Pourquoi l'Europe compte-t-elle aussi peu de femmes parmi ses inventeurs ?

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Pourquoi l'Europe compte-t-elle aussi peu de femmes parmi ses inventeurs ?

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Vue aérienne de l'Office européen des brevets, à Rijswijk, aux Pays-Bas
Vue aérienne de l'Office européen des brevets, à Rijswijk, aux Pays-Bas
© AFP - SIEBE SWART / ANP MAG

Selon l'Office européen des brevets, seulement 13,2% des inventeurs en Europe sont des femmes. La France se classe à la 13ème place, légèrement au dessus de la moyenne. Les freins à la féminisation de l'innovation technologique seraient avant tout culturels.

En France, un inventeur sur six est une femme. Et si la situation a progressé depuis 50 ans, notre pays, comme d'autres en Europe, est largement dépassé par la Chine et la Corée (27 et 28% d'inventrices). C'est l'une des conclusions de l'étude de l'Office européen des brevets ( OEB) qui, pour la première fois, a mené une étude sur la contribution des femmes à l'innovation technologique à l'échelle européenne. La France ne se classe que 13e sur 34 pays. C'est un peu au-dessus de la moyenne européenne qui révèle quelques surprises : Lettonie, Portugal, Croatie et Espagne sont aux premières places quand l'Allemagne pointe à la 32e place avec 10% d'inventrices parmi les déposants de brevets.

Des femmes oubliées...

Cette situation est "un handicap économique", souligne Yann Ménières, chef économiste de l'Office européen des brevets "car c'est une opportunité perdue d'exploiter un potentiel d'inventivité". Un potentiel fort si l'on se souvient des inventions passées signées par des femmes : Ada Lovelace, autrice du premier programme informatique, Heddy Lamarr qui a inventé le Wi-Fi. Des noms que l'histoire a retenus quand d'autres ont tout simplement été effacés car jamais portés à la connaissance du public. "Quand on pense à la découverte de la double hélice de l'ADN, elle est reconnue comme étant d'origine masculine. C'est Watson et Crick qui seraient les inventeurs", note t-il. "On a complètement oublié pendant des années que c'est Rosalind Franklin qui était à l'origine de cette découverte, en tout cas qui a apporté les premiers arguments".

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Les femmes peu incitées à faire des sciences

Comment expliquer que la parité progresse si faiblement ? "Les raisons sont principalement culturelles", avance Claude Grison, chimiste et lauréate 2022 du prix de l'inventeur européen, catégorie recherche. À compétences égales, la société n'incite pas les filles à faire des études scientifiques et à s'orienter au niveau des études supérieures vers les sciences dures. Or, explique-t-elle, ce sont ces disciplines qui conduisent à un nombre de brevets importants.

Claude Grison, cite entre autres études celle de  Thomas Breda, économiste et chercheur au CNRS. "Il n'y a aucune raison biologique ou cognitive qui explique que ces stéréotypes perdurent, mais on continue de conseiller les sciences humaines aux filles ce qui les conduits à manquer de confiance en elles au moment d'aborder des disciplines qu'on leur propose moins", détaille-t-elle. Les femmes sont aussi moins attirées, selon elle, par une carrière dans l'industrie, ce qui leur nuit dans le dépôt de brevet. L'étude de l'OFB souligne en effet que les demandes de brevets issues d'universités et d'organismes de recherche publics comptent une part nettement plus importante de femmes inventrices (19,4 %) que celles provenant d'entreprises privées (10 %).

Victimes de leur modestie ?

S'ajoute le plafond de verre : au fur et à mesure de l'avancée dans la carrière, le nombre de femmes diminue. Par ailleurs "on voit que les femmes sont plus souvent impliquées dans des recherches en équipe mais rarement en position de leadership". Comme le révèle l'étude, en faisant partie d’équipes d'inventeurs, les femmes sont moins susceptibles de se voir reconnaître une invention à titre individuel. Sans compter la propension des hommes à s'attribuer les mérites sans les partager. "C'est fréquent !", avoue Claude Grison. Les inventrices doivent donc veiller à se faire respecter et à faire respecter leur part d'invention dans un brevet.

Sans compter qu'elles sont éventuellement plus soucieuses de l'impact sociétal de leur invention, davantage que des royalties qu'elles pourront en tirer. Après avoir identifié des plantes mangeuses de métaux, Claude Grison a cherché à trouver un procédé non polluant et peu énergivore pour en tirer partie. Les catalyseurs qu'elle génère avec son procédé sont donc "verts", un choix délibéré dès le début de ses travaux de recherche.

Avant elle, Agnès Poulbot avait s'était illustrée en devenant lauréate 2019 pour des pneus auto-régénérants développés pour le fabricant Michelin. Un des rares exemples de présence féminine dans le domaine du génie mécanique. C'est en chimie que les femmes déposent le plus de brevets, confirme l'étude.

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