Rosa Bonheur (1822–1899) portait-elle un nom prédestiné ? Cette artiste, qui conquit la gloire à coups de pinceau, n’eut pourtant pas une vie facile. D’origine modeste, libre, féministe, ruraliste, elle dut batailler pour s’extraire du modèle patriarcal et misogyne de la société française de son temps. Fait rare à l’époque, elle est considérée d’un talent égal à celui des hommes par le critique Théophile Gautier et s’imposa en proposant une iconographie échappant aux sujets habituellement réservés aux femmes. Elle est la première à recevoir la Légion d’honneur. Le Marché aux chevaux, de 1852, reste son chef-d’œuvre !
« J’avais pour les étables un goût plus irrésistible que jamais courtisan pour les antichambres royales ou impériales. »
Née à Bordeaux en 1822, la petite Marie-Rosalie Bonheur grandit auprès d’une mère orpheline adoptée par de riches commerçants. Elle s’imagine des origines secrètes, peut-être royales ! Son père était quant à lui professeur de dessin. Il encouragea sa fille à développer ses aptitudes artistiques dès son plus jeune âge.
Les Bonheur s’installent à Paris en 1828. La politique, les espoirs dans le progrès de l’industrie, la fraternité des peuples et le renouveau catholique constituent le cadre de pensée familial. Chez les Bonheur, on est saint-simoniens ! Pourtant, la vie est dure, la misère gagne… La mère de la petite Rosa décède en 1833, et son père se remarie.
La jeune fille doit travailler. Elle entre en apprentissage dans un atelier de couturière, puis assiste son père dans son professorat de dessin. À cette époque, les femmes ne sont pas admises à l’École des Beaux-arts. Bonheur se passionne pour le sujet animalier. Les chevaux et les bovins ont sa préférence. Dès 1841, la voici qui expose au Salon. Elle n’a pas encore vingt ans !
Alors que l’école réaliste, emmenée par Gustave Courbet, révolutionne la peinture, Rosa Bonheur fait parler d’elle. Elle prend la suite de son père à la direction de l’École gratuite de dessin pour les jeunes filles et y encourage ses élèves à croire en leur talent. Elle-même fume des cigarettes et porte les cheveux courts ! Rosa Bonheur s’affirme sur la scène publique en exposant Le Marché aux chevaux au salon de 1853. Les critiques s’ingénient sans cesse à la comparer aux peintres de sexe masculin.
Ce tableau, jugé à l’époque d’une puissance rare pour une femme (généralement cantonnées aux peintures sur éventail ou aux bouquets de fleurs) fait connaître Rosa Bonheur dans toute l’Europe. Elle rencontre notamment la reine Victoria. L’œuvre est acquise par un collectionneur américain qui l’offrira au Metropolitan Museum de New York. D’une manière générale, sa peinture a toujours été goûtée par le public outre-Atlantique et bien diffusée par la gravure d’édition. En 1865, Rosa Bonheur fut la première femme à recevoir la Légion d’honneur, remise par l’impératrice Eugénie.
Bien qu’elle se soit tenue à l’écart de toute école, Rosa Bonheur cultive une facture réaliste, c’est-à-dire attentive aux détails, au contexte rural, à une palette en prise avec le ton local. Cependant, ses œuvres sont destinées à une clientèle bourgeoise et fortunée (et même impériale !), ce qui la différencie d’un artiste comme Courbet qui prit des engagements politiques. Rosa Bonheur était plutôt de tendance conservatrice.
En 1860, l’artiste s’installe dans une belle propriété à Thomery, près de Fontainebleau : le château de By (qui est aujourd’hui un musée à son nom). Elle y mène une vie libre, conforme à ses idéaux, vivant au milieu d’animaux (lions, cerfs, moutons, chevaux…).
Depuis son enfance, Rosa Bonheur eut la réputation d’être un « garçon manqué ». Elle refusa de se marier, obtint l’autorisation de porter des pantalons pour monter à cheval et se rendre dans les foires à bestiaux où elle trouvait ses sujets. Rosa vécut avec des femmes (sans que son homosexualité soit clairement établie), faisant fi du qu’en-dira-t-on.
Elle participe à de grandes expositions officielles telles que les Expositions universelles de 1855 et 1867 à Paris, puis celle de Chicago en 1893. En 1889, elle rencontre Buffalo Bill et le reçoit chez elle, à By. Une rencontre qui renforcera son indignation face au massacre des Amérindiens.
Après la disparition douloureuse de son amie d’enfance et compagne de vie Nathalie Micas (artiste et passionnée de mécanique), c’est une jeune peintre américaine, Anne Klumpke, qui s’installe auprès d’elle, devenant sa biographe et son unique héritière. Malgré sa détermination à perpétuer la mémoire de Rosa Bonheur après sa mort en 1899, celle-ci sombrera peu à peu dans l’oubli. Son œuvre est toutefois redécouvert à l’occasion de grandes expositions célébrant en 2022 le bicentenaire de sa naissance.
Labourage nivernais, 1849
L’humain n’a guère droit de cité dans les œuvres monumentales de Rosa Bonheur. C’est le génie, l’héroïsme de l’animal qui s’exprime ! Cette œuvre dépeint une scène de labour au début de l’automne, montrant la puissance des bœufs au travail. Rosa Bonheur, qui a passé son enfance à la campagne, a voulu rendre hommage aux traditions rurales. Sur ce point, elle ne s’est jamais montrée progressiste, ni ne faisait l’éloge de l’industrialisation.
Le Marché aux chevaux, 1852
Rosa Bonheur aimait les chevaux ! En se rendant sur les marchés, elle trouve des sujets qui magnifient la puissance de l’animal. Sa prédilection va à la race percheronne, à la morphologie vigoureuse et nerveuse. Si la facture est réaliste, l’emphase est toute romantique ! Clou du Salon de 1853, puis de l’Exposition universelle de 1855, ce grand tableau fut acheté par un collectionneur américain et contribua grandement à la notoriété de l’artiste.
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