La Région bruxelloise refuse de bétonner l'interdiction du voile dans l’administration

Le vote final doit encore avoir lieu en séance plénière ce mercredi. Mais le texte sera de toute évidence rejeté en bloc par une majorité des élus bruxellois, dont le PS, Écolo et le PTB, et une partie de Défi.

Cela devrait signifier la fin, du moins pour cette législature, d’un débat très houleux, qui avait été lancé en mai 2021, lorsque le tribunal du travail de Bruxelles a condamné la Stib pour discrimination à l’égard d’une femme musulmane voilée. Le comité de gestion de la Stib avait décidé de ne pas aller en appel de cette décision, imité par le gouvernement bruxellois, malgré la volonté initiale de Défi de s’y opposer.

Cahin-caha PS, Écolo et Défi avaient trouvé un compromis : la neutralité exclusive doit rester la règle pour les fonctions d’autorité ou en contact avec le public, mais avec dérogations possibles pour les autres. Un débat a suivi, au Parlement bruxellois, avec l’audition d’experts.

L’administration fonctionne actuellement, et en théorie sur un régime de neutralité stricte, mais ce n’est qu’un principe. Il y dans les faits une marge de tolérance pour certains postes, comme chez Actiris.

Le MR, qui juge l’accommodement insuffisant, souhaite une interdiction généralisée pour “sanctifier, clarifier et renforcer le régime actuel”.

"Ne nous voilons pas la face. La proposition (du MR) vise essentiellement le port du voile islamique", a pointé Marc-Jean Ghyssels, député PS. Dénonçant un texte "discriminant" mais aussi une "bataille des slogans qui renforce les extrêmes", l’élu socialiste a tenté de décentrer la perspective. "Il serait intéressant de se demander si un guichet où on ne trouve que des hommes blancs d’un certain âge est plus neutre – ou non – qu’un guichet où des femmes et des hommes de différentes origines ethniques et confessionnelles sont présents. Se poser la question c’est parfois y répondre."

Une position qu’a contestée Alexia Bertrand, cheffe de groupe MR. "La religion, c’est quelque chose que vous choisissez. Vous ne pouvez pas confondre le fait d’être un homme blanc avec le fait de choisir un signe religieux ou politique."

"Derrière ce débat se cache une discrimination larvée : celle des femmes musulmanes qui portent le foulard, a lancé Petya Obolensky, député PTB. Laissez-les femmes s’habiller comme elles veulent, SVP".

"Le turban que je porte sur ma tête n’est pas le projet ni d’un frère ni d’un mari ni de qui que ce soit", a souligné la députée Écolo Farida Tahar. Les verts assurent privilégier la liberté des actes, plutôt que des apparences. Une position contredite par la députée Défi Joëlle Maison. "Un principe d’impartialité doit se concrétiser dans l’apparence vis-à-vis de tiers, afin que les fonctionnaires ne puissent alimenter aucun doute quant à leur aptitude à traiter la cause de manière impartiale." Elle regrette que "de nombreuses voix s’élèvent pour donner un statut particulier à l’expression de convictions religieuses" et estime que la même règle, dont l’interdiction des signes convictionnels, doit être appliquée à tous les agents.

Défi a cependant dû se livrer à une contorsion entre son idéologie, favorable à une neutralité stricte, et la cohésion de la majorité bruxelloise. Emmanuel De Bock a annoncé la couleur en commission : deux de ses députés (Joëlle Maison et Christophe Magdalijns) voteront pour le texte du MR en plénière, en soutien à sa philosophie, et 8 votes contre, afin de contester sa forme.

Joëlle Maison remplaçait d’ailleurs ce lundi en commission Christophe Magdalijns, député franc-tireur, très favorable à une laïcité stricte. "J’aime autant ne pas participer à ça et voter en mon âme et conscience en séance plénière…", nous indique Christophe Magdalijns. Défi est déchiré entre ses devoirs vis-à-vis de la majorité et son ADN. Les partis de gauche, qui nous ont tordu le bras dans l’affaire de la Stib, font pareil pour cette proposition, car Défi est le plus petit parti." Emmanuel De Bock justifie la position de son parti par le refus de "refaire l’erreur de l’abattage rituel" en créant des règles différentes d’une région à l’autre. Pour lui, un renforcement de la règle doit se faire au fédéral. De plus, il juge que les signes convictionnels restent prohibés partout avec l'arsenal actuel.

L’Ucclois a aussi fait part de ses craintes par rapport "à la sécurité juridique du texte", notamment sur l’emploi du terme "ostentatoire". En effet, si le MR avait amendé son texte, en tenant compte de certaines remarques du Conseil d’État, il n’avait volontairement pas supprimé le terme "ostentatoire", alors que le Conseil d’État le recommandait.

Les Engagés, via Christophe De Beukelaer, ont de leur côté déposé un amendement, rejeté à l’unanimité, demandant que l’interdiction des signes convictionnels ne s’applique que pour les fonctions d’autorité et en contact avec le public.

Reste qu’au-delà d’un résultat final prévisible, ce débat fait ressurgir les fractures déjà observées au sein de la majorité bruxelloise, mais aussi au sein des partis, dans les dossiers du voile à la Stib et, plus tard, de l’abattage rituel. Des fractures que la clôture du vote de mercredi ne suffira pas à réparer.