La France atteint (à nouveau) un record de détenus, de plus en plus entassés dans leurs cellules

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La France atteint (à nouveau) un record de détenus, de plus en plus entassés dans leurs cellules

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Un détenu du centre pénitentiaire de Bordeaux Gradignan en octobre 2022
Un détenu du centre pénitentiaire de Bordeaux Gradignan en octobre 2022
© AFP - Thibaud MORITZ

Avec 72.350 détenus recensés au 1er octobre, le pays bat le précédent record de 2019. Le tout, avec un nombre de places quasi-constant, ce qui fait encore grimper la surpopulation carcérale.

C'est un niveau historique, jamais atteint jusqu'ici dans les prisons françaises : 72.350 détenus au 1er octobre, soit 3177 de plus qu'il y a un an. Une hausse d'autant plus inquiétante que le nombre de "places opérationnelles", lui, ne suit pas : il reste sensiblement au même niveau que les années précédentes (60.709 places en France au total).

Ce qui conduit, comme toujours en France, à une surpopulation carcérale. En moyenne, celle-ci est de 119,2 % dans les prisons françaises, contre 114,5 % l'année dernière. Toujours largement au-dessus des 100 % qui devraient être la norme maximale. D'autant que parmi ces détenus, on trouve plus d'un quart de prévenus, donc des personnes qui n'ont pas encore été condamnées définitivement.

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Matthieu Quinquis, avocat et président de la section française de l**'Observatoire international des prisons,** pointe du doigt "la loi de programmation pour la Justice de 2019". "En abaissant le seuil d'aménagement de peine pour celles qui sont prononcées par les tribunaux correctionnels, en limitant le recours aux aménagements de peine, on augmente le nombre de détenus par l'allongement des peines prononcées", explique-t-il. "La durée des peines s'allonge en France et les personnes incarcérées le restent de plus en plus longtemps", sans que ça corresponde "à une augmentation de la délinquance ou de la criminalité", déplore l'avocat.

Les maisons d'arrêt sont les plus touchées par la surpopulation carcérale

Une moyenne qui a aussi ses mauvais élèves. La densité carcérale est bien plus importante dans la petite centaine de maisons d'arrêt françaises (où l'on enferme justement les personnes en attente de jugement, dont la condamnation n'est pas définitive, ou condamnées à de courtes peines) : 141,50 % d'occupation en moyenne.

Trois établissements ont même deux fois plus de détenus que de places disponibles : les maisons d'arrêt de Carcassonne et Nîmes, et le centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan, rempli à presque 208 % de sa capacité normale. En juillet dernier, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté avait d'ailleurs alerté sur "des atteintes graves à la dignité et aux droits fondamentaux" et "des conditions de vie indignes" dans cet établissement.

La surpopulation carcérale est un problème récurrent en France, malgré une loi de 1875 qui impose le principe de l’encellulement individuel. Une loi dont l'application a été systématiquement repoussée par les gouvernements successifs : elle a fait l'objet d'un moratoire en 2003, 2009, 2014 et 2019 et devait s'appliquer avant fin 2022. Perdu à nouveau, le ministre de la Justice ayant fait voter un amendement jeudi dernier repoussant cette fois son application au 31 décembre 2027. Aujourd'hui, seuls 41 % des détenus ont droit à une cellule individuelle, c'est 2 points de moins qu'en 2021.

Qui dit surpopulation carcérale, dit conditions de vie détériorées pour les détenus, faute de place. En un an, le nombre de détenus dormant par terre, sur un matelas, a bondi de 39,2 % : 2053 aujourd'hui, contre 1475 en octobre 2021. Il n'y en avait que 585 en 2020.

"Des cellules qui sont initialement prévues pour une ou deux personnes se retrouvent à accueillir trois à quatre personnes", rappelle le président de la section française de l**'Observatoire international des prisons.** "On pose des matelas au sol, il y a moins d'espace de circulation, et ça veut dire moins d'espace d'intimité. Cette cohabitation forcée entraine des problèmes de violences, des atteintes à l'intimité et à la dignité. On fait ses besoins devant 2 ou 3 autres codétenus, ou on se retient jusqu'à ce qu'ils partent en promenade, nous privant nous-même de ces moments de pause", poursuit-il. Il rappelle également que le nombre de médecins est calibré sur la capacité initiale d'une prison, et pas sur le nombre de détenus qu'elle accueille réellement * : "à Bordeaux Gradignan, on peut considérer qu'il manque la moitié des médecins".*

Éric Dupond-Moretti mise sur le programme de construction de 15.000 places de prison d'ici 2027 pour résorber le déficit actuel. Mais au rythme où tombent les condamnations à de la prison ferme, ces places risquent d'être déjà insuffisantes à leur ouverture.

Au troisième trimestre 2022, ce sont ainsi 18.110 nouveaux détenus qui sont arrivés dans les cellules françaises. Un chiffre que ne compense toujours pas celui des libérations : 16.343 personnes sorties de ces mêmes cellules sur la même période. Sur les deux dernières années, les entrées ont systématiquement été plus nombreuses que les sorties, aggravant encore un peu la situation à chaque fois.

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