Poker menteur international autour des exportations de céréales ukrainiennes

Navires transportant des céréales ukrainiennes à l’entrée du Bosphore, lundi 31 octobre, après avoir traversé sans encombre la mer Noire. ©AFP - Ozan KOSE / AFP
Navires transportant des céréales ukrainiennes à l’entrée du Bosphore, lundi 31 octobre, après avoir traversé sans encombre la mer Noire. ©AFP - Ozan KOSE / AFP
Navires transportant des céréales ukrainiennes à l’entrée du Bosphore, lundi 31 octobre, après avoir traversé sans encombre la mer Noire. ©AFP - Ozan KOSE / AFP
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Il n’y aura plus aucun mouvement de navires céréaliers ukrainiens en mer Noire aujourd’hui, après les nouvelles menaces russes. Un bras de fer très politique qui vise d’abord les pays du Sud. Décryptage.

Il existe un mot en anglais, difficilement traduisible : « weaponization », qui signifie « militarisation », ou « conflictualisation ». C’est ce que fait Vladimir Poutine avec tous les sujets depuis le début de sa guerre en Ukraine : avec le gaz, ou avec la menace du nucléaire, civil ou militaire. Il joue avec les nerfs des Ukrainiens, des Européens, du monde entier, pour parvenir à ses fins.

C’est aussi ce qui se passe avec les céréales ukrainiennes, vitales pour l’approvisionnement de nombreux pays du Moyen Orient et d’Afrique. Une véritable partie de poker menteur se joue actuellement, avec, comme enjeu, une possible famine ; mais aussi la position des pays du Sud face au conflit ukrainien.

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Une médiation de la Turquie et de l’ONU avait réussi cet été à permettre le passage des navires céréaliers en mer Noire, levant l’hypothèque d’une famine. Mais ce weekend, Poutine a « suspendu » cet accord à la suite de l’attaque de la flotte russe dans le port de Sébastopol.

Si lundi et mardi, les passages de navires se sont poursuivis, l’Ukraine, la Russie et la Turquie annoncent qu’il n’y aura aucun mouvement en mer Noire aujourd’hui, sans doute pour laisser place à des négociations.

L’enjeu est de savoir qui portera la responsabilité en cas de crise alimentaire dans les pays les plus fragiles. En pointant l’attaque de Sébastopol, la Russie veut faire porter le chapeau aux Occidentaux, soutiens de l’Ukraine, afin de garder, au minimum, la neutralité active d’une partie des pays du Sud, comme le montrent les votes à l’ONU.

Un responsable occidental se lamentait il y a quelques jours de voir qu’une partie de l’Afrique ne comprenait pas que la Russie portait l’entière responsabilité de cette crise : « sans guerre d’Ukraine, pas de risque de famine ».

Et pourtant, la semaine dernière, le Président de la Guinée Bissau, représentant les États d’Afrique de l’Ouest, était à Moscou et à Kiev ; mais il a déclaré avoir trouvé Poutine plus convaincant que son homologue ukrainien. Le message ne passe pas.

Cette bataille va se poursuivre au moins jusqu’au Sommet du G20, le rendez-vous diplomatique dans deux semaines à Bali. Joe Biden, Emmanuel Macron, mais aussi Xi Jinping et peut-être Vladimir Poutine y seront, avec les grands États du Sud. Les Occidentaux espèrent montrer à cette occasion que la Russie est isolée : pas sûr qu’ils y parviennent.

Un argument peut les y aider : ces derniers mois, dans une grande discrétion, une vaste opération visant à exporter le plus de céréales ukrainiennes par la voie terrestre -camions, barges, train- a été montée, avec les pays riverains de la mer Noire, et l’aide de pays européens dont la France.

60% des céréales ukrainiennes exportées passent désormais par la voie terrestre et échappent ainsi au chantage russe, malgré des difficultés logistiques considérables. Un argument de poids pour convaincre les pays qui en ont le plus besoin, que les Occidentaux ne sont pas responsables de leurs difficultés, au contraire. Mais c’est loin d’être gagné.

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