questions : « Le conseil de l’ordre d’un barreau est-il compétent pour interdire, dans son règlement intérieur, le port de tout signe manifestant une appartenance ou une opinion religieuse, philosophique, communautaire ou politique, avec la robe d’avocat ? » et la délibération du Conseil de l'ordre des avocats de Lille « constitue-t-elle une atteinte à la liberté de religion et à la liberté d’expression ? »

Le Conseil national appelé à se prononcer

À ces deux questions, la Cour de cassation a apporté des réponses claires. D'abord, le Conseil de l’Ordre des avocats est bien compétent en la matière, en l'absence de dispositions législatives spécifiques, car il entre dans les attributions de « réglementer le port et l’usage du costume de sa profession ». Les conseils de l'Ordre des avocats ont donc le « pouvoir de modifier son règlement intérieur afin d’interdire le port de tout signe distinctif avec la robe d’avocat ». Quant à l'atteinte à la liberté de religion et d'expression, la plus haute juridiction civile tranche sans ambiguïté : en imposant le port de la robe, « le Conseil de l’Ordre contribue à assurer l’égalité entre avocats et, à travers celle-ci, l’égalité entre justiciables », un principe d'égalité qui assure le droit à un procès équitable. « Cette interdiction ne constitue pas une discrimination », déclare la Cour.

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Reste à savoir qui doit trancher : chaque barreau sur sa juridiction, au risque de créer des situations inégales entre territoires, ou le Conseil national des Barreaux, organe central réglementant la profession d'avocat. « Nous aurions pu laisser le soin aux barreaux de France de décider chacun pour eux-mêmes, mais cela aurait été ignorer notre raison d’être ou, pire, risquer de devoir résoudre la question sous la pression d’un cas réel déclare un membre du Conseil national des Barreaux au Figaro. Car, jusqu’à présent la question ne s’est jamais posée. » L'institution planche donc, discrètement et sans précipitation, sur la question depuis juin dernier. Sa décision devrait être rendue avant la fin de l'année 2023.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne