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Luttes croisées

Inspirées par les manifestations en Iran, les femmes afghanes continuent le combat

Depuis la prise du pouvoir des Taliban en août 2021, et malgré une sévère répression, les femmes afghanes manifestent régulièrement pour leur droit à l'éducation et à l'emploi. Le vaste mouvement de contestation qui a éclaté dans l'Iran voisin après la mort de Mahsa Amini leur a apporté un espoir : que cela entraîne des effets bénéfiques au-delà des frontières, jusqu'à elles.

Des Afghanes chantent "l'éducation est notre droit, le génocide est un crime", lors d'une manifestation à Hérat, en Afghanistan, le 2 octobre 2022.
Des Afghanes chantent "l'éducation est notre droit, le génocide est un crime", lors d'une manifestation à Hérat, en Afghanistan, le 2 octobre 2022. © Mohsen Karimi, AFP
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Raihana M* était dans son salon, à Kaboul, la capitale de l'Afghanistan, lorsqu'elle a entendu parler pour la première fois des manifestations qui éclataient de l'autre côté de la frontière, en Iran. C'était fin septembre, peu de temps après la mort en détention de Mahsa Amini, une Kurde iranienne de 22 ans, arrêtée par la police des mœurs qui lui reprochait d'avoir enfreint le code vestimentaire strict de cette République islamique. 

Depuis six semaines, son visage est devenu le symbole de la révolte de milliers d'Iraniens qui manifestent aux quatre coins du pays. Et malgré une répression sévère, le mouvement ne faiblit pas : de nouveaux rassemblements ont eu lieu dans plusieurs universités samedi 29 octobre, notamment à Téhéran, Kerman et Kermanchah, tandis que le commandant en chef des Gardiens de la révolution, le général Hossein Salami assurait que la journée marquerait "la dernière journée des émeutes". 

"Je me suis sentie solidaire"

"J'étais vraiment choquée et triste", se souvient Raihana. Cette assistante sociale afghane a vu les images des manifestations sur Manoto TV, une chaîne de télévision londonienne en perse. "En tant qu'Afghane, en tant que femme, je me suis sentie solidaire parce que nous vivons la même chose. Sauf que c'est pire pour les femmes en Afghanistan", explique-t-elle dans une interview téléphonique depuis Kaboul. 

Depuis leur retour au pouvoir en août 2021, en Afghanistan, les Taliban ont progressivement rogné les libertés conquises par les femmes ces vingt dernières années. Ils ont largement exclu ces dernières des emplois publics, ont restreint leur droit à se déplacer et ont interdit l'accès des filles au collège et au lycée.

>> À revoir : Le courage des Afghanes : un an de résistance au quotidien taliban

Face à ces images, Raihana s'est rapidement tournée vers les réseaux sociaux pour regarder des extraits vidéo des rassemblements partout en Iran. En parallèle, d'autres femmes afghanes ont commencé à faire de même. Quelques jours plus tard, une trentaine d'entre elles se rassemblaient devant l'ambassade d'Iran à Kaboul, scandant "Zan, zendagi, azadi !" (Femmes, vie, liberté, NDLR) – en écho au slogan utilisé par leurs voisins. D'autres tenaient des banderoles proclamant : "De Kaboul à l'Iran, dites non à la dictature !". La manifestation a été vite interrompue : des responsables Taliban sont venus disperser la foule, tirant en l'air et menaçant de frapper les participantes avec la crosse de leur fusil. 

"Les Afghanes sont vraiment seules" 

Lina Qasimi, elle aussi, suit de près la situation en Iran, avec ce même sentiment de solidarité. Depuis le retour des Taliban, cette adolescente ne peut plus aller au lycée. "Je me sens très proche de tout cela. C'est vraiment terrible. Personne ne devrait être tué pour avoir simplement montré ses cheveux", réagit-elle. "Mais en Afghanistan, il n'est pas seulement question de cheveux, il est question d'être une femme. Le simple fait d'en être une est un problème pour les Taliban", déplore-t-elle. 

Raihana et Lina Qasimi ont ainsi été frappées par les images d'hommes iraniens rejoignant les femmes au sein des cortèges. "En Iran, tout le monde se lève. Les femmes et les hommes manifestent ensemble", s'étonne Raihana. "En Afghanistan, ce n'est pas comme ça – les gens ont tellement peur. Les Afghanes sont vraiment seules." 

"C'est vrai. Les Iraniennes bénéficient d'un soutien considérable de la part des hommes. Les Afghanes n'ont pas cela", abonde Tamim Asey, cofondateur de l'Institut d'études sur la guerre et la paix basé à Kaboul, et ancien vice-ministre afghan de la Défense. Pour cause, "les Afghans ont souffert de 40 ans de guerre, de violences, de meurtres… Et les Taliban exercent une pression énorme sur les hommes : si des femmes manifestent, les autorités trouvent leurs maris, leurs pères, leurs frères et les arrêtent", explique-t-il. 

Des Afghanes sont descendues dans les rues dès les jours qui ont suivi le retour des Taliban. Selon plusieurs groupes de défense des droits humains, la répression a été brutale, visant les participantes mais aussi leurs parents masculins. Dans un rapport publié mi-octobre, l'ONG Human Rights Watch détaille le cas de trois femmes arrêtées avec leurs maris et leurs enfants puis séparées en détention et gravement torturées. Parmi elles figure Tamana Paryani. Cette dernière s'était filmée en janvier en train d'implorer de l'aide au moment où les Taliban faisaient irruption dans sa maison. Elle avait participé à une manifestation réclamant le droit à l'éducation et au travail.

"Le soutien international aux femmes iraniennes est phénoménal"

Pourtant, malgré cette violente répression, le mouvement de contestation se poursuit. Des manifestations ont encore éclaté dans plusieurs villes, notamment à Kaboul, Mazar-e-Sharif, Herat et Bamiyan après l'attaque, le 1er octobre, d'un centre éducatif de la capitale qui a tué plus de 50 étudiants, principalement des étudiantes. 

Tandis que le soutien de la communauté internationale aux femmes afghanes semble s'essouffler, le mouvement de contestation en Iran a suscité des réactions dans le monde entier. Samedi 22 septembre, environ 80 000 personnes se sont ainsi réunies à Berlin pour soutenir leur cause tandis que plusieurs célébrités, à l'image de l'actrice française Juliette Binoche, se sont filmées en train de se couper les cheveux dans une vidéo partagée des milliers de fois sur les réseaux sociaux.

Une manifestation en soutien au mouvement de contestation en Iran, à Berlin, le 22 octobre 2022.
Une manifestation en soutien au mouvement de contestation en Iran, à Berlin, le 22 octobre 2022. © Markus Schreiber, AP

"Le soutien international aux femmes iraniennes est phénoménal. Le président américain Joe Biden, le secrétaire d'État Antony Blinken, des acteurs, des stylistes et des célébrités… Tous ont exprimé leur soutien aux manifestants iraniens", énumère Tamim Asey. "Il n'en va pas de même pour les Afghanes. Pourtant, ce sont elles qui sont à l'origine de ce mouvement de protestation – il y a eu un effet d'entraînement. Et elles élèvent leur voix contre un régime beaucoup plus brutal et dogmatique", estime l'ancien ministre.. 

Alors comment expliquer cette différence de considération de la part de la communauté internationale ? "Au cours des vingt dernières années, les pays occidentaux ont soutenu les femmes afghanes sous diverses formes. Aujourd'hui, ils estiment qu'ils en ont fait beaucoup et qu'il est maintenant temps, pour les Afghanes, de prendre le relais. À l'inverse, en Iran, ce soutien n'existait pas avant", analyse-t-il. 

Un soutien en ligne, dans la peur de la répression

Craignant la répression des autorités, Lina Qasimi et ses amies ont préféré montrer leur soutien à leurs sœurs iraniennes via les réseaux sociaux et éviter la rue. Leur solidarité en ligne s'exprime par ailleurs souvent par des "stories" – qui expirent généralement après 24 heures – plutôt que par des posts plus pérennes.

"C'est le seul moyen, pour moi, de dire quelque chose. C'est trop dangereux de poster un message critique. Les Taliban risquent de nous retrouver et ils peuvent faire n'importe quoi", craint l'adolescente. Et d'insister : "nous ne pouvons rien faire. Même si nous ne faisons qu'aller à l'extérieur, nous avons peur de ne pas revenir à la maison." 

Si Lina Qasimi est aujourd'hui privée d'éducation, à 26 ans, Raihana fait partie des rares femmes d'Afghanistan à avoir encore son emploi. Mais la peur fait aussi partie intégrante de son quotidien. L'humanitaire, qui travaille au sein d'une ONG internationale et qui a préféré garder l'anonymat pour des raisons de sécurité, a dû adopter l'abaya, une robe longue qui couvre l'ensemble du corps. Chaque jour, à bord d'une voiture de fonction, ses collègues – hommes et femmes – et elle, empruntent des itinéraires différents pour éviter les postes de contrôle des Taliban lorsqu'ils vont apporter leur aide à la population.

"Les manifestations en Iran sont centrées sur la question du voile, puis, par extension, sur la liberté. L'éducation des filles et des femmes n'y est pas un problème. En Afghanistan, les femmes manifestent pour leurs droits fondamentaux et leur survie", rappelle Barnett Rubin, spécialiste de l'Afghanistan.

>> À lire aussi : Les Iraniennes dénoncent "le patriarcat sacralisé à travers le voile"

Vers un effet domino ? 

Depuis Kaboul, Raihanna a désormais un espoir : que les manifestations en Iran apportent des changements jusque dans son pays. "Si les protestations mènent à quelque chose, si le gouvernement iranien fait des concessions et que les restrictions sur le hijab changent, je pense que les Taliban le verront. Ils comprendront que s'ils continuent comme ça, une situation similaire pourrait arriver ici", espère-t-elle.

Un optimisme que ne partage pas Tamim Asey. "Je pense que les Taliban se soucient à peine de ce mouvement et n'ont absolument pas peur d'un débordement en Afghanistan", estime cet ancien ministre, affirmant que les principales préoccupations de Kaboul vis-à-vis de Téhéran portent sur les questions frontalières, notamment le trafic de drogue et les migrations.

Quoiqu'il en soit, que le mouvement iranien finisse par déborder en Afghanistan ou non, les images des Iraniennes dans les rues apportent un important soutien moral aux Afghanes. Dans cette lutte commune contre des Républiques islamiques, des deux côtés de la frontière, les femmes se montrent déterminées à maintenir la pression pour leurs droits.

*Les prénoms ont été modifiés

Cet article a été adapté de l'anglais par Cyrielle Cabot. L'original est à retrouver ici.

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