Le projet de retenue d'eau de La Clusaz, destiné majoritairement à la production de neige artificielle, est suspendu. Une victoire pour les associations environnementales, mais aussi un rappel de la réalité du changement climatique qui questionne l'avenir des territoires de montagne. Jusqu'où peut aller la dépendance à la neige artificielle ?


C’est une victoire pour la ZAD de La Clusaz en Haute-Savoie, mais aussi un rappel de l’immense défi qui se pose dans les territoires de montagne. Le projet de retenue collinaire destinée principalement à la production de neige artificielle est suspendu depuis mardi 25 octobre 2022, après plus d’un an de contestations. Il impliquait de déroger à des règles de protection de la biodiversité par arrêté préfectoral. Le juge, dans son ordonnance, précise que l’objectif est "insuffisant à remettre en cause l’urgence qui tient à la préservation du milieu naturel et des espèces qu’il abrite."
Ce projet au coût de 10 millions d’euros prévoit de creuser 148 000 mètres cubes dans la montagne. Une réponse au manque régulier d’eau dans la commune, accentué par le changement climatique. Mais "la mairie a décidé de renforcer l’enneigement dans un contexte où la ressource en eau se raréfie. La mobilisation veut montrer qu’il y a d’autres manières de s’adapter" explique Mikaël Chambru, coordinateur scientifique du laboratoire Innovations et transitions territoriales en montagne, regroupant les universités Grenoble Alpes, Savoie-Mont-Blanc et l’Inrae.

Une dépendance à la neige artificielle


Le conflit met en lumière la dépendance des stations de ski à la neige artificielle. D’ici 2050, la moitié du manteau neigeux dans les Pyrénées aura fondu. La situation est similaire dans les Alpes. Il faudrait, dans un scénario où le changement climatique serait limité à 2 degrés, qu’au moins 45% de la surface des pistes soit équipée pour la production de neige artificielle d’ici 2030 pour que les domaines skiables continuent de fonctionner de la même manière, selon une étude de Météo-France et de l’Inrae parue dans la revue Nature. Et si le réchauffement global atteint 3 degrés, la neige artificielle ne pourra pas compenser partout la perte du manteau neigeux.
Les gestionnaires étudient ce risque dans le but de répartir au mieux l’usage de la neige de culture. La problématique est en effet très variable en fonction des versants, des particularités géologiques… Ils s’appuient notamment sur des outils de modélisation des besoins en neige artificielle comme avec l’outil Climsnow, développé par l’Inrae. Mais les besoins en eau d’autres acteurs ne sont pas toujours pris en compte, comme à La Clusaz où la biodiversité passe au second plan.
Les opposants à la retenue d’eau de La Clusaz dénoncent aussi des investissements massifs d’argent public qui n’auront probablement plus d’utilité à moyen-long terme. Des questions profondes sont soulevées. "Quel modèle socio-économique pour les territoires de moyenne montagne dans 20 ou 30 ans voulons-nous ? Faut-il investir massivement dans le ski et la neige, ou bien préparer la transition de ces territoires ?", interroge Mikaël Chambru, rappelant que de nombreuses stations, particulièrement en moyenne montagne, risquent de se retrouver "au pied du mur".

Le défi de l’adaptation


Les incertitudes concernant l’avenir des stations sont multiples. Les coûts de l’énergie représentent aussi une épée de Damoclès, comme le montre la fermeture de nombreuses stations cet hiver. Le syndicat Domaines Skiables de France annonce l’objectif d’atteindre la neutralité carbone en 2037, mais le modèle reste énergivore. Les modes d’action annoncés pour arriver à la neutralité se concentrent sur le développement de l’écoconduite des différentes machines et remontées mécaniques, qui permettrait de réduire le besoin en énergie de 5 à 20%, l’achat de dammeuses à hydrogène remplaçant celles au fioul, ainsi que le déploiement de sources d’énergies décarbonées.
"Il n’y a pas de modèle clé en main de transformation des territoires de montagne", reconnaît Mikaël Chambru. "Effectivement, si le ski s’arrête, tout est perdu pour ces communes. Mais c’est inévitable, le défi est de s’y adapter au plus tôt, certes à des échéances différentes selon les stations" affirme-il. Certaines stations ont entamé des transformations profondes, comme Valloire, qui a décidé de fermer ses pistes en-dessous de 2 000 mètres d’altitude. De son côté, la station Metabief dans le Haut-Doubs veut anticiper "la fin de viabilité du ski" à l’horizon 2030-2035 en orientant ses investissements vers la transition.
Fanny Breuneval @breuneval_fanny

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