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Comment le viol des femmes est utilisé pour détruire les communautés locales au Congo

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Par Cécilia Agino Foussiakda*, une chronique pour Les Grenades

Cet article est le résumé d’un mémoire, ce travail de recherche universitaire est publié en partenariat avec le master Genre.

Si le viol de guerre des filles et femmes du Sud-Kivu est un crime médiatisé, on évoque plus rarement l’émasculation identitaire qui en découle pour les chefs de famille et qui constitue une arme puissante de destruction de l’intérieur des communautés locales.

Dans de nombreux cas, le viol est commis à domicile sous les yeux du conjoint et il est accompagné du pillage des biens, de coups et blessures parfois mortelles des personnes présentes. Dans d’autres cas, les attaques s’effectuent dans un rayon plus ou moins large autour du village alors que les femmes vaquent à leurs activités traditionnelles.

Le code d’honneur masculin

La culture phallocrate et la société patriarcale qui caractérisent ces collectivités placent "La" femme comme garante de l’honneur de l’homme, comme cela a été et reste le cas à travers le monde. De ce fait, les femmes violées sont tenues responsables de l’opprobre infligé au couple marié ainsi qu’à toute la famille.

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Les garçons nés du viol et rentrés à la maison avec leur mère sont eux aussi mal reçus, parfois d’autant plus maltraités ou considérés comme des êtres maléfiques qu’ils sont bien avant l’âge adulte exclus de la communauté des hommes. Violer une femme renvoie en effet à déshonorer à la fois son père, son frère, son mari, les hommes de la communauté tout entière qui ressentent ce drame comme une perte d’autorité, une impuissance à protéger les femmes, deux attributs essentiels à la reconnaissance de la qualité d’homme et qui viennent parfois s’ajouter à la ruine matérielle.

Quand j’ai compris que je n’avais plus rien, tous mes biens pillés par les rebelles, ma femme détruite et moi-même désormais incapable de faire l’acte sexuel, c’est comme si le monde s’arrêtait, ma femme ne cesse de dire que je ne suis plus un homme. En réalité, je ne le suis plus

Dans ce cadre, la réaction du mari, de la famille et de la communauté va souvent dans le sens d’une stigmatisation et d’un rejet de la victime plutôt que dans celui du soutien et des encouragements à cette dernière.

Les stratégies possibles de récupération de l’honneur "perdu"

Même si certains maris soutiennent leur épouse agressée, la loyauté au principe d’honneur masculin pousse un nombre important d’hommes à répudier cette dernière après le viol et/ou à prendre une seconde épouse.

Au vu de ce qui m’est arrivé, certains amis me conseillaient de prendre une seconde femme mais je n’ai pas assez de biens pour me marier à une seconde femme moi. Je ne saurai ni la nourrir, ni la vêtir

Ainsi, certains maris permettent à leur épouse de réintégrer la cellule familiale à contrecœur, cela principalement au vu du travail essentiel à fournir concernant les soins aux enfants et aux ainé·es, les travaux ménagers et agricoles.

Si la réintégration s’effectue plus ou moins bien selon les cas, les survivantes considèrent encore souvent cette acceptation comme un pardon symbolique qui leur est accordé dans la mesure où elles ont intériorisé le fait d’avoir été violée comme une "faute lourde", un "péché", une "souillure".

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Les fonctionnements sociaux et psycho-sociaux qui viennent d’être évoqués montrent la grande complexité des phénomènes et des accompagnements professionnels à mettre en place.

Si ces derniers se concentrent uniquement sur les femmes survivantes du viol, il y a très peu de chances qu’ils portent leurs fruits.

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*Cécilia Agino Foussiakda est doctorante en psychologie à l’Université de Liège. Elle détient un master interuniversitaire de spécialisation en études de genre et une licence en Service Social de l’Université évangélique en Afrique (UEA). D’origine congolaise, Cécilia est assistante d’enseignement à l’UEA Bukavu, à l’Est de la République Démocratique du Congo. Elle est également chercheuse au Centre d’Excellence Denis Mukwege (CEDM), un centre de l’UEA dédié à la recherche sur les conditions des femmes. Cécilia s’intéresse aux questions de genre, de traumatismes et résilience, au fonctionnement des couples et enfants en situation de stress posttraumatique lié au viol orchestré par les groupes armés.

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